L’intervention linguistique formelle prend appui sur deux grands principes : les principes de personnalité et de territorialité. En simplifiant, le principe de personnalité repose sur l’idée de liberté ou de choix d’utilisation de la langue. Pour sa part, le principe de territorialité vise à renforcer une langue sur son territoire. Il repose sur la reconnaissance qu’une langue a besoin d’un territoire pour s’épanouir.
La politique linguistique canadienne mérite une attention particulière en raison de son application différenciée de ces deux principes d’une région à l’autre du pays et selon les ordres de gouvernement. Au palier fédéral, l’aménagement du français et de l’anglais repose sur le principe de personnalité, et ce depuis la promulgation de la première Loi sur les langues officielles, en 1969. Cette dernière, tout comme la nouvelle Loi sur les langues officielles de 1988, confère le droit aux Canadiennes et aux Canadiens de recevoir des services fédéraux dans la langue officielle de leur choix. Ce droit est octroyé à des individus et ne concerne que les usages publics. La Loi sur les langues officielles ne vise pas les usages privés.
À l’opposé, la Charte de la langue française du Québec (Loi 101) est un cas type de politique territoriale, car elle vise à renforcer la langue de la majorité linguistique sur un territoire donné. De plus, le principe de territorialité appliqué au Québec ne concerne pas que les usages publics, mais également les usages privés. Le français est la langue officielle de la province, mais également dans le monde du travail.
En somme, la politique linguistique du gouvernement canadien cherche à déterritorialiser la langue en privilégiant le principe de personnalité alors que le fédéralisme permet aux provinces d’adopter des principes aux apparences contradictoires comme le fait le Québec. Cette situation crée des tensions et a donné lieu à plusieurs conflits par le passé. Entre autres, au Québec, certains membres de la minorité anglophone s’en sont pris à de nombreuses reprises à la Loi 101 en raison de son principe territorial qui donne une prépondérance au français, notamment dans le domaine de l’affichage.
Dans le reste du Canada, le principe de personnalité n’est pas suffisant pour guider le développement des minorités francophones. De plus, même si le principe de personnalité confère la liberté de choix, en vertu du Règlement sur les langues officielles (communications avec le public et prestation des services), cette liberté ne peut s’exercer au Canada que si la demande est importante. Or, dans les milieux minoritaires, le poids du nombre est souvent un obstacle majeur à l’offre de services gouvernementaux dans la langue officielle de son choix.
Par surcroît, une politique de libre choix ne peut compenser une véritable politique de développement. En 1988, la nouvelle Loi sur les langues officielles tente de répondre à cette exigence et reconnait l’obligation du gouvernement canadien de voir à l’épanouissement et au développement des minorités de langue officielle (partie VII). Toutefois, afin de donner une portée plus grande à cet engagement, en 2003, le gouvernement canadien se dote d’outils complémentaires, dont le Plan d’action sur les langues officielles.
Enfin, jusqu’en 1988, le principe de personnalité ne vise que le libre choix en matière de services. Après 1988, la nouvelle loi confère aussi le droit aux fonctionnaires de travailler dans la langue officielle de leur choix.
Dans les autres provinces, ces principes sont également appliqués de façon distincte. À titre d’exemple, au Nouveau-Brunswick, la Loi sur les langues officielles reconnaît l’égalité des deux langues devant la législature et les tribunaux de la province, ainsi que le droit à des institutions d’enseignement et culturelles distinctes. Mentionnons aussi la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick (Loi 88) qui repose sur la reconnaissance de l’égalité des communautés. La notion d’égalité des communautés présente des particularités qui rappellent le principe territorial. Elle vise la gestion autonome des principales institutions des deux grandes collectivités francophone et anglophone de la province.
En Ontario, le droit à des services en français dans des régions désignés combine aussi le principe de personnalité avec un usage administratif du principe de territorialité qui repose sur le critère du nombre. En ce sens, le droit à des services en français ne confère pas de droits collectifs à la minorité francophone.
Les autres secteurs de la politique linguistique au Canada, que l’on pense à l’aménagement des langues autochtones et des langues non officielles, sont guidés par le principe de personnalité dans le cas des langues autochtones officielles. Par contre, dans la plupart des cas, les initiatives sont de type symbolique. À titre d’exemple, le gouvernement fédéral a créé des programmes de financement pour promouvoir l’utilisation des langues non-officielles, incluant le volet Initiative des langues autochtones (ILA) du Programme des Autochtones géré par Patrimoine canadien. Les provinces et les territoires aussi ont créé des initiatives pour les langues autochtones et non officielles. En Nouvelle-Écosse, un ministère des Affaires gaéliques fait la promotion de la langue et de la culture gaéliques. La Colombie-Britannique a adopté le First Peoples Heritage, Language and Culture Act en 1996 et a créé le First Peoples’ Cultural Council (FPCC), qui fait la promotion des langues, de l’art et de la culture autochtone dans cette province. En 2010, le Manitoba a reconnu la présence de langues autochtones dans la province en adoptant la Loi sur la reconnaissance des langues autochtones.