Le 3 septembre 1755, le lieutenant-colonel John Winslow convoqua les Acadiens de Grand-Pré et leur lut la proclamation suivante dans l'église Saint-Charles-des-Mines (à Grand-Pré) :
J'ai reçu de Son Excellence le gouverneur Lawrence, les instructions du roi. C'est par ses ordres que vous êtes assemblés pour entendre la résolution finale de Sa Majesté concernant les habitants français de cette province de la Nouvelle-Écosse qui, durant un demi-siècle, ont reçu plus d'indulgences que tous autres sujets britanniques du Dominion de sa Majesté. De quel usage vous en avez fait, vous seuls le savez.
Le devoir qui m'incombe, quoique nécessaire, est très désagréable à ma nature et à mon caractère, de même qu'il doit vous être pénible à vous qui avez la même nature.
Mais ce n'est pas à moi de critiquer les ordres que je reçois, mais de m'y conformer. Je vous communiquer donc, sans hésitation, les ordres et instructions de Sa Majesté, à savoir que toutes...
Vos terres, vos maisons, votre bétail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisqués au profit de la couronne, avec tous vos autres effets, excepté votre argent et vos mobiliers, et que vous-mêmes vous devez être transportés hors de cette province.
Les ordres péremptoires de Sa Majesté sont que tous les habitants de ces districts soient déportés, et selon la bonté de Sa Majesté vous permettant la liberté d'apporter tout argent et choses personnelles que vous pourrez transporter sans incommoder les navires sur lesquels vous serez déportés. Je ferais l'impossible pour assurer la sécurité de vos biens et pour vous protéger contre toute acte de brutalité durant leur transport et que des familles entières soient transportées ensemble sur le même vaisseau. Je suis assuré que malgré votre grand malaise durant cet avènement, nous souhaitons que la partie du monde où vous serez, vous demeurez des sujets fidèles à sa majesté tout en étant un peuple heureux et paisible.
Je me dois de vous aviser que le plaisir de Sa Majesté désire vous garder en sécurité sous l'inspection et la direction des troupes de soldats que j'ai l'honneur de commander.
La déportation, que les Acadiens appelèrent le « Grand Dérangement », se fit avec une surprenante rapidité. Non seulement Charles Lawrence mobilisa toutes les troupes (315 miliciens) que la Grande-Bretagne avait réunies dans la colonie, mais il avait obtenu l'appui du gouverneur William Shirley du Massachusetts de convaincre la Cour générale de la colonie d'envoyer 2000 volontaires pour chasser les Acadiens et les Français de la Nouvelle-Écosse. Puis, il mobilisa une flotte de navires marchands (16 bateaux réquisitionnés en Nouvelle-Angleterre) et fit vider la population acadienne, village après village, à Grand-Pré, aux Mines, à Beaubassin, autour de la baie Française (baie de Fundy), etc.
Avant la fin de 1755, plus de 7 000 Acadiens étaient déjà partis en exil; des milliers d'autres suivront dans les années suivantes. Sur une population d'environ 13 500 Acadiens, on estime que plus de 12 600 furent déportés, mais plus de 4 000 d'entre eux moururent de maladies contagieuses. D'autres réussiront à atteindre le Canada ou l'Acadie demeurée française (la Gaspésie, l'île Royale ou l'île Saint-Jean). Comme on peut le constater au tableau ci-dessous, c'est en France que les Acadiens déportés furent les plus nombreux (3500), puis le Canada (2000), le Massachusetts (1043) et le Connecticut (666).
Place
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Population
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Connecticut
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666
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New-York
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249
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Maryland
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810
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Pennsylvanie
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383
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Caroline du Sud
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280
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Géorgie
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185
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Massachusetts
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1043
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Rivière Saint-Jean
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86
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Île Saint-Jean
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300
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Baie des Chaleurs
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700
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Nouvelle-Écosse
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1249
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Vallée du Saint-Laurent (Canada)
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2000
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Angleterre
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866
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France
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3500
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Louisiane
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300
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TOTAL
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12 617
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Source : R.A. LEBLANC. « Les migrations acadiennes », dans Cahiers de géographie du Québec vol. 23, no 58, avril 1979, p. 99-124.
Cette opération de bannissement s'étendit jusqu'en 1762. Les Britanniques estimaient que, une fois dispersés, les Acadiens ne représenteraient plus une menace et s'assimileraient aux populations locales. On qualifierait aujourd'hui ce genre d'opération d'« épuration ethnique ». Du côté linguistique, il s'agit d'une opération radicale, car en faisant disparaître les gens on fait disparaître la langue de ces locuteurs ! Français et Britanniques se sont fait le coup à quelques reprises dans le petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. En effet, de 1690 à 1814, l'archipel fut pris et repris neuf fois alternativement par les Français et les Britanniques, et, à quatre reprises, il fut totalement dévasté et tous les habitants déportés : un véritable chassé-croisés de déportés, de maisons et de terres brûlées durant 125 années ! La différence, c'est que la déportation acadienne fut organisée à une plus grande échelle et sans l'autorisation du gouvernement britannique qui, après coup, cautionna quand même l'opération. Rappelons qu'à Louisbourg les Anglais avaient déporté en 1745 vers la France toute la colonie française (4 000 personnes) après la capitulation, mais les Français revinrent en 1748.
Par la suite, le coeur de l'Acadie se déplaça vers l'ouest, puis vers la Louisiane devenue espagnole en 1762. Pendant des années, les colonies de Nouvelle-Angleterre se plaindront auprès de Londres de l'arrivée de ces milliers d'Acadiens démunis — et parlant français — que les colons américains seront obligés de loger et de nourrir, sans compensations de la part du gouvernement britannique. À Londres, une enquête sera même instituée pour éclaircir les circonstances entourant la déportation, car des accusations furent portées contre Charles Lawrence qui aurait vendu à l'armée des vivres confisquées au nom du roi et aurait exercé, à des fins personnelles, un certain contrôle sur la distribution des terres aux nouveaux colons arrivant en Nouvelle-Écosse. Mais les accusations n'eurent pas le temps d'aboutir en cour, Lawrence étant décédé en 1760. En somme, la déportation constituait une mesure radicale pour modifier les rapports de force entre des populations différentes. Le vide laissé par les Acadiens allait être vite rempli par les colons anglophones.