En 1960, le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux, dont le Nouveau-Brunswick et l’Ontario commencent à remettre en question le modèle d’anglo-conformité au profit du bilinguisme canadien. Devant la montée du mouvement d’affirmation culturelle et politique du Québec, le gouvernement fédéral intervient de plus en plus afin de promouvoir le bilinguisme canadien. Entre autres, en 1963, le gouvernement fédéral met sur pied une importante commission d’enquête, soit la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme qui appelle à un nouveau compromis entre les deux peuples fondateurs et incite les Canadiens français et les Canadiens anglais à revoir les modalités de leur vivre ensemble. En 1969, il promulgue la Loi sur les langues officielles.
Le Nouveau-Brunswick promulgue aussi sa propre Loi sur les langues officielles, mais aucune autre province ne suit son exemple. Pour sa part, l’Ontario s’ouvre au principe selon lequel le gouvernement offrira des services en français là où c’est pratique et là où c’est raisonnable. Enfin, en 1974, le Québec fait du français la langue officielle de la province. En 1976, il adopte la Charte québécoise de la langue française (Loi 101), qui fait du français, la langue de travail et de l’affichage en plus d’obliger les immigrants à envoyer leurs enfants à l’école française.
En 1982, dans le cadre du rapatriement de la Constitution canadienne de Westminster, le gouvernement adopte une charte des droits et libertés dans laquelle il confirme l’égalité du français et de l’anglais en droit, statuts et privilèges. La Charte canadienne des droits et libertés représente un point tournant dans l’histoire du régime linguistique canadien. Non seulement, le français et l’anglais sont-ils reconnus comme des langues de citoyenneté au pays, la Chartereconnaît le droit constitutionnel des minorités de langue officielle partout au pays à une éducation dans sa langue maternelle financée à même les fonds publics (voir l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.
En 1988, le gouvernement canadien adopte une nouvelle Loi sur les langues officielles dans le cadre de laquelle il confirme, à la Partie IV, son obligation de communiquer et offrir la prestation de services au public dans la langue officielle de son choix. La Loi confère aussi aux fonctionnaires le droit de travailler dans la langue officielle de leur choix à la Partie V. Enfin, en 2005, le gouvernement fédéral révise sa législation sur les langues officielles et ajoute, à la Partie VII de la Loi, qu’il a l’obligation d’adopter des mesures positives en vue de voir au développement et à l’épanouissement des minorités de langues officielles. Il rend aussi cette partie de la loi justiciable.
Malgré ces avancées majeures au sein du régime linguistique canadien, ce dernier ne cessera de reposer sur une représentation des droits linguistiques et des langues officielles qui en font l’expression d’un compromis. En 1999, dans la cause Beaulac, la Cour suprême a d’ailleurs souligné que la référence à ce compromis, pour interpréter les droits linguistiques des minorités de langue officielle, constituait une limite à la progression de l’égalité du français et de l’anglais au pays. En 2015, la Cour suprême du Canada confirmait de nouveau l’existence de ce compromis dans la cause Caron, mais également ses limites. En somme, malgré les interprétations libérales et généreuses des droits linguistiques par la Cour suprême par le passé, la référence au compromis constitue une représentation bien instituée qui peut être utilisée pour limiter l’avancement des droits linguistiques au pays.
En résumé, depuis la fondation du pays, l’institutionnalisation graduelle du régime linguistique canadien a reposé sur une représentation hiérarchique des langues, l’anglais étant jugée supérieur au français et de toutes autres langues. En raison du fédéralisme et de l’approche de l’anglo-conformité, cette représentation a permis de cautionner les mesures discriminatoires à l’égard des Canadiens français dans l’ensemble des provinces, mais également des peuples autochtones et métis. Ces mesures ont été remises en question par de nombreux groupes de défense du français au pays. Ces groupes ainsi que les tribunaux canadiens ont contribué à la transformation des représentations de la langue au sein du régime linguistique canadien, mais sans complètement remettre en question la référence au compromis au profit de la représentation de la langue comme un droit.