Les Britanniques installèrent rapidement leurs généraux James Murray, Raphl Burton et Thomas Gage, respectivement dans les gouvernements de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal. Pendant que se poursuivait l'occupation militaire du Canada, le général anglais Jeffrey Amherst, successeur de Wolfe, procéda à l'organisation d'un régime administratif provisoire, car, tant que la guerre (guerre de Sept Ans) continuait en Europe, le sort du pays en Amérique demeurait incertain. Néanmoins, quelque 2 500 soldats et administrateurs français quittèrent immédiatement la colonie et retournèrent en France; l'année suivante, environ un millier d'autres personnes que la situation inquiétait firent de même.
Prélude du régime militaire de 1760
Situation démolinguistique
En 1761, la situation démographique se présentait ainsi : la population blanche du Canada était de 70 000 habitants (et plus de 200 000 autochtones), contre 1,6 million en Nouvelle-Angleterre. À l'île de Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse, on dénombrait 20 000 Britanniques, partagés en nombre à peu près égal entre les deux colonies. Les francophones du Canada de la vallée du Saint-Laurent formaient 99,7 % de la population. Forcément, le poids du nombre interdisait aux Britanniques de pratiquer une politique colonisatrice trop radicale. Ces derniers étaient devenus les maîtres d'un pays français et catholique, mais comme la guerre n'était pas terminée en Europe, il était possible que la Grande-Bretagne ne s'y installe que de façon provisoire. Le nombre d'anglophones était infime et, jusqu'en 1765, il ne dépassera jamais 600 personnes, presque tous les militaires étant retournés en Grande-Bretagne. Bref, à part quelques fonctionnaires, et quelques centaines de militaires et de commerçants de langue anglaise, le pays ne comptait que des francophones et des Amérindiens peu francisés. Par la suite, on sait que les francophones ne recevront pratiquement plus d'immigrants en provenance de la France, alors que les anglophones verront augmenter leur population jusqu'à ce que, vers 1806, anglophones et francophones atteignent l'égalité numérique.
Traité de Paris (1763) et l'Amérique du Nord
Par le traité de Paris de 1763, qui mettait fin officiellement à la guerre de Sept Ans (1756-1763) entre la France et la Grande-Bretagne, la Nouvelle-France, à l'exception de la Louisiane, devint officiellement une possession britannique. Les signataires du traité étaient le duc de Praslin pour la France et le duc de Bedford pour la Grande-Bretagne. De son immense empire en Amérique du Nord, la France ne conservait que les minuscules îles de Saint-Pierre-et-Miquelon au sud de Terre-Neuve. Entre-temps, la Louisiane était devenue une possession espagnole; en effet, le 3 novembre 1762, l'Espagne avait signé l'acte d'acceptation de la Louisiane (Acte d'acceptation de la Louisiane par le roi d'Espagne) à Fontainebleau.
La France perdait dans les Antilles la Grenade, Saint-Vincent, la Dominique et Tobago, ainsi que la Guyane, mais récupérait Sainte-Lucie, la Guadeloupe, Marie-Galante, la Désirade et la Martinique. En Inde, elle ne conservait que les cinq comptoirs de Chandernagor, de Yanaon, de Pondichéry, de Karikal et de Mahé, qu'il lui était interdit de fortifier. La Grande-Bretagne récupérait l’île de Minorque et l'Espagne regagnait Cuba, en compensation de la perte de la Floride passée à la Grande-Bretagne avec le Canada. Pour finir, la Grande-Bretagne obtenait le Sénégal en Afrique.
Ainsi, la guerre de Sept Ans fut particulièrement désastreuse pour la France, qui voyait son prestige militaire compromis en Europe, sa marine très affaiblie et ses finances ruinées; elle ne conservait que quelques lambeaux de son empire colonial en formation, qui passait presque entièrement aux mains de la Grande-Bretagne. Même si la France perdait ainsi son premier empire colonial, à l'époque, personne ne s'en soucia. Pourtant, pour certains historiens, la perte de la Nouvelle-France constituera dans l'histoire de la France « la plus grande défaite du monde français ». Par comparaison, les défaites de Napoléon peuvent être considérées comme négligeables.
Carte de l'Amérique du Nord britannique
Selon les dispositions du traité de Paris de 1763, la Grande-Bretagne contrôlait dorénavant un immense territoire couvrant la Terre de Rupert, la baie d'Hudson, le Canada (l'actuelle province de Québec, la grande région des Grands Lacs et la vallée de l'Ohio), l'île de Terre-Neuve, l'île du Cap-Breton, l'Acadie (qui deviendra la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick), l'île Saint-Jean (île du Prince-Édouard), toute la Nouvelle-Angleterre (treize colonies) et la Floride prise aux Espagnols.
Évidemment, le traité de Paris se trouvait à confirmer que la Grande-Bretagne était devenue le plus grand empire du monde et que l'Amérique du Nord serait dorénavant anglaise. Le nouveau cadre administratif du continent se présentait de la façon suivante :
La province de Québec (« Province of Quebec ») était déclarée colonie (ou « province ») et ses frontières englobaient la péninsule de Gaspé (arrachée à l'Acadie), la vallée du Saint-Laurent, depuis l'île d'Anticosti jusqu'à la rivière Outaouais.
La Nouvelle-Écosse (« Nova Scotia ») comprenait le nord de la baie de Fundy (l'actuel Nouveau-Brunswick), l'île Saint-Jean et l'île Royale (devenue l'île du Cap-Breton).
La colonie de Terre-Neuve (« Newfoundland ») réunissait l'île de Terre-Neuve, le Labrador et les îles de la Madeleine, afin de contrôler tout le commerce des pêcheries.
La Terre de Rupert restait sous le contrôle exclusif de la Compagnie de la Baie d'Hudson en tant que « colonie privée ».
Il restait un immense triangle (Grands Lacs, Appalaches et Mississipi) reconnu comme « Territoire indien », où il était interdit d'envoyer des colons.
Malgré tout, les Français étaient parvenus à convaincre les Britanniques de renouveler leurs droits de pêche sur la côte de Terre-Neuve (le « French Shore »); en acceptant de rendre aux Français les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, la Grande-Bretagne concédait que le petit archipel serve de refuge à la flotte de pêche française sur les Grands Bancs. Au cours de son histoire, le petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon fut pris et repris neuf fois alternativement par les Anglais et les Français, et à quatre reprises il fut totalement dévasté et tous les habitants déportés. Ce n’est qu’en 1816 que la Grande-Bretagne cèdera définitivement l’archipel à la France.
Proclamation royale de 1763 et emploi des langues
Afin de réglementer le cadre administratif des territoires nouvellement acquis en Amérique du Nord, le parlement de Westminster adopta, le 7 octobre 1763, la Proclamation royale de Georges III. Comme toutes les lois anglaises, la proclamation royale fut adoptée et promulguée en anglais, la version française n'ayant aucune valeur juridique. Il ne s'agit que d'un texte traduit à l'intention des francophones.
La Proclamation royale délimitait les frontières de la nouvelle colonie, la « Province of Quebec » (province de Québec) :
Article 1 Le gouvernement de Québec sera borné sur la côte du Labrador par la rivière Saint-Jean et de la par une ligne s'étendant de la source de cette rivière à travers le lac Saint-Jean jusqu'à l'extrémité sud du lac Nipissin, traversant de ce dernier endroit, le fleuve Saint-Laurent et le lac Champlain par 45 degrés de latitude nord, pour longer les terres hautes qui séparent les rivières qui se déversent dans ledit fleuve Saint-Laurent de celles qui se jettent dans la mer, s'étendre ensuite le long de la côte nord de la baie de Chaleurs et de la côte du golfe Saint-Laurent jusqu'au cap Rozière, puis traverser de la l'embouchure du fleuve Saint-Laurent en passant par l'extrémité ouest de l'île d'Anticosti et se terminer ensuite à ladite rivière Saint-Jean. |
Les anciennes frontières du Canada français s'étendaient de l'Acadie jusqu'aux Grands Lacs et la vallée de l'Ohio. Dès lors, toute la zone des Grands Lacs en fut détachée et érigée en « Territoire indien ». La Proclamation royale de 1763 reconnaissait aussi l'existence du droit des autochtones et désignait la Couronne anglaise comme protectrice de ce droit. En réalité, si les Britanniques « abandonnèrent » aux autochtones la plus grande partie du territoire conquis, c'est qu'ils ne pouvaient pas en assurer la défense. Aussi bien laisser temporairement les territoires incontrôlables aux autochtones.
De toute façon, les autorités coloniales savaient déjà que cette situation ne pouvait être que provisoire et que, avec l'immigration éventuelle de colons anglais, il serait plus facile de déloger ces alliés devenus trop encombrants. Il fallait aussi limiter l'expansion vers l'ouest des Treize Colonies américaines, afin de favoriser les surplus de population vers le nord : le Québec et la Nouvelle-Écosse (qui englobait alors le Nouveau-Brunswick et l'île du Prince-Édouard).
« Province » de Québec
Le premier gouverneur anglais de la nouvelle « province de Québec » fut James Murray et, comme tous les gens de sa condition, il parlait bien le français. Murray dut mettre en application la politique du gouvernement britannique : il s'agissait de faire du Canada une nouvelle colonie en favorisant l'immigration anglaise et l'assimilation des francophones, en implantant la religion officielle de l'État — l'anglicanisme — et en instaurant de nouvelles structures politiques et administratives conformes à la tradition britannique. C'était une politique considérée comme normale pour l'époque, et les Français, les Espagnols et les Portugais ne s'en privaient pas dans leurs différentes colonies, bien que ce ne soit pas nécessairement facile à appliquer. La Proclamation royale de 1763 prévoyait que le gouverneur devrait convoquer une assemblée générale des représentants du peuple, quand les circonstances le permettraient (ce qui n'a jamais été fait).
Dès 1764, James Murray établit les premières institutions judiciaires et décréta qu'on devait dorénavant juger « toutes les causes civiles et criminelles conformément aux lois d'Angleterre et aux ordonnances de cette province ». De plus, tout employé de l'État devait prêter le « serment du test ». Pour accéder à une fonction publique dans le système anglais, il fallait prêter ce serment afin de prouver qu'on était ainsi anglican pratiquant. Le serment du test comprenait quatre serments : l'allégeance à la Couronne britannique, la répudiation du prétendant Jacques II (de religion catholique) au trône d'Angleterre, le rejet de l'autorité du pape et l'abandon du dogme de la transsubstantiation (changement de toute la substance du pain et du vin en substance du corps et du sang du Christ) dans le sacrifice de la messe. Si un catholique pouvait aisément prêter les deux premiers serments, il n'en était pas ainsi pour les deux autres, à moins de trouver des dispenses pour rendre possible l'administration du pays.
Ces mesures vinrent à écarter presque automatiquement tous les Canadiens français (à l'exception de quelques huguenots, donc protestants, restés au pays) des fonctions publiques telles que fonctionnaire, greffier, avocat, apothicaire, capitaine, lieutenant, sergent, etc. Pour le procureur général de la province de Québec, Francis Maseres (descendant d'un huguenot français), il fallait assimiler les Canadiens :
Il s'agit de maintenir dans la paix et l'harmonie et de fusionner, pour ainsi dire en une seule, deux races qui pratiquent actuellement deux religions différentes, parlent des langues qui leur sont réciproquement étrangères et sont par leurs instincts portées à proférer des lois différentes. La masse des habitants est composée de Français originaires de la vieille France ou de Canadiens nés dans la colonie, parlant la langue française seulement et formant une population évaluée à quatre-vingt-dix mille âmes ou, comme les Français l'établissent par leur mémoire, à dix mille chefs de famille. Le reste des habitants se compose de natifs de la Grande-Bretagne ou d'Irlande ou des possessions britanniques de l'Amérique du Nord qui atteignent actuellement le chiffre de six cents âmes. Néanmoins, si la province est administrée de manière à donner satisfaction aux habitants, ce nombre s'accroîtra chaque jour par l'arrivée de nouveaux colons qui y viendront dans le dessein de se livrer au commerce ou à l'agriculture en sorte qu'avec le temps il pourra devenir égal, même supérieur à celui de la population française. |
Le problème, c'est que l'immigration anglaise que l'on souhaitait tant attirer ne vint pas (elle n'arrivera qu'après 1783), parce que les nouveaux colons se dirigèrent plutôt en Nouvelle-Écosse (l'ancienne Acadie), pendant que la population francophone augmentait rapidement en raison de sa très forte natalité. Dès le départ, les autorités britanniques s'attendaient à ce que les soldats s'installent dans la « province de Québec » en grand nombre et assimilent éventuellement la population canadienne-française. Mais ce n'est pas ce qui s'est produit. D'ailleurs, l'histoire démontre que, au contraire, une armée d'occupation formée uniquement d'hommes entraîne généralement la disparition de la langue des conquérants, car la langue (maternelle) se transmet par la mère qui parle la langue du conquis. Les Normands (anciens Vikings) ont perdu leur langue de cette façon en envahissant la France. Dans le cas du Canada, les militaires sont presque tous retournés dans leur pays, à l'exception des troupes stationnées au pays. Justement, il y eut quelques mariages entre des Canadiennes et des soldats anglais.
Inévitable pragmatisme
Comme il fallait s'y attendre, il fut impossible pour James Murray d'appliquer à la lettre les lois civiles anglaises dans la « province de Québec ». Tout allait mal! Même le commerce des fourrures — le secteur le plus dynamique de l'économie — périclitait parce qu'on ne pouvait plus s'approvisionner dans le réservoir pelletier des Grands Lacs et celui du Nord. L'instauration des lois civiles anglaises menaçait la langue française et minait la société canadienne-française. La prestation du serment du test avait exclu les francophones de l'administration publique et les avait soumis à l'autorité d'une petite minorité protestante et anglophone (les Montrealers). Le fait de ne pas reconnaître l'autorité du pape rendait impossible la nomination d'un successeur à l'évêque de Québec (décédé en 1760) et, par voie de conséquence, vouait à l'extinction le clergé catholique, qui ne pouvait plus ordonner de nouveaux prêtres.
La situation devint rapidement grotesque dans les tribunaux, car la population était régie par des lois dont elle ignorait le moindre mot et entendue par des juges et des jurés qui ne comprenaient rien au tituation d des parties de langue française. Devant ce fait, les Canadiens boudèrent systématiquement les tribunaux et la fonction publique, laissant toute la place aux anglophones qui remplacèrent rapidement les cadres francophones dans les domaines de l’information, du commerce, de l’économie, de l’industrie et de l’administration.
Contrairement aux attentes des autorités, l'assimilation des francophones s'est révélée impossible, les quelque 500 familles anglaises ne pouvant pas assimiler la vaste majorité de la population. De plus, les coureurs des bois francophones disséminés dans la région des Grands Lacs demeurèrent hors de portée des autorités qui les considéraient comme un « ramassis de vagabonds sans foi ni loi ». Enfin, le gouverneur constatait que les colons de la Nouvelle-Angleterre manifestaient de plus en plus violemment leur mécontentement et exigeaient des changements radicaux. Évidemment, les colons anglais des Treize Colonies furent bien déçus de ne pouvoir faire main basse sur les nouveaux territoires récemment acquis, eux qui désiraient élargir leur expansion vers l'ouest. Or, c'est surtout ce que les autorités britanniques ne voulaient pas. Au contraire, elles désiraient plutôt favoriser les surplus de population vers le nord : le Québec et la Nouvelle-Écosse, ce qui permettrait d'assimiler les « nouveaux sujets » (les francophones) de Sa Majesté. Accepter que les colons de la Nouvelle-Angleterre poursuivent leur expansion vers l'ouest, c'était tenir pour acquis que le Canada resterait indéfiniment français.
Avant d'en arriver à minoriser les Canadiens dans leur pays, il fallait que les autorités britanniques fassent preuve de patience; le gouverneur James Murray comprit la situation et se montra tolérant. Contrairement aux premières directives de Londres, il laissa la hiérarchie catholique remplir les obligations de son ministère, dispensa du serment du test les Canadiens dont il avait besoin pour les fonctions publiques et autorisa qu'on plaidât en français en recourant aux lois civiles d'avant la Conquête. Le successeur de Murray, le gouverneur Guy Carleton, continua de pratiquer une politique tout aussi conciliante à l'égard des francophones et à rechercher leur appui, malgré l'indignation de la population anglaise, essentiellement des commerçants londoniens, nouvellement arrivés dans la « province ».
Pendant ce temps, les commerçants anglais avaient commencé à diriger l'économie de la colonie. Dès 1765, une pétition adressée au roi par un groupe de marchands anglais demande « l'établissement d'une Chambre des représentants dans cette province comme dans toutes les autres colonies » sous domination britannique. Dans l'esprit des pétitionnaires, seuls les « anciens sujets de Sa Majesté » — les Britanniques installés au Canada — devaient être éligibles. Après tout, la colonie de la Nouvelle-Écosse avait bien son assemblée depuis 1758. Toutefois, les Canadiens, désignés comme les « nouveaux sujets de Sa Majesté », portèrent peu d'intérêt à ces revendications qui les auraient exclus de la carrière parlementaire. De toute façon, les autorités britanniques refusèrent la demande des marchands. Puis les sociétés britanniques s'installèrent dans la province et s'y comportèrent en nouveaux maîtres. Pour leur part, les commerçants français avaient quitté le pays ou avaient été ruinés parce que, en vertu des lois britanniques, la Grande-Bretagne exigeait que le commerce se fasse par ses sociétés. C'est donc l'anglais qui, après 1763, servit progressivement, à Montréal et à Québec, de langue véhiculaire porteuse de la « civilisation universelle ». Dans les faits, l'anglais ne remplaça pas le français dans la vie quotidienne des Canadiens francophones, mais lentement la langue française du Canada commença à s'imprégner de nouveaux mots transmis par les « anciens sujets » (les Britanniques) de Sa Majesté.
La Conquête anglaise apporta aussi aux Canadiens l'imprimerie et les journaux (interdits sous le Régime français), qui contribuèrent à répandre la langue française écrite. Les imprimeurs américains Brown et Gilmore arrivèrent à Québec en 1764 et publièrent le premier journal, la Gazette de Québec / The Quebec CGazette, un journal bilingue de quatre pages et soutenu par 143 abonnés. Plus d'une dizaine d'années plus tard, le Français Fleury Mesplet publiera en juin 1778, à Montréal, l'ancêtre de The Gazette : La Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal. Par ailleurs, le gouverneur Frederik Haldimand (1778-1784), un Suisse francophone (originaire du canton de Vaud), fonda la première bibliothèque publique du pays qu'il installa dans l'ancien palais épiscopal de Québec, loué par le gouvernement; elle était bilingue.
Acte de Québec de 1774 et dualité linguistique
Devant les difficultés et le climat qui se détérioraient dans les colonies anglaises de la Nouvelle-Angleterre, le gouvernement britannique devait prendre des mesures afin d'éviter que se propagent les tendances autonomistes dans ses colonies du Nord. Pour sa part, le gouverneur de la « province de Québec », Guy Carleton, un aristocrate anglo-irlandais, ne semblait guère avoir une grande confiance envers les Canadiens, du moins si l'on en juge par ces propos : « J'ose croire que, si nous pouvions compter sur la population, nous pourrions tenir la place. Mais nous avons tant d'ennemis chez ce peuple sot trompé par des traîtres. »
Malgré son peu d'enthousiasme, le gouverneur Carleton recommanda à Londres de prendre des dispositions afin de s'assurer la fidélité des Canadiens en cas de conflit avec les Treize Colonies. C'est que le pragmatisme politique prévalut; le gouverneur Carleton jugea préférable de prendre position en faveur des Canadiens plutôt que pour les marchands anglais. Il devint même, à certains égards, sympathique à la cause des Canadiens. Il finit par tolérer que les affaires judiciaires impliquant des Canadiens soient jugées selon les lois françaises et que des catholiques puissent accéder à des fonctions officielles.
Réalisme politique des Britanniques
Par réalisme politique, le gouvernement britannique fit adopter par le parlement de Westminster, le 20 mai 1774, l'Acte de Québec (traduction traditionnelle de Quebec Act), une loi constitutionnelle destinée à modifier le statut de la « province de Québec ». La loi portait le titre complet suivant : « Act for making more effectual provision for the government of the province of Quebec in North America » (Loi réglementant plus solidement le gouvernement de la province de Québec en Amérique du Nord). Cette loi témoignait avec éloquence des concessions faites par Londres dans l'administration de la colonie, afin de gagner l'appui des Canadiens face à l'agitation grandissante de la Nouvelle-Angleterre.
L'article 4 de l'Acte de Québec décrétait la révocation de la Proclamation royale de 1763, concernant le droit français et de tous les pouvoirs exercés par les gouverneurs de 1760 à 1774 : c'était la remise en vigueur de la Coutume de Paris, c'est-à-dire des lois civiles françaises. Devant les difficultés de faire fonctionner la « province de Québec » avec leurs lois et leur langue, les autorités britanniques avaient fini par se plier aux circonstances et, en quelque sorte, battre en retraite. L'Acte de Québec constitue certainement l'une des lois les plus décisives de l'histoire canadienne.
La nouvelle Constitution qui régissait la « province de Québec » agrandissait considérablement le territoire de la colonie en lui ajoutant la zone amérindienne créée en 1763, c'est-à-dire le nord de la province à partir du Labrador jusque dans la région des Grands Lacs. En élargissant les frontières du Québec, les autorités britanniques s'assuraient ainsi du contrôle à partir du Labrador jusqu'à la vallée de l'Ohio, incluant le système hydrographique des Grands Lacs et la vallée du Saint-Laurent. Bref, la Grande-Bretagne redonnait à la « province de Québec » un territoire qui rappelait celui de la Nouvelle-France (sans la Louisiane).
La loi constitutionnelle réorganisait aussi le système judiciaire. Les lois civiles françaises étaient rétablies sur tout le nouveau territoire, mais en matière criminelle le droit anglais continuait de s'appliquer. La religion catholique était maintenant officiellement reconnue; cela permettait aux Canadiens d'accéder à la magistrature et aux autres fonctions publiques. L'Acte de Québec abolissait aussi le fameux serment du test et autorisait le clergé catholique à percevoir la dîme. De plus, la loi reconnaissait comme légal le régime seigneurial en usage dans la colonie depuis le Régime français. Cependant, Londres n'avait pas accordé d'assemblée élue de peur qu'elle soit contrôlée par la majorité francophone.
Parce que le français ne faisait pas encore problème, l'Acte de Québec, comme c'était la coutume à l'époque, est demeuré silencieux au sujet de la langue. Le français était toujours la langue des communications internationales, la Cour de Londres l'utilisait parfois, les hauts fonctionnaires de la province étaient bilingues, comme l'étaient tous les Anglais appartenant aux classes supérieures de la société. Durant de nombreuses décennies, tous les gouverneurs généraux furent bilingues.
En d'autres mots, on pourrait dire que l'Acte de Québec assurait implicitement au français un usage presque officiel, surtout en rétablissant les lois civiles françaises (qui étaient forcément rédigées en français). On n'a pas vu la nécessité de consacrer à la langue une disposition particulière dans le document constitutionnel. En tout cas, c'est principalement à partir d'un texte juridique très ambigu que s'autoriseront, dans les régimes ultérieurs, les défenseurs de la langue française pour justifier leurs droits acquis au Canada :
Article 8
Il est aussi établi, par la susdite autorité, que tous les sujets Canadiens de Sa Majesté en ladite province de Québec (les Ordres religieux et Communautés seulement exceptés) pourront aussi tenir leurs propriétés et possessions, et en jouir, ensemble de tous les usages et coutumes qui les concernent, et de tous leurs autres droits de citoyens, d'une manière aussi ample, aussi étendue, et aussi avantageuse, que si lesdites proclamation, commissions, ordonnances, et autres actes et instruments, n'avoient point été faits, en gardant à Sa Majesté la foi et fidélité qu'ils lui doivent, et la soumission due à la couronne et au parlement de la Grande-Bretagne : et que dans toutes affaires en litige, qui concerneront leurs propriétés et leurs droits de citoyens, ils auront recours aux lois du Canada, comme les maximes sur lesquelles elles doivent être décidées : et que tous procès qui seront à l'avenir intentés dans aucune des cours de justice, qui seront constituées dans ladite province, par Sa Majesté, ses héritiers et successeurs, y seront juges, eu égard à telles propriétés et à tels droits, en conséquence desdites lois et coutumes du Canada, jusqu'à ce qu'elles soient changées ou altérées par quelques ordonnances qui seront passées à l'avenir dans ladite province par le Gouverneur, Lieutenant-Gouverneur, ou Commandant en chef, de l'avis et consentement du Conseil législatif qui y sera constitué de la manière ci-après mentionnée.
Au Canada, la loi constitutionnelle fut bien accueillie par les Canadiens en général, surtout par l'aristocratie seigneuriale qui voyait reconnaître ses droits et par le clergé catholique qui recevait un meilleur statut. Mais elle souleva l'indignation des marchands anglais à qui Londres refusait son assemblée représentative dans la province tout en remettant en vigueur des lois civiles françaises. Le 1 er mai 1775, on inaugura à Montréal un buste de George III afin de souligner l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution (l'Acte de Québec). La foule des Montréalais constata avec surprise que le buste portait l'inscription « Voilà le pape du Canada et le sot Anglais ». Il semble que des marchands anglo-protestants en colère contre le souverain aient été à l'origine de cet acte de vandalisme.
De toute façon, la colère des Anglais de Montréal apparut comme une simple « irritation » en comparaison de celle des colons de la Nouvelle-Angleterre, qui allèrent jusqu'à la rébellion armée. Le 8 mai, le gouverneur de la province publia une proclamation promettant « 200 piastres » à ceux qui dénonceront les coupables, ces personnes « méchantes et mal intentionnées [...] ayant défiguré impudemment le Buste de sa Majesté, en la ville de Montréal, en cette province ». Les coupables ne furent jamais trouvés, malgré la promesse d'une récompense en argent annoncée par les autorités. La disparition du symbole de la monarchie fut attribuée aux troupes américaines qui se sont emparées de Montréal en 1775.