Les pressions exercées par le gouvernement fédéral, s'appuyant sur le paragraphe 31.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 et sur certains articles de la Loi sur les langues officielles du Canada, ont quand même forcé les gouvernements territoriaux à céder certaines de leurs prérogatives. La Loi constitutionnelle de 1982 stipule en effet au paragraphe 32.1 que la Charte canadienne des droits s'applique non seulement « au Parlement et au gouvernement du Canada », mais aussi pour tous les domaines relevant du Parlement, « y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les Territoires du Nord-Ouest ». Les articles 16 à 20 relatifs à l'emploi du français et de l'anglais au parlement, dans les tribunaux, dans les services gouvernementaux de la Charte des droits et libertés s'appliquant aux territoires, les gouvernements locaux étaient alors tenus de se bilinguiser. Enfin, certains articles de la Loi sur les langues officielles de 1988 obligent les gouvernements territoriaux à une certaine forme de bilinguisme officiel.
Les Territoires du Nord-Ouest
L'article 110 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, qui portait sur le bilinguisme législatif et judiciaire, avait été aboli en 1892 dans les Territoires du Nord-Ouest. À la suite de l'adoption de la Loi sur les langues officielles (en 1969, puis en 1988), le gouvernement territorial a dû s'ajuster. Ce n'est qu'en 1985 que la Législature territoriale a présenté en 1985 un projet de loi qui est devenu la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, dont l'entrée en vigueur était prévue pour 1990.
En vertu de l'article 9 de cette loi linguistique : « Le français et l'anglais sont les langues officielles des Territoires. » Les deux langues jouissent d'un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de l'Assemblée législative et du gouvernement territorial. De plus, sept langues autochtones sont reconnues également comme « langues autochtones officielles des Territoires » (art. 5); ce sont le saulteux, le cri, le flancs-de-chien, loucheux, le slavey du Nord, le slavey du Sud et l'inuktitut. Les articles 6 et 7 de la loi prévoient des modalités d'utilisation d'une langue autochtone à l'Assemblée. En 1990, l'Assemblée territoriale a modifié sa loi sur les langues officielles (Act to amend the Official Languages Act ou Loi modifiant la Loi sur les langues officielles; l'article 5 a été abrogé et remplacé par ce qui suit : « Le chipewyam, le cri, le dogrib, l'anglais, le français, le gwich'in, l'inuktitut et le slavey sont les langues officielles des Territoires » (« Chipewyam Cree, Dogrib, English, French, Gwich'in, Inuktitut and Slavey are the Official Languages of the Territories . »).
En ce qui concerne l'usage des langues dans les tribunaux, l'article 13 de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest précise que chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais. Cependant, comme dans la plupart des provinces anglaises, ce droit est limité aux procès en matière criminelle et il ne comprend pas celui d'être compris directement par le juge sans l'aide d'un interprète.
Quant à la langue des services gouvernementaux, l'article 15 de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest reconnaît que le public a droit à l'emploi du français ou de l'anglais :
Article 15
Communication entre les administrés et les institutions des Territoires
Le public a, dans les Territoires, droit à l'emploi du français et de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions de l'Assemblée législative ou du gouvernement des Territoires ou pour en recevoir les services, il a le même droit à l'égard de tout autre service de ces institutions là où, selon le cas :
- l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;
- l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la nature du service.
Cependant, ce droit n'est applicable que si « l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante », ce qui dilue un peu le droit qui est soumis à l'embauche de fonctionnaires bilingues dans les Territoires. L'article 12 précise, pour sa part, que tous les documents officiels doivent être promulgués dans les deux langues officielles :
Article 12
Instruments à l'intention du public
Sous réserve de la présente loi, tous les instruments qui s'adressent au public ou sont destinés à être portés à son attention, et qui sont censés être rédigés ou publiés par le Commissaire en conseil, le gouvernement des Territoires ou un organisme judiciaire, quasi judiciaire ou administratif ou une société d'État établis sous le régime d'une loi du Commissaire en conseil, ou qui sont censés être autorisés par eux, doivent être promulgués dans les deux langues officielles.
Le 28 juin 1984, une entente Canada-T.N.-O. était conclue. L'article 6 contenait la disposition suivante :
Article 6
Le Canada assumera d'année en année, en permanence, tous les coûts relatifs à la prestation des services en français au public ainsi que les coûts relatifs à l'application du français comme langue officielle des Territoires du Nord-Ouest comme l'exige la Loi sur les langues officielles.
Lors du Forum sur le français dans les Territoires du Nord-Ouest qui s'est tenu en mars 1999, il a été démontré que les services en français souffraient encore de lacunes évidentes et que ces services diminuaient d'année en année. Le gouvernement territorial et la commissaire aux langues officielles justifiaient l'absence de services en français en invoquant la « faible demande » de tels services.
Dans le secteur de l'enseignement, les Territoires du Nord-Ouest doivent respecter l' article 23.2 de la Charte des droits et libertés, mais le droit à l'enseignement en français n'est accordé que si « le nombre le justifie ». Il n'existe qu'une seule école primaire entièrement de langue française avec une trentaine d'élèves; dans trois autres écoles, des cours sont dispensés en français. La Loi scolaire des Territoires du Nord-Ouest (1988) contenait aussi des dispositions à l'intention des autochtones. Il est prévu que la langue utilisée dans les conseils scolaires autochtones devra être celle de la majorité des membres. Les autorités compétentes locales ont aussi le pouvoir de déterminer la langue d'instruction pour la maternelle et les deux premières années du primaire. Pour les années subséquentes, le ministre de l'Éducation des Territoires peut déterminer la langue d'instruction dans les écoles. Cependant, dans un bon nombre d'écoles territoriales, la langue d'enseignement demeure souvent l'inuktitut jusqu'au secondaire.
À l'automne 2001, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a créé un comité parlementaire chargé de lui soumettre des recommandations sur la révision de la loi territoriale portant sur les langues officielles. Cette loi de 1984 prévoyait qu'elle devait être révisée à chaque décennie. Or, l'application actuelle de la loi pose plusieurs problèmes :
- Aucune réglementation de la loi n'a été adoptée; certaines « lignes directrices » ont été énoncées en 1997, mais elles ne respecteraient pas la loi et en réduiraient même la portée;
- Le gouvernement territorial refuserait d'appliquer intégralement la loi et ne désirerait aucunement apporter des améliorations à ses services aux francophones;
- Les services en français souffrent non seulement de lacunes évidentes, mais leur qualité diminuerait d'année en année;
- Lors d'une journée d'observation (le 11 février 1999) à l'échelle des T. N.-O., appelée « Opération Polaroïd », la firme Nadeau, Beaulieu & Associés révélait que 75 % des produits ou services n'étaient pas disponibles en français;
- Le gouvernement territorial affirme que le manque de ressources financières est la cause de ces lacunes, mais depuis 1985 le gouvernement fédéral a assumé tous les coûts relatifs au français pour quelque 30 millions de dollars; le ministère du Patrimoine canadien verse annuellement au gouvernement territorial les sommes, alors qu'une partie souvent retournée pour n'avoir pas été dépensée;
- Le gouvernement territorial invoque, comme justification à l'absence de services en français, la « faible demande » de tels services;
- Les droits des francophones des Territoires du Nord-Ouest ne sont respectés que grâce à une poursuite judiciaire entreprise en 1992.
En mars 2002, la Commissaire aux langues officielles du Canada comparaissait devant le comité et proposait des améliorations au régime linguistique actuel sur les plans législatif, réglementaire et administratif. Elle demandait aussi au gouvernement fédéral de collaborer avec le gouvernement territorial pour établir une « nouvelle gouvernance linguistique ». On s'attend donc à une loi révisée plus conforme à la Charte des droits et libertés et qui répond mieux, dans son application, aux besoins de la communauté francophone du territoire.
Yukon
Le gouvernement du Yukon a adopté en 1988 sa Loi sur les langues (Languages Act), mais son application n'était toutefois prévue qu'à partir du 31 décembre 1992. Le paragraphe 1 de l'article 1 de la loi proclame en principe que le français et l'anglais sont les langues officielles du Territoire, mais l'interprétation qu'on peut en faire semble quelque peu ambiguë. D'ailleurs, plusieurs juristes se demandent encore quel est le statut du français au Yukon avec une telle disposition : littéralement, on peut croire que ni le français ni l'anglais ne possèdent de caractère officiel au Yukon, puisque ce sont les langues officielles du Canada qui ont ce statut :
Article 1
- Le Yukon accepte que le français et l'anglais soient les langues officielles du Canada et accepte également que les mesures prévues par la présente loi constituent une étape importante vers la réalisation de l'égalité de statut du français et de l'anglais au Yukon.
- Le Yukon souhaite élargir la reconnaissance du français et accroître la prestation des services en français au Yukon.
Le Yukon reconnaît l'importance des langues autochtones au Yukon et souhaite prendre les mesures nécessaires pour maintenir et valoriser ces langues au Yukon, et en favoriser le développement.
L'article 3 précise que « chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais ou une langue autochtone du Yukon dans les débats et travaux de l'Assemblée législative ». Dans toutes les lois (ordonnances) et tous les règlements de la législature, le français et l'anglais ont également force de loi.
En ce qui concerne les tribunaux, l'article 5 de la Loi sur les langues déclare que chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais. Cependant, ce droit est limité aux procès en matière criminelle et il ne comprend pas celui d'être compris. Les juges et les jurys ne sont pas tenus de connaître la langue de l'accusé. Les personnes comparaissant en justice ne peuvent se prévaloir des services d'un interprète, à moins qu'il soit évident que le procès ne pourrait se dérouler convenablement sans cette assistance. Comme dans tout l'Ouest canadien, le bilinguisme dans le domaine judiciaire est limité, puisqu'il risque de ne garantir que la présence d'un interprète.
Quant à la langue des services gouvernementaux, l'article 6 de la loi reconnaît que le public a droit à l'emploi du français ou de l'anglais, mais ce droit n'est applicable que si « l'emploi du français ou de l'anglais fait l'objet d'une demande importante »
Article 6
Le public a, au Yukon, droit à l'emploi du français ou de l'anglais pour communiquer avec le siège ou l'administration centrale des institutions de l'Assemblée législative ou du gouvernement du Yukon ou pour en recevoir les services. Il a le même droit à l'égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :
a) l'emploi du français et de l'anglais fait l'objet d'une demande importante;
b) l'emploi du français et de l'anglais se justifie par la vocation du bureau.
Pour l'application du paragraphe 1), le commissaire en conseil exécutif peut, par règlement, fixer les conditions dans lesquelles l'emploi du français et de l'anglais fait l'objet d'une demande importante ou se justifie par la vocation du bureau.
De toute façon, on ne comptait que 890 francophones au Yukon (en 2001) et à peu près pas de fonctionnaires bilingues. Néanmoins, le gouvernement yukonnais a entrepris un programme en vue d'établir progressivement des services en français dans les bureaux gouvernementaux, les cours de justice et les hôpitaux. Certaines dispositions de la Loi sur les langues prévoient également d'offrir des services « dans une ou plusieurs langues autochtones du Yukon ».
Dans le domaine de l'éducation, l'article 23.2 de la Charte des droits et libertés s'applique dans la mesure « où le nombre le justifie ». On ne compte au Yukon qu'une seule école primaire de langue française avec une quarantaine d'élèves: l'école Émilie-Tremblay. Peu d'enfants francophones ont accès à une école française: environ 5 %. Une nouvelle loi scolaire a été adoptée en 1991 permettant aux Franco-Yukonnais de gérer leur propre système scolaire. Le premier conseil scolaire de langue française du Yukon est entré en activité en décembre 1995. Ses cinq membres se sont fixés comme défi de lutter contre l'assimilation, de « refranciser » les élèves, d'informer les parents admissibles de leur droit à l'enseignement en français pour leurs enfants.
Nunavut
Au moment de sa création en avril 1999, le Nunavut était soumis aux lois des Territoires du Nord-Ouest qui s'appliquaient par défaut. Au point de vue juridique, le Nunavut était donc assujetti aux dispositions de la Constitution canadienne, à la Loi sur le Nunavut adoptée le 10 juin 1993 par le Parlement fédéral, ainsi qu'à la Loi sur les langues officielles de 1988, loi héritée des Territoires du Nord-Ouest
La Loi sur le Nunavut est entrée en vigueur en 1993, alors qu'on croyait que la plupart des questions de transition pouvaient être résolues par une règle générale qui prévoyait le transfert des lois des Territoires du Nord-Ouest au nouveau territoire du Nunavut. L'article 23.1 de la Loi sur le Nunavut (paragraphe n) prévoyait que la législature territoriale avait compétence pour légiférer en toute matière comprise dans « la préservation, l'utilisation et la promotion de la langue inuktitut, dans la mesure où les lois qui en résultent ne portent pas atteinte au statut du français et de l'anglais, ni aux droits afférents » :
Article 23
Sous réserve de toute autre loi fédérale, la législature a compétence pour légiférer en toute matière comprise dans les domaines suivant: [...]
m) l'éducation dans les limites et pour les besoins du Nunavut, à condition que les lois s'y rapportant confèrent toujours le droit;
i) à la majorité des contribuables de toute division du territoire, sous quelque nom qu'elle soit désignée, d'y établir les écoles qu'elle juge indiquées et de procéder à la répartition et à la perception des taxes nécessaires à cette fin;
ii) à la minorité des contribuables se trouvant à l'endroit visé au sous-alinéa (i), qu'elle soit protestante ou catholique romaine, d'y établir des écoles séparées, auquel cas les contribuables qui ont établi ces écoles ne sont assujettis qu'aux taxes qu'ils s'imposent eux-mêmes à cet égard et répartissent en conséquence;
n) la préservation, l'utilisation et la promotion de la langue inuktitut, dans la mesure où les lois qui en résultent ne portent pas atteinte au statut du français et de l'anglais, ni aux droits afférents;
L'article 29 de la Loi sur le Nunavut énonce qu'à compter du 1er avril 1999 toutes les lois actuellement en vigueur dans les Territoires du Nord-Ouest seront applicables au Nunavut. De son côté, l'article 38, qui porte sur les langues officielles, précise que, si le Nunavut veut modifier la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest, il devra obtenir l'accord préalable du Parlement, à moins qu'il ne souhaite accroître les droits et les privilèges qui y sont énoncés
Article 38
Ordonnance sur les langues officielles
Sauf en ce qui a trait aux dispositions que le commissaire en conseil des Territoires du Nord-Ouest avait, en vertu de l'article 43.2 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, le pouvoir d'édicter sans le concours du Parlement, l'ordonnance des Territoires du Nord-Ouest intitulée Loi sur les langues officielles, en vigueur au Nunavut par application de l'article 29, ne peut être modifiée, abrogée ni rendue inopérante par la législature qu'avec l'agrément du Parlement, donné sous forme de résolution.
Droits et services complémentaires
- Le paragraphe 1) n'a pas pour effet d'empêcher le commissaire ou la législature d'accorder des droits à l'égard du français et de l'anglais ou des langues des peuples autochtones du Canada, ou de fournir des services dans ces langues, en plus des droits et services prévus par l'ordonnance mentionnée au paragraphe 1), notamment par modification de celle-ci sans recours au Parlement.
La loi linguistique héritée des T. N.-O. accordait un statut officiel à l'anglais, au français ainsi qu'à sept langues autochtones. En effet, en vertu de l'article 9 de cette loi linguistique : « Le français et l'anglais sont les langues officielles des Territoires. » Les deux langues jouissent d'un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de l'Assemblée législative et du gouvernement territorial. De plus, sept langues autochtones sont reconnues également comme « langues autochtones officielles des Territoires » (art. 5); ce sont le saulteux, le cri, le flancs-de-chien, loucheux, le slavey du Nord, le slavey du Sud et l'inuktitut. Rappelons qu'en 1990 l'Assemblée territoriale a modifié sa Loi sur les langues officielles; l'article 5 de la loi a été abrogé et remplacé par ce qui suit: « Le chipewyam, le cri, le dogrib, l'anglais, le français, le gwich'in, l'inuktitut et le slavey sont les langues officielles des Territoires. »
Toutes ces langues étaient alors considérées comme les langues officielles du Nunavut, alors que la plupart d’entre elles n’étaient pas parlées par la population. C'est pourquoi le gouvernement du Nunavut se devait d’abroger cette loi et en adopter une nouvelle destinée à soutenir et promouvoir, par exemple, l'inuktitut et l'inuinnagtun. Cependant, la loi ne devrait pas supprimer ou réduire les droits reconnus aux anglophones et aux francophones, mais elle pouvait ajouter de nouveaux droits à n'importe quelle autre communauté linguistique. Il fallait aussi que la nouvelle loi soit révisée simultanément par l'Assemblée territoriale des Territoires du Nord-Ouest et approuvée par le Parlement du Canada.
En vertu de l'article 38 (déjà cité ci-haut) de la Loi sur le Nunavut, le gouvernement du Nunavut ne peut modifier, ni abroger la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest sans l'accord du Parlement des Territoires du Nord-Ouest :
Sauf en ce qui a trait aux dispositions que le commissaire en conseil des Territoires du Nord-Ouest avait, en vertu de l'article 43.2 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, le pouvoir d'édicter sans le concours du Parlement, l'ordonnance des Territoires du Nord-Ouest intitulée Loi sur les langues officielles, en vigueur au Nunavut par application de l'article 29, ne peut être modifiée, abrogée ni rendue inopérante par la législature qu'avec l'agrément du Parlement, donné sous forme de résolution.
La politique linguistique du gouvernement du Nunavut devait être distincte de celle des Territoires du Nord-Ouest. Une commission s'est penchée sur la question dès l'hiver 1998. Plusieurs mémoires ont alors été déposés, mais comme les positions semblent souvent contradictoires aucune décision n'a été prise. En mars 1998, la Commission d'établissement du Nunavut a tenu une conférence sur la politique linguistique à Iqaluit. Le commissaire en chef, John Amagoalik, tenait les propos suivants dans l'introduction du rapport de la conférence :
Les politiques concernant la langue utilisée quotidiennement dans l'administration du Nunavut et portant notamment sur la langue de travail, les pratiques de communication gouvernementales, la langue utilisée pour dispenser les services et les programmes, la langue d'enseignement et de communication dans les écoles, la réglementation officielle de la langue utilisée dans le secteur privé et autres questions linguistiques, doivent toutes être incorporées dans une politique linguistique sensée, socialement constructive et raisonnable sur le plan financier. [Traduction du commissaire aux langues officielles du Canada]
L'Asssemblée législative du Nunavut comptait réexaminer cette législation linguistique en 2001 et la modifier de manière à ce qu'elle reflète plus adéquatement la situation, la réalité et les besoins du Nunavut. Voici ce qu'on peut lire dans le Rapport annuel de la commissaire aux langues officielles d'octobre 2000 :
Un de ces buts est que l'inuktitut devienne la langue de travail du gouvernement du Nunavut en l'an 2020 et un autre but est que le Nunavut devienne une société où on trouve un bilinguisme fonctionnel, en anglais et en inuktitut, respectueux et engagé à l'égard des droits des francophones, avec une capacité croissante de collaborer en français.
Suite à l'Entente Canada-Nunavut sur la promotion du français et de l'inuktitut, d'une durée de deux ans, le gouvernement du Canada a accepté de fournir 2,9 millions de dollars au gouvernement du Nunavut pour la prestation de services en français et 2,2 millions pour des programmes visant à renforcer l'inuktitut. L'entente a été renouvelée le 9 octobre 2002 entre la ministre du Patrimoine canadien et le ministre de la Culture, des Langues, des Aînés et de la Jeunesse du Nunavut.
Mais ce n’était pas suffisant. En mars 2007, le gouvernement du Nunavut a déposé deux projets de loi destinés à imposer l'usage de l'inuktitut dans les lieux publics, comme les restaurants, les écoles ou les bureaux. Le ministre de la Culture, de la Langue, des Aînés et de la Jeunesse, Louis Tapardjuk, a présenté les deux projets de loi par ces propos :
Cette législation souligne l’unicité du Nunavut au Canada, un territoire où la langue maternelle de la majorité linguistique est la langue inuit et la langue que les Nunavummiut privilégient. Cette législation confirme le désir et le droit qu’ont les Inuits d’utiliser leur langue dans toutes les sphères de la vie. Dans un même temps, les lois envisagées visent à reconnaître un statut de pleine égalité aux trois langues officielles du Nunavut, les langues inuit, anglaise et française.
Le premier projet de loi (Loi sur les langues officielles / Official Languages Act) portait sur les langues officielles faisant de l'anglais, du français et de l'inuktitut les langues officielles du territoire. La loi a été adoptée le 11 juin 2009 lors de sa ratification par le Sénat du Canada. La nouvelle loi impose des exigences en matière de langues officielles aux institutions territoriales, y compris à l’Assemblée législative, au gouvernement du Nunavut, à la Cour de justice du Nunavut et à d’autres organismes judiciaires et quasi judiciaires et organismes publics du Nunavut. Si les communications et services d’une municipalité font l’objet d’une demande importante dans une langue officielle, elle devra respecter des exigences concernant cette langue.
L’article 3 se lit comme suit en ce qui a trait aux langues officielles :
Langues officielles
La langue inuit, le français et l’anglais sont les langues officielles du Nunavut.
Statut
Les langues officielles du Nunavut ont, dans la mesure et de la manière prévues aux termes de la présente loi, un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions territoriales.
Inuinnaqtun
Dans son application à l’inuinnaqtun, la présente loi est interprétée et mise en œuvre en tenant compte de la nécessité de donner priorité à la revitalisation de l’inuinnaqtun et à l’amélioration de l’accessibilité aux services visés aux articles 8 à 12 dans les collectivités où l’inuinnaqtun est indigène.
Non seulement l'inuit, le français et l’anglais ont le statut de langues officielles au Nunavut, mais la loi confère au ministre des Langues la responsabilité de promouvoir les langues officielles, de même que la pleine reconnaissance et la pleine jouissance des droits linguistiques, ainsi que celle de surveiller les activités en matière de langues officielles et le respect de la loi par les institutions gouvernementales. La loi actualise également le processus de nomination du commissaire aux langues, son rôle et ses fonctions en matière de contrôle de l’application de la loi, la façon dont il peut recevoir les demandes et la procédure d’enquête. Des dispositions concernent les commissaires aux langues intérimaire et spécial. Le ministre et le commissaire aux langues présentent l’un et l’autre un rapport annuel à l’Assemblée législative. En outre, la loi et sa mise en œuvre feront l’objet d’un examen exhaustif quinquennal par l’Assemblée législative.
Le second projet de loi (Loi sur la protection de la langue inuite / Inuit Language Protection Act) est consacré à la protection de la langue inuite et son usage obligatoire sur les panneaux de signalisation et dans le secteur de certains services (incluant le tourisme et les commerces de vente au détail), et ce, afin d'assurer que l'utilisation des trois langues demeure sur un pied d'égalité. Ainsi, selon l'article 3 du projet de loi, l'affichage, les enseignes publiques et la publicité commerciale devront être rédigés en inuktitut en plus de toute autre langue utilisée. Certains services essentiels devront également être disponibles en inuktitut, tels que les services ou interventions de secours ou de sauvetage, services d’admission ou de répartition en santé, services médicaux et pharmaceutiques, les services de base aux ménages (électricité, combustible, eau, télécommunications), les services d’hébergement ou d’accueil, y compris les services de restauration, d’hôtellerie ou d'habitation.
Enfin, la nouvelle loi donne au commissaire aux langues de nouveaux outils pour enquêter et pour obtenir la collaboration nécessaire afin d'assurer le respect de la loi par les organismes des secteurs publics et privés auxquelles n'incombait auparavant aucune obligation relative à la langue inuite. Un recours à la Cour de justice du Nunavut est aussi prévu. La Loi sur la protection de la langue inuit ainsi que la Loi sur les langues officielles doivent faire l'objet d'un examen exhaustif par l'Assemblée législative tous les cinq ans. La loi a été sanctionnée le 18 septembre 2008.
Ces deux nouvelles lois font partie d'un ensemble et répondent à une situation qualifiée « d'iniquité » par le gouvernement du Nunavut. Avant ces deux lois, il n’existait aucune disposition législative claire confirmant les droits linguistiques des Inuits, sans oublier le fait qu'il y avait des individus qui niaient l’existence de ces droits. Par ailleurs, la langue inuite (ou inuktitut) est en danger au Canada. Les plus récentes données fournies par le recensement canadien révèlent que seulement 64 % des Inuits du Nunavut parlent l'inuktitut le plus souvent à la maison.
Éducation
Selon l’article 23 de la la Loi sur l'éducation de 2008, le programme d’enseignement offre une instruction bilingue et les langues d’enseignement doivent être l’inuit (inuktitut ou inuinnaqtun), l’anglais ou le français. Les anglophones vont continuer d'aller à l'école anglaise, les francophones, à l'école française (primaire), et les Inuits, selon le cas, dans des écoles où l'on enseignera soit l'anglais, soit l'inuktitut, soit l'inuinnagtun (avec l'anglais obligatoire comme langue seconde). Beaucoup d'Inuits croient que les langues ancestrales ne sont pas assez enseignées dans les écoles. De plus, à force d'écouter de la musique et la télévision en anglais, beaucoup de jeunes Inuits en viennent à perdre leur langue et leur culture. D'ailleurs, bien des jeunes en viennent à tourner le dos au monde de leurs ancêtres.
L’article 24 de la Loi sur l’éducation énonce qu’il peut y avoir plus d’une langue d’enseignement dans un district scolaire et plus d’une langue d’enseignement dans une école. L'article 26 permet au Ministre d'introduire une autre langue dans l'enseignement. En principe, c'est l’inuktitut ou l’inuinnaqtun si la langue d'enseignement est l'anglais ou le français, c'est l'anglais si la langue d’instruction est l’inuktitut ou l’inuinnaqtun.
L'Association des francophones du Nunavut a fait valoir qu'il est difficile d'obtenir des services en français et impossible de faire des études secondaires dans cette langue, bien que plus de 10 % de la population d'Iqaluit soit francophone; la situation ne devrait pas changer prochainement. Pour sa part, le Conseil scolaire de Kativik (au Nunavik dans le nord du Québec) a déjà publié près de 200 manuels scolaires et livres de lecture en inuktitut, en anglais et en français.