Un changement de cap dans les droits linguistiques (1963-1969)

Introduction

Bien que les autochtones aient pris pied en Amérique avant les Européens, ce sont les anglophones et les francophones qui ont donné naissance au Canada politique que nous connaissons. Dans les années 1960, les deux grandes communautés linguistiques n'étaient pas encore parvenues à s'entendre, mais il paraissait évident que le Canada se devait de mieux respecter ses minorités linguistiques et qu'il lui fallait bien plus que des ajustements occasionnels pour permettre à tous ses citoyens de vivre davantage en harmonie. Le pays était mûr pour un profond changement de cap, comme c'était d'ailleurs le cas dans plusieurs autres pays du monde. En effet, lors de cette décennie de 1960, on assista, dans de nombreux pays, à des modifications politiques considérables sur la question de la protection linguistique. Plusieurs anciennes colonies britanniques et françaises sont devenues des États souverains et, en même temps, des groupes minoritaires voulurent changer leur statut et accéder à un sort plus enviable et plus juste. Le Canada s'inscrit dans cette foulée de libération nationale et d'acquisition et de promotion des droits linguistiques. Il faut dire aussi que la décennie de 1960  apporta, dans le monde entier, l'implication grandissante de l'État dans la vie des citoyens. La langue ne pouvait faire exception.

L'arrivée au pouvoir du premier ministre Lester B. Pearson (de 1963 à 1968) marqua de la part du gouvernement canadien une certaine volonté de changement. Voulant préserver l'unité nationale, Pearson s'engagea à accorder une attention particulière au bilinguisme et mit sur pied une commission d'enquête chargée de faire le point sur la situation du bilinguisme et du biculturalisme au Canada. C'est aussi l'époque de la montée du mouvement souverainiste québécois, celle de l'arrivée sur la scène politique fédérale de Pierre Elliott Trudeau favorisant les droits individuels, celle de l'adoption de la Loi sur les langues officielles (1969), qui inaugurera la période des lois linguistiques au Canada, puis la loi fédérale sera suivie d'une autre sur le multiculturalisme.

Au même moment, dans certaines provinces, les minorités francophones revendiquaient des changements substantiels autres que cosmétiques, notamment en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Le Québec, de son côté, vivait une période d'effervescence qu'on a appelé la Révolution tranquille; ce fut une période de déblocage caractérisée notamment par l'avènement d'un État plus moderne et l'action socio-économique, l'affirmation de l'identité québécoise et la prise de conscience linguistique. Plus tard, les tribunaux interviendront dans certaines provinces récalcitrantes afin de faire respecter les droits des minorités. Ainsi commençait l'avènement des droits et des lois linguistiques au Canada. 

Ce fut d'abord en 1962 la formation de la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (dite « Commission Glassco »); on y discuta la question du bilinguisme dans l'organisation gouvernementale. La Commission Glassco déposa en 1962 un rapport sur la gestion de la fonction publique. L'année suivante, le gouvernement canadien autorisa la Commission du service civil à établir un centre de formation linguistique. On évaluait le coût annuel à 900 000 dollars, mais en 1970 le Centre de formation linguistique disposait d'un budget de neuf millions de dollars. On estimait qu'il faudrait mettre de 20 à 25 ans pour répondre aux besoins de la fonction publique en matière de bilinguisme grâce au recrutement externe.

Lester B. Pearson(1897-1972), André Laurendeau(1912-1968), Davidson Dunton(1912-1987))

Trois mois après son élection (avril 1963), le premier ministre canadien Lester B. Pearson créait une commission royale d'enquête dont le mandat était de faire le point sur le bilinguisme et le biculturalisme au Canada. Dans une lettre envoyée à tous les premiers ministres provinciaux en mai 1963, Lester B. Pearson écrivait :

Dans un discours que je prononçais le 17 décembre 1962 à la Chambre des communes sur les difficultés et les avantages que présente dans notre pays la dualité de langue et de culture établie par la Confédération, je proposais la tenue d'une vaste enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme en consultation avec les gouvernements provinciaux. Cette proposition a été accueillie très favorablement au Parlement et aussi, je crois, dans le pays.

L'idée d'une telle commission avait été lancée, l'année précédente, par le journaliste André Laurendeau (1912-1968) très inquiété par la montée du discours sécessionniste au Québec et par l'indifférence du Canada anglais sur cette question. Monsieur Pearson fit appel à André Laurendeau pour diriger la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. À l'exemple de plusieurs commissions canadiennes, on fit appel également à un coprésident de langue et de culture canadienne-anglaise : le journaliste Davidson Dunton (1912-1987). La Commission Laurendeau-Dunton fut aussi connue avec l'appellation familière de Commission BB en français et B & B Commission en anglais (pour bilinguisme et biculturalisme). Tel qu'il était exprimé dans le mandat de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, l'enjeu fondamental se lisait ainsi :

Faire enquête et rapport sur l'état présent du bilinguisme et du biculturalisme au Canada et recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d'après le principe de l'égalité entre les deux peuples qui l'ont fondée, compte tenu de l'apport des autres groupes ethniques à l'enrichissement culturel du Canada, ainsi que les mesures à prendre pour sauvegarder cet apport.

Laurendeau et Dunton organisèrent des réunions avec tous les premiers ministres provinciaux afin de connaître leur opinion sur la question. Vinrent ensuite les rencontres régionales qui permirent, encore davantage, de constater l'ignorance des Canadiens devant les problèmes auxquels s'attaquait la commission. Plus de 400 mémoires des plus variés furent présentés à la Commission, dont les travaux ont sans doute sensibilisé beaucoup de Canadiens à l'importance de préserver et de promouvoir tant la dualité que la diversité culturelle et linguistique. Entre 1964 et 1967, la Commission commanda au moins 165 études, dont 24 furent publiées. Cette intense activité scientifique a permis une meilleure connaissance de la réalité canadienne au plan linguistique. En se fondant sur des données démographiques, sociales, scolaires, économiques et juridiques liées à la langue et aux communautés minoritaires, le gouvernement avait en mains ce qu'il fallait pour cerner certaines lacunes et agir en conséquence. En fait, on peut dire que la Commission Laurendeau-Dunton a laissé un important héritage de recherche. Après deux ans de travaux et de rencontres à travers le pays, les commissaires étaient catégoriques sur les dangers que courait le pays :

Tout ce que nous avons vu et entendu nous a convaincus que le Canada traverse la période la plus critique de son histoire depuis la Confédération. Nous croyons qu'il y a crise [...]. Nous ignorons si cette crise sera longue ou brève. Nous sommes toutefois convaincus qu'elle existe. Les signes de danger sont nombreux et sérieux.

Si cette crise persistait et continuait de s'accentuer, elle pouvait, selon les commissaires, conduire éventuellement à la destruction du Canada, mais si elle était surmontée, elle contribuerait à la renaissance d'un Canada plus dynamique et plus riche. Les membres de la Commission n'ignoraient pas que des difficultés étaient monnaie courante dans les pays où coexistaient plusieurs cultures et plusieurs langues, mais des solutions étaient néanmoins possibles pour assurer une paix sociale viable. L'une d'elles consistait à mettre en pratique une politique équitable pour les principales communautés linguistiques du pays. 

Législation fédérale et droits linguistiques (1969 et 1988)

À la suite des nombreuses recommandations proposées par la Commission Laurendeau-Dunton, la Chambre des communes adopta en 1969 la Loi sur les langues officielles. Cette loi conférait un statut co-officiel à l'anglais et au français, mais seulement dans le cas des organismes et institutions relevant de la juridiction fédérale. Cette loi devenait la première loi à caractère proprement linguistique adoptée par le Parlement fédéral. Le Canada étant une fédération, la loi devait respecter la Constitution canadienne en ne modifiant pas les champs de juridiction entre les provinces et le gouvernement fédéral. Bref, la loi ne  pouvait pas intervenir dans les politiques linguistiques des provinces. Rappelons que la Loi sur les langues officielles de 1969 fut abrogée en 1988 lors de l'adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles, alors que Brian Mulroney (1984-1993) était premier ministre canadien. La législation fédérale accorde des droits personnels à tout citoyen canadien pour qu'il puisse communiquer dans la langue de son choix avec le gouvernement fédéral et faire instruire ses enfants dans une langue minoritaire. Elle ne donne pas de droits collectifs au sens où certaines législations l'entendent, par exemple au Nouveau-Brunswick et au Québec. Enfin, l'adoption de la Loi sur les langues officielles reléguait aux oubliettes le temps où le bilinguisme se limitait à quelques symboles (timbres, billets de banque, etc.) et à la traduction des lois et certains documents administratifs.

La grande innovation de la Loi sur les langues officielles résidait dans le fait qu'elle instaurait le bilinguisme officiel au gouvernement fédéral du Canada. Pour la première fois dans l'histoire du Canada, sous l’initiative du premier ministre Pierre Elliot Trudeau (1968-1979), une loi fédérale définissait les droits linguistiques des citoyens dans leurs relations avec le Parlement, le gouvernement fédéral et les institutions fédérales, ainsi que les devoirs de ces institutions envers le citoyen en matière de langue. C'était un changement radical dans la question linguistique canadienne.

L'article 2 de la Loi sur les langues officielles de 1969 se lisait comme suit : ''L'anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du parlement et du gouvernement du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.''

Pierre Elliott Trudeau

La loi décrétait aussi (art. 8) que « dans l'interprétation d'un texte législatif, les versions officielles font pareillement autorité ». Dans le domaine de la justice, la loi venait compléter les dispositions de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 en prescrivant que les jugements des cours fédérales soient émis dans les deux langues (art. 5) et que des services d'interprétation soient disponibles dans ces causes. Toutefois, là où la Loi sur les langues officielles innovait vraiment, c'est dans le fait que, à l'article 9, on exigeait des ministères, départements ou autres organismes du gouvernement fédéral, comme les sociétés d'États, de veiller à ce que le « public puisse communiquer avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles ». En fait, la loi engageait non seulement le Parlement et la justice, mais aussi toute l'administration fédérale.

De 1867 à 1969, la plupart des règlements et décrets ont été rédigés en anglais seulement, habituellement par le gouverneur en conseil. Ces actes étaient généralement ensuite imprimés et publiés dans la Gazette du Canada dans les deux langues officielles. Avant que ne soient rendus les jugements Blaikie (en 1979 et 1981), on ne croyait pas que la Constitution exigeait l'adoption bilingue de la « législation déléguée ». À compter de 1969, la Loi sur les langues officielles a exigé que les règles, ordonnances, décrets, règlements et proclamations dont la publication est exigée en vertu d'une loi du parlement du Canada soient tous rédigés et publiés dans les deux langues officielles.

Quant aux articles 12 à 15 de la Loi sur les langues officielles, ils étaient consacrés à la création et à l'administration de « districts bilingues » dans les cas où moins de 10 % de la population concernée avait pour langue maternelle l'une des langues officielles (art. 13). Enfin, les articles 19 à 34 de la loi concernaient le rôle du commissaire aux langues officielles; celui-ci devait faire respecter la loi et recevoir les plaintes des citoyens. Pour ce qui est des districts bilingues, ils n'ont jamais vu le jour. On a tenté d'abord de déclarer tout le Québec « district bilingue »; devant l'indignation et les protestations du Québec, le gouvernement fédéral a cru plus prudent de reculer. Puis le concept a été oublié.

Cette politique nationale des deux langues officielles fut difficile d'application et ne modifia guère la réalité quotidienne des citoyens canadiens. Elle a surtout eu comme avantage de garantir des services en français aux minorités hors Québec, forçant un certain nombre de fonctionnaires fédéraux à apprendre le français. Mais les résultats ne furent jamais très concluants. D'ailleurs, tous les commissaires aux langues officielles nommés par le gouvernement fédéral déplorèrent successivement la lenteur, sinon le refus, de respecter la loi. Il n'est pas surprenant qu'on ait senti le besoin d'adopter une nouvelle loi en 1988. 

Loi constitutionnelle de 1982 et Charte des droits et libertés

En 1982, le Canada a adopté une loi constitutionnelle additionnelle : la Loi constitutionnelle de 1982. Celle-ci ne remplaçait pas les textes constitutionnels en vigueur, dont la Loi constitutionnelle de 1867, mais venait les compléter. Les circonstances dans lesquelles fut adoptée cette nouvelle constitution dans laquelle est enchâssée la Charte canadienne des droits et libertés ont été perçues par certains comme un peu troubles. C'est que la Constitution a été approuvée par neuf provinces (anglophones) et le gouvernement fédéral, et ce, sans le consentement du Québec, la seule province à prédominance francophone. Cela dit, la Loi constitutionnelle de 1982 innovait grandement en matière linguistique par rapport au texte constitutionnel de 1867. Elle prévoit d'ailleurs une procédure de modification des dispositions linguistiques constitutionnelles qui varie selon que la modification touche une disposition applicable à certaines provinces seulement, à l'ensemble des provinces ou au gouvernement fédéral. 

Canadian Charter of Rights and Freedoms

En matière de langue, la plupart des dispositions constitutionnelles ne portent que sur le bilinguisme des institutions fédérales et celles du Nouveau-Brunswick, sauf l'article 14 (tribunaux) et l'article 23 (accès à l'école dans la langue de la minorité). L'article l'article 14 se lit comme suit :

La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu'ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu'ils sont atteints de surdité, ont droit à l'assistance d'un interprète.

Les articles 16 à 22 constitutionnalisent les dispositions de la Loi sur les langues officielles de 1969 concernant les langues du Parlement fédéral, des tribunaux fédéraux et des services offerts par le gouvernement central; il en est ainsi de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick de 1969 :

Article 16

  1. Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du parlement et du gouvernement du Canada.
  2. Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.
  3. La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.

Article 17

  1. Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux du Parlement.
  2. Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans les débats et travaux de la Législature du Nouveau-Brunswick.

Article 18

  1. Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.
  2. Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

Article 19

  1. Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par le Parlement et dans tous les actes de procédure qui en découlent.
  2. Chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Nouveau-Brunswick et dans tous les tous les actes de procédure qui en découlent.

Article 20

  1. Le public a, au Canada, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas:

    a) l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;

    b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.

  2. Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.

Article 21

Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet, en ce qui a trait à la langue française ou anglaise ou à ces deux langues, de porter atteinte aux droits, privilèges ou obligations qui existent ou sont maintenus aux termes d'une autre disposition de la Constitution du Canada.

Article 22

Les articles 16 à 20 n'ont pas pour effet de porter atteinte aux droits et privilèges, antérieurs ou postérieurs à l'entrée en vigueur de la présente charte et découlant de la loi ou de la coutume, des langues autres que le français ou l'anglais.

En 1993, une modification constitutionnelle a été adoptée par insertion de l'article 16.1 au sujet du Nouveau-Brunswick :

Article 16.1

  1. La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.
  2. Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraphe 1) est confirmé.

On consacre dans la Constitution le concept d'égalité juridique des langues au Parlement et au gouvernement fédéral mais non pas pour le pays en entier. Au sens strict, le Canada n'est pas un pays officiellement bilingue : c'est un État fédéral bilingue, car, outre les dispositions relatives au Nouveau-Brunswick, la Loi constitutionnelle de 1982 ne concerne que les domaines de juridiction fédérale. Les provinces, les municipalités et les organismes privés ne sont donc pas touchés par le bilinguisme institutionnel. En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral ne peut s'immiscer dans les politiques linguistiques provinciales sans leur consentement. Ce fut le cas pour le Nouveau-Brunswick, seule province à être constitutionnellement bilingue.

Les articles précédents ne concernent que le gouvernement fédéral, exception faite des paragraphes supplémentaires qui s'appliquent uniquement au Nouveau-Brunswick, et ce, à la demande de cette province. Évidemment, les dispositions linguistiques ne liant que le gouvernement du Canada n'impliquent aucun gouvernement provincial (sauf le Nouveau-Brunswick). 

a Canada poster

Échecs

L'égalité linguistique souhaitée ne s’est pas réalisée totalement dans les faits. Ce droit à la « langue de son choix » est difficile à réaliser partout dans la mesure où, le nombre ne le justifiant pas toujours, les offres actives en français (ou en anglais dans certaines régions du Québec) demeurent souvent déficientes, sinon inexistantes. Il est plus facile d'étendre ce droit au plan des symboles (p. ex. l'affichage bilingue pour les édifices fédéraux, la monnaie, les timbres-poste) que dans les services réels à la population. On compte actuellement 55 États souverains bilingues dans le monde. À l’exception de la Belgique, aucun des 54 autres États n’a réussi à implanter adéquatement un bilinguisme égalitaire entre les langues. La raison est évidente : il est difficile d’accorder des droits égaux à des groupes numériquement inégaux.

Conclusion

Au Canada, la conception des droits linguistiques consiste à promouvoir une vision symétrique des langues officielles; cette vision suppose que les francophones et les anglophones sont considérés comme des groupes égaux. On distingue, d'une part, des « Canadiens d'expression française, concentrés au Québec mais présents dans le reste du Canada », d'autre part, des  « Canadiens d'expression anglaise, concentrés dans le reste du pays mais aussi présents au Québec ». Par voie de conséquence, le Canada compterait deux majorités au sein desquelles on identifie des minorités qu'il est nécessaire de protéger. L'application de ce principe consiste à prendre des moyens pour protéger uniquement les minorités francophones des provinces anglaises ainsi que la minorité anglophone du Québec. Ce concept des deux majorités égales permet de mieux faire accepter le bilinguisme dans les neuf provinces anglophones. Une telle politique linguistique part du postulat que les francophones du Québec forment une majorité, qui n'a pas besoin de protection, et que les anglophones constituent une minorité qu'il faut protéger. Mais ce n’est pas l’anglais qui est menacé au Canda, mais le français, y compris au Québec. Au point de vue juridique, selon l’interprétation de la Cour suprême du Canada, il n'existe pas de minorités linguistiques « canadiennes », mais seulement des minorités linguistiques « provinciales » sur lesquelles le gouvernement fédéral n'exerce que fort peu de juridiction si ce n'est par le biais de la Constitution canadienne.

Politiques linguistiques provinciales à caractère global : Nouveau-Brunswick, Ontario et Québec

L'autonomie des provinces étant ce qu'elle est, il est possible que leurs diverses politiques linguistiques puissent présenter un éventail disparate et peu harmonisé. Les provinces canadiennes sont des entités juridiques distinctes qui peuvent développer des politiques différentes les unes par rapport aux autres. Autrement dit, à la rigueur, on peut distinguer une politique linguistique fédérale (incluant les territoires fédéraux) et dix politiques linguistiques provinciales.

Flags of New Brunswick Ontario Quebec

L'autonomie des provinces étant ce qu'elle est, il est possible que leurs diverses politiques linguistiques puissent présenter un éventail disparate et peu harmonisé. Les provinces canadiennes sont des entités juridiques distinctes qui peuvent développer des politiques différentes les unes par rapport aux autres. Autrement dit, à la rigueur, on peut distinguer une politique linguistique fédérale (incluant les territoires fédéraux) et dix politiques linguistiques provinciales.

Map of Canada showing the Broad-Based Provinces : New Brunswick, Ontario, Quebec

Cependant, si les politiques linguistiques adoptées au Canada par les différents gouvernements sont distinctes et autonomes, elles sont néanmoins soumises à certaines dispositions de la Constitution canadienne. D'ailleurs, non seulement le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sont assujettis à la Constitution canadienne, mais également les citoyens et les entreprises publiques et privées. Cela signifie que toutes les provinces sont assujetties, en matière linguistique, aux dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982 en ce qui a trait aux droits scolaires, c'est-à-dire à l'article 23. De plus, certains clauses ne concernent que le gouvernement fédéral, d'autres, seulement celui du Nouveau-Brunswick (à sa demande).

Parmi les dix provinces canadiennes, il faut distinguer trois approches différentes :

  1. Les politiques linguistiques à caractère global, touchant en principe tous les aspects de la société : législation, justice, services publics, éducation, etc.
  2. Les politiques linguistiques à caractère sectoriel, ne concernant par exemple, que l'éducation ou la justice.
  3. Les politiques non interventionnistes, celles qui consistent, dans le cadre canadien, à se conformer aux contraintes constitutionnelles ou aux décisions des tribunaux.

Une politique est considérée comme globale lorsqu'elle concerne les principaux domaines de la vie sociale. Il faut par ailleurs que cette politique soit appuyée par des mesures interventionnistes, généralement des lois ou des règlements. Bref, une telle politique suppose qu'un gouvernement prévoit les difficultés et planifie ses interventions. Seules trois provinces peuvent répondre à ces critères : le Nouveau-Brunswick, l'Ontario et le Québec.

L'Ontario et le Québec sont officiellement unilingues, mais cela n'empêche nullement ces provinces d'accorder des droits étendus à leur minorité linguistique, et ce, dans presque tous les principaux secteurs. Certains de ceux-ci sont d'ailleurs déclarés officiellement bilingues, par exemple, le législatif, la justice, les services et l'éducation. Le Nouveau-Brunswick, pour sa part, est la seule province canadienne officiellement bilingue. Ce statut est tout à l'honneur de la province, mais dans les faits les droits de la minorité linguistique ne sont pas plus étendus que ceux de la minorité anglophone du Québec. Grosso modo, on peut dire que la minorité linguistique de ces trois provinces bénéficie de droits relativement similaires. Il y a certes des différences, mais les ressemblances sont frappantes. 

Politiques linguistiques provinciales à caractère sectoriel : Manitoba, Nouvelle-Écosse et Île-du-Prince-Édouard

Les provinces qui ont développé des politiques linguistiques sectorielles se limitent généralement à un seul aspect de la langue, parfois deux ou trois tout au plus. Plus précisément, une telle politique consiste à adopter des mesures législatives plus ou moins élaborées dans un, deux ou trois domaines dans l’usage des langues minoritaires. Le domaine de l'éducation semble l'un des domaines les plus privilégiés, mais certaines politiques concernent, par exemple, des aspects tels que la législation et la justice, parfois certains services gouvernementaux.

flags of Manitoba, Nova Scotia, Prince Edward Island

Les provinces qui appliquent ce type de politique ont réglementé les problèmes au fur et à mesure qu'ils se sont présentés, notamment à la suite de jugements de la part des tribunaux. Trois provinces se démarquent: le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince-Édouard. 

map showing the Sector-Based Provinces

Politiques de non-intervention linguistique : Alberta, Colombie-Britannique, Saskatchewan, Terre-Neuve

Toute politique de non-intervention consiste avant tout à choisir la voie du laisser-faire, à ignorer les problèmes lorsqu'ils se présentent et à laisser évoluer le rapport des forces en présence. Dans la pratique, il s'agit d'un choix véritable, donc d'une planification, qui joue généralement à l'avantage de la langue dominante ou officielle.

flags of  Alberta, British Columbia, Saskatchewan, and Newfoundland

Une politique de non-intervention est, en principe, non écrite et officieuse, bien que cette approche n'empêche pas un gouvernement de faire des déclarations d'intention, d'agir par des pratiques administratives, voire de procéder par règlements ou par décrets, sinon par de vagues dispositions constitutionnelles ou législatives. Cependant, un gouvernement non interventionniste ne se pose pas comme arbitre et se garde d'adopter des dispositions législatives précises. Bien souvent, on invoque, pour justifier une telle politique, des principes de libre-choix, de tolérance ou d'acceptation des différences.

Par ailleurs, l'appellation de « politique de non-intervention » peut prêter à équivoque, car il est possible pour un État ou une province de pratiquer une politique à la fois interventionniste et non interventionniste. On peut, par exemple, ne pas intervenir à l'égard de la langue officielle, mais protéger les langues des minorités; au contraire, on peut intervenir pour la promotion de la langue officielle et s'abstenir de protéger les langues minoritaires.

Dans le cadre canadien, les politiques non interventionnistes consistent généralement à se conformer aux obligations constitutionnelles et aux décisions ou arrêts des tribunaux. Au lieu de pratiquer une politique d'interdiction telle qu'il y en a eu dans le passé, il suffit pour une province d'accorder des droits reconnus par la Constitution canadienne ou imposés par les tribunaux, généralement une cour d'appel ou la Cour suprême du Canada. Techniquement, c'est de la non-intervention de la part de la province. 

map of Canada showing the provinces that adapted the  Linguistic Policies of Non-Intervention