En cette fin du 18e siècle, les colonies de l'Amérique du Nord britannique étaient au nombre de sept : le Bas-Canada (Québec), le Haut-Canada (Ontario), la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'île de Terre-Neuve, l'Île-Saint-Jean (qui s'appellera l'île-du-Prince-Édouard en 1798) et l'Île-du-Cap-Breton (qui sera rattachée à la Nouvelle-Écosse en 1820).

Amérique du Nord britannique en 1791

La Terre de Rupert n'était pas une colonie, mais un vaste territoire concédé par la Couronne à la Compagnie de la Baie d'Hudson : c'était en quelque sorte une « colonie privée » n'ayant guère de lien avec les autres établissements britanniques. Le Canada de l'époque n'était pas encore un pays, mais davantage un « archipel de colonies britanniques » relativement isolées les unes des autres. 

Rupert's Land, Lower Canada, Hupper Canada

Les sept colonies britanniques comptaient à la toute fin du 18e siècle quelque 350 000 habitants, à l'exclusion des autochtones. Outre les 200 000 descendants des colons français de la vallée du Saint-Laurent, on dénombrait 140 000 Britanniques, dont 70 000 dans les Maritimes, 25 000 dans chacun des Canadas et environ 20 000 à Terre-Neuve. Dans l'Ouest, on pouvait probablement compter en plus quelque 40 000 personnes pour un grand total d'environ 390 000 à 395 000 habitants.

La population du Bas-Canada s'élevait à elle seule à 225 000 habitants, dont 25 000 anglophones. C'est donc dire qu'à la fin du 18e siècle les francophones constituaient non seulement l'écrasante majorité du Bas-Canada (88,8 %), mais par le fait même la majorité de la population de l'Amérique du Nord britannique, soit entre 51 % et 56 %. Il existait des anglophones et des francophones dans toutes les colonies, mais les francophones constituaient partout des minorités, sauf au Bas-Canada. C'est dans la colonie de l'Île-du-Cap-Breton qu'on retrouvait le plus petit nombre d'habitants (0,5 %).

ColonieNombre d'habitantsPourcentage
Bas-Canada (Québec)225,00056 %
Haut-Canada (Ontario)46,00011.6 %
Nouvelle-Écosse40,00010.1 %
Nouveau Brunswick25,0006.3 %
Terre-Neuve14,0003.5 %
Île-Saint-Jean (St John Island)3,0000.7 %
Île-du-Cap-Breton2,5000.5 %
Ouest40,00010.1 %
Total395,000100 %
Source : David J. Bercuson (Éd.): Colonies : Canada to 1867 , Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1992, p. 242 et Douglas McCalla: « The "Loyalist" Economy of Upper Canada », dans Histoire sociale/Social History, vol. 16, N°32, novembre 1983, p. 285.  

Ce qu'on appelait « l'Ouest » correspondait aux territoires situés à l'ouest du Haut-Canada. Ce n'était plus cependant la terra incognita de 1763, lors de la Conquête britannique. Depuis, les commerçants et les explorateurs avaient accru les connaissances géographiques du continent avec une rapidité surprenante. En effet, Samuel Hearne (1745-1792) avait quitté la Compagnie de la Baie d'Hudson pour explorer les terres de l'Ouest jusqu'au grand lac des Esclaves; Matthew Cocking (? -1779) avait pénétré dans le territoire des Pieds-Noirs et avait repoussé le territoire de la traite des fourrures encore plus à l'ouest. On savait à ce moment-là que vivaient dans ces régions des Plaines (les actuelles provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta), outre les Pieds-Noirs, plusieurs milliers d'autres Amérindiens: les Ojibwés, les Assiniboines, les Cris, les Athapascans, etc. Ces quelque 40 000 Amérindiens avaient déjà été marqués par leurs contacts avec les Européens. Puis Alexander Mackenzie (1764-1820) s'était aventuré jusqu'à l'Arctique en 1789 pour atteindre le Pacifique en 1793. En 1778, le grand navigateur anglais James Cook (1728-1779) s'était embarqué à partir de l'île de Vancouver (qui recevra ce nom en 1792 en l'honneur du capitaine George Vancouver envoyé par le Royaume-Uni) pour atteindre le détroit de Béring reliant l'Alaska à l'Asie. 

L'Acte constitutionnel de 1791

'Acte constitutionnel (on dirait aujourd'hui en français: Loi constitutionnelle) voté par le Parlement britannique en 1791 avait séparé la Province of Quebec en deux colonies distinctes : le Bas-Canada à l'est (ou Lower Canada) et le Haut-Canada à l'ouest (ou Upper Canada). La nouvelle loi constitutionnelle qui abrogeait l'Acte de Québec de 1774, ne concernait pas les autres colonies du Canada. Pour la première fois depuis 1763, le mot Canada était réintroduit dans les textes officiels et chacune des deux colonies portait désormais le titre de « province » :

Et ayant plu à sa Majesté de signifier par son message aux deux Chambres de Parlement, son Intention Royale de diviser sa Province de Québec; en deux provinces séparées, qui seront appelées la Province du Haut-Canada et la Province du Bas-Canada.

Lowe Canada Hupper Canada Rupert's Land

Les autorités britanniques avaient fixé la rivière des Outaouais comme limite entre les deux nouvelles provinces de l'Amérique du Nord britannique.

En 1800, le Bas-Canada comptait alors 225 000 habitants, dont 10 000 anglophones, tandis que le Haut-Canada (aujourd'hui l'Ontario) ne comptait que 46 000 habitants, presque tous des loyalistes anglophones, à part les Amérindiens, les Métis et les francophones. 

La Constitution de 1791 introduisit l'avènement du parlementarisme dans les deux Canadas. Le Haut-Canada et le Bas-Canada possédaient chacun leur Assemblée législative, leur Conseil législatif, leur Conseil exécutif (créé en 1792) et leur lieutenant-gouverneur (surtout au Haut-Canada parce que le gouverneur général dirigeait ordinairement le Bas-Canada). Au sommet de la hiérarchie, Londres avait nommé un gouverneur général qui disposait d'une autorité absolue non seulement sur les deux Canadas, mais aussi sur les autres colonies (Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, etc.) : le gouverneur général pouvait opposer son veto aux lois adoptées par toutes les assemblées législatives (élues par le peuple). Quant aux conseils (nommés par la Couronne, c'est-à-dire le gouverneur général ou les lieutenants-gouverneurs), ils pouvaient disposer de budgets et contrôler les dépenses du gouvernement sans rendre de comptes aux élus. De ce fait, le rôle des Conseil consistait à rendre les lois adoptées par l'Assemblée compatibles avec les intérêts britanniques et en général ceux des marchands anglais, notamment au Bas-Canada.

La nouvelle Constitution parut très tolérante à l'époque, car elle accordait le droit de vote aux femmes, aux Indiens, aux juifs et aux catholiques. C'était certainement, du moins en ce qui a trait au droit de vote, certainement l'une des Constitutions les plus libérales du 18e siècle. Le premier ministre britannique William Pitt (dit « le Jeune ») avait déclaré : « Les Canadiens seront maîtres de choisir leur orientation.[...] Ce sera l'expérience qui devra enseigner aux Canadiens que les lois anglaises sont les meilleures. » Mais, comme c'était la coutume en Grande-Bretagne, le droit de vote n'était accordé qu'aux propriétaires terriens; les marchands anglais du Bas-Canada s'opposèrent à cette application du droit de vote dans la colonie. Ils savaient que, dans le Bas-Canada, la propriété foncière était plus répandue qu'en Grande-Bretagne : elle représentait le huitième de la population. C'était la richesse terrienne des seigneurs canadiens contre la richesse en capital des marchands anglais. La minorité anglophone craignait ainsi de perdre le contrôle sur un système politique destiné à assurer, comme en Grande-Bretagne, sa domination sur la majorité. Les assemblées législatives des colonies devaient s'occuper de leurs affaires intérieures (justice, éducation, culture, administration, santé, agriculture, etc.), mais la Grande-Bretagne (devenu officiellement le Royaume-Uni en 1801) se réservait la défense et les relations extérieures.

Si le système prévu par Londres instaurait le parlementarisme, il ne correspondait pas à une véritable démocratie et présentait des failles importantes. Les députés de l'Assemblée législative étaient élus par la population locale, mais ils n'avaient pas de pouvoir réel au sein du gouvernement colonial, puisque le Conseil législatif, entièrement composé d'hommes nommés par le gouverneur, conservait un droit de veto sur tous les projets de lois présentés par l'Assemblée. Celle-ci n'avait donc aucun pouvoir de contrôle sur les actions du gouvernement qui disposait à son gré des revenus provinciaux. Ce système permettait également de bloquer systématiquement toutes les initiatives des élus de l'Assemblée, mais celle-ci pouvait refuser à son tour d'adopter des budgets, paralysant de ce fait l'État. D'ailleurs, au cours des années qui vont suivre, il se développera une oligarchie exécutive trop forte et des parlementaires trop démunis de pouvoirs. Les lieutenants-gouverneurs conservaient un pouvoir presque absolu dans la mesure où ils nommaient les membres des conseils et pouvaient désavouer les lois votées par l'Assemblée législative. L'essentiel des pouvoirs reposait entre les mains du gouverneur général (et de ses lieutenants-gouverneurs) représentant la Couronne britannique. En somme, les groupes capitalistes contrôlaient toute la vie politique de l'Amérique du Nord britannique, avec l'aide des gouverneurs.

De plus, l'Acte constitutionneldéclarait que la foi catholique continuait d'être respectée, mais prévoyait que le « un septième des terres publiques » devait être réservé au clergé protestant, dans chaque province, afin de couvrir les frais de subsistance du clergé anglican et les coûts relatifs à l'éducation. Enfin, à l'exemple de l'Acte de Québec, la Constitution de 1791 ne faisait pas allusion à la langue, à l'exception des mentions aux articles 24(relatif au serment d'un électeur) et 29 (relatif au serment d'un membre de l'Assemblée ou du Conseil législatif) qui permettaient à ces membres de prêter serment en anglais ou en français. Tous ces facteurs constitueront au cours des prochaines décennies des sources de conflits non seulement entre francophones et anglophones, mais aussi entre les différents partis politiques de chacune des colonies. 

Premiers conflits linguistiques au Bas-Canada

À la fin du 19e siècle, la province du Bas-Canada comptait 160 000 habitants, dont 20 000 anglophones (12,5 %). La province était composée de quatre districts administratifs (Gaspé, Québec, Trois-Rivières et Montréal) et de 25 comtés. C'est vers 1806 que l'égalité numérique sera atteinte entre le Bas-Canada et le Haut-Canada, avec 225 000 habitants pour chacune des provinces; les francophones allaient devenir minoritaires dans l'ensemble du pays vers 1806.

Au début, les francophones du Bas-Canada réagirent positivement à l'Acte constitutionnelde 1791 parce qu'il garantissait les droits de l'Acte de Québec, notamment en maintenant la reconnaissance de la religion catholique et des lois civiles françaises. Le droit criminel anglais prenait place à côté du droit civil français, la terre était donnée « en tenure franche » à l'extérieur des seigneuries, une assemblée élue était établie, tout en maintenant le pouvoir de l'Église catholique et de l'élite seigneuriale. Bref, tout s'annonçait pour le mieux. Mais les difficultés inhérentes au cadre administratif allaient surgir très rapidement. 

Sous-représentation des francophones aux Conseils

Le nombre de députés de l'Assemblée législative était fixé à 50 membres. Même si les francophones étaient très majoritaires, les francophones firent élire 34 députés, les anglophones 16. Là où la situation devenait plus controversée, c'est au Conseil législatif qui comptait sept francophones et neuf anglophones, alors qu'on dénombrait quatre francophones et cinq anglophones au Conseil exécutif. Sur 31 personnes nommées au Conseil exécutif entre 1793 et 1828, seulement six furent francophones contre 25 anglophones. On peut mentionner que, sur 30 juges, seulement 11 furent francophones, sans oublier l'appareil administratif où la représentation canadienne-française était  encore plus minorisée. Bref, la mauvaise représentation entre francophones et anglophones n'augurait rien de bon pour le futur. 

Question linguistique à la Chambre d'assemblée

Question linguistique à la Chambre d'assemblée

À la Chambre d'assemblée, la question de la langue suscita aussitôt des affrontements entre francophones et anglophones. Lors de la première séance de la première législature du Bas-Canada, le 17 décembre 1792, le débat s'engagea immédiatement sur la question linguistique. Députés francophones et anglophones se chamaillèrent au sujet du choix du président de l'Assemblée. La majorité francophone proposa la candidature de Jean-Antoine Panet, qui parlait peu l'anglais, alors que la minorité anglophone lui opposait celles de William Grant, de James McGill et de Jacob Jordan, en faisant valoir qu'il était nécessaire que le président parlât parfaitement la « langue du souverain ». Jean-Antoine Panet finit par être élu au grand mécontentement des anglophones par 28 voix contre 18. Le 20 décembre 1792, Jean-Antoine Panet se présenta devant le gouverneur de la province en lui déclarant : « Je supplie Votre Excellence de considérer que je ne puis m'exprimer que dans la langue primitive de mon pays natal, et d'accepter la traduction en anglais de ce que j'aurai l'honneur de lui dire ».

The Legislative Assembly of Lower Canada in 1792

Pour le premier ministre britannique, William Pitt (dit « le Jeune », fils de lord Chatham), il paraissait extrêmement désirable que les Canadiens et les Britanniques du Bas-Canada fussent unis et conduits à préférer les lois et les institutions anglaises. « Avec le temps, croyait-il, les Canadiens adopteront peut-être les lois anglaises par conviction. Ce sera l'expérience qui devra enseigner aux Canadiens que les lois anglaises sont les meilleures ». Quant à la langue d'usage, les députés britanniques l'avaient complètement ignorée. Ils connaissaient sans doute la forme de bilinguisme, qui s'était installée dans l'Administration locale, par exemple dans les tribunaux et les journaux, et croyaient que les Canadiens perpétueraient le système. Que le président de la Chambre du Bas-Canada soit un francophone et qu'il connaisse mal la « langue de l'Empire » ne semblait pas un obstacle insurmontable, mais la question de la langue était déjà soulevée et le véritable débat restait à venir.

Jean-Antoine Panet, Louis joseph Papineay, Pierre-Amable de Bonne, John Richardson

La tenue des procès-verbaux de la Chambre ramena la question sur le tapis dès le 27 décembre de la même année (1792). Le député William Grant proposa la langue anglaise avec traduction « dans la langue française pour l'usage de ceux qui le désirent », alors que le député Louis-Joseph Papineau défendit l'usage du bilinguisme français-anglais. Le 14 janvier 1793, on convint de présenter les motions en anglais et en français, mais rien ne fut décidé au sujet de la langue des textes législatifs. Le député Pierre-Amable de Bonne (qui deviendra plus tard un membre du Conseil législatif) proposa deux registres « dans l'un desquels les procédés de la Chambre et les motions seront écrits en langue française, avec la traduction des motions originairement faites en langue anglaise », et l'inverse pour l'autre registre. Le député John Richardson exigea que l'anglais soit considéré comme ayant la primauté juridique : « Afin de préserver cette unité de langue légale indispensablement nécessaire dans l'Empire [...], l'anglais sera considéré le texte légal. » Après trois jours de débats, la Chambre accepta que les textes de lois soient « mis dans les deux langues », étant entendu que chacun des députés pouvait présenter une motion dans la langue de son choix, laquelle serait traduite pour être « considérée dans la langue de la loi à laquelle ledit bill aura rapport ». Voici le texte de la résolution adoptée le 23 janvier 1793 :

Que les bills présentés seront mis dans les deux langues, que ceux en anglais seront mis en français, et ceux présentés en français seront mis en anglais par le greffier, avant de recevoir la première lecture, et lorsque ainsi mis, seront aussi lus chaque fois dans les deux langues; bien entendu que chaque membre a le droit d'apporter tout bill dans sa propre langue; mais qu'après la traduction d'icelui le texte sera considéré être dans la langue de la loi à laquelle ledit bill aura rapport, conformément à la résolution de cette chambre.

Bref, les Canadiens désiraient l'unilinguisme français, alors que les Anglais refusaient de reconnaître le français comme langue officielle.

Situation linguistique au Haut-Canada

Le Haut-Canada de 1791 correspondait plus au moins à la partie méridionale de l'Ontario d'aujourd'hui, c'est-à-dire la région des Grands Lacs (hinterland). L'Acte constitutionnelde 1791 répondait aux voeux des loyalistes qui, refusant de cohabiter avec les Canadiens avec leurs lois civiles françaises et leur religion catholique, se virent proposer de s'installer dans la région par le gouverneur Haldimand. En 1787, le gouverneur de la « province of Quebec », lord Dorchester, avait organisé l'achat de Toronto aux Amérindiens de Mississauga; le territoire touché couvrait une superficie de plus de 1 000 kilomètres dans ce qui constitue aujourd'hui la région torontoise et la région d'York. Toutefois, la première capitale du Haut-Canada ne fut pas Toronto, mais Newark (maintenant Niagara on the Lake) près de la frontière canado-américaine. En 1793, la capitale fut déménagée à York (maintenant Toronto), qui paraissait moins vulnérable aux attaques de la nouvelle république des États-Unis. John Graves Simcoe (1752-1806) devint le premier lieutenant-gouverneur du Haut-Canada (de 1791 à 1796). Très attaché à son Angleterre natale, il voulut modeler le nouveau territoire conformément à sa patrie d'origine et instaurer l'anglicanisme comme religion d'État. Simcoe avait une très haute opinion des valeurs britanniques. Il rêvait pour sa colonie « d'une forme de gouvernement supérieure, davantage souhaitable et raffinée », non seulement pour y attirer les immigrants, mais aussi pour restaurer l'Empire et ramener les Américains dans le camp britannique.

The first Legislature of Upper Canada1792

Lors de la clôture de la première cession du premier Parlement du Haut-Canada en 1792, voici ce que John Graves Simcoe  rappelait à ses conseillers : « Cette province a bien de la chance de ne pas avoir une constitution mutilée, mais une constitution frappée du sceau de l'expérience, et qui est l'image même et la retranscription directe de celle de la Grande-Bretagne ». C'est lors de cette première session du Parlement que les députés du Haut-Canada adoptèrent une loi abolissant le recours aux lois françaises en matière de propriété et de droits civils et y introduisant les lois anglaises. Comme la très grande majorité de la population était de langue anglaise, l'anglais est devenu de facto la langue officielle de la législature, de la justice et de l'administration. Les juristes n'ont retrouvé dans les archives qu'un seul texte juridique où le français a eu un quelconque caractère obligatoire : il s'agit d'une disposition prévoyant que les avis annexés aux procédures destinées aux « Canadiens » soient en langue française.

Contrairement au Bas-Canada, la province du Haut-Canada ne fut guère touchée par la question linguistique. Considérant que la province était faite pour eux, les loyalistes ne s'embarrassèrent pas des problèmes linguistiques que connaissait le Bas-Canada. De son côté, le lieutenant-gouverneur Simcoe fit tout pour effacer toute trace française, et même amérindienne, dans sa colonie. Dès 1792, John Graves Simcoe décida d'ignorer ses sujets francophones en limitant leur influence dans le Haut-Canada. Avec l'arrivée des loyalistes, les francophones furent exclus des postes administratifs. Le gouverneur Simcoe rebaptisa aussi un certain nombre de toponymes. Ainsi, Toronto devint York, le lac des Claies fut changé en Simcoe Lake (rien de moins!), la rivière La Tranche en Thames River, la rivière Chippewa en Welland River, la rivière Toronto en Humber River, la rivière Wonscoteonach en Don River, etc. Cette pratique s'inscrivait dans une politique visant non seulement à effacer le plus possible les rappels à la toponymie française et amérindienne, mais aussi une façon de rendre hommage aux amis du régime. Les dénominations amérindiennes rappelaient encore l'alliance franco-indienne, d'où le rejet des toponymes amérindiens. Pourtant, tout au cours de son mandant, John Graves Simcoe s'efforça de maintenir de bonnes relations avec les autochtones. Lors de son départ de la province en 1796, Simcoe n'avait pu convaincre ni les Américains de renoncer au républicanisme ni la Grande-Bretagne de convertir le Haut-Canada en un grand centre militaire pour l'Empire.

John Graves Simcore

Les successeurs de Simcoe (Peter Russell, Peter Hunter, Alexander Grant, etc.) autorisèrent les francophones à se doter d'écoles confessionnelles françaises à côté du nouveau réseau d'écoles publiques (les Common Schools). Il s'agissait des écoles séparées qui devaient permettre à la minorité confessionnelle d'une section scolaire de se doter, aux frais de l'État, d'une école parallèle à celle de la majorité.

Pendant que les enfants anglo-protestants fréquentaient les écoles publiques, les enfants franco-catholiques préféraient les écoles séparées. Ces dernières étaient gérées par les communautés religieuses. Pendant un siècle, les Soeurs grises furent les grandes responsables du système scolaire primaire au Haut-Canada français. Les conseils scolaires firent appel aux services des communautés religieuses, car elles pouvaient garantir une relative abondance d'enseignants (surtout des enseignantes), avec un salaire médiocre. La hiérarchie catholique encourageait fortement les parents francophones à envoyer leurs enfants dans les écoles séparées pour y faire enseigner la langue française. C'est que l'école confessionnelle servait de moyen pour les francophones d'assurer la survie de leur langue maternelle. Une loi de 1855 (la loi Taché) réserva ces écoles séparées aux catholiques et excluait, sauf de très rares exceptions, toute autre confession religieuse. Au milieu de la décennie 1850, la hiérarchie catholique du Haut-Canada s'engagea sur le sentier de la séparation totale pour les enfants catholiques. En 1856, Mgr Armand-François de Charbonnel (1802-1891) accusa de « péché mortel » les parents catholiques qui inscrivaient leurs enfants à l'école commune publique. Dans les deux dernières décennies du 19e siècle, Mgr Joseph-Thomas Duhamel (1841-1891) alla encore plus loin en brandissant la menace de l'excommunication pour tout parent franco-catholique qui continuait de préférer l'école publique. 

En dotant les loyalistes du Haut-Canada d'un régime politique avec une Chambre d'assemblée élue, la Constitution de 1791 devait leur permettre de vivre en loyaux sujets de Sa Majesté et de demeurer fidèles à l'Église anglicane dans un territoire où ils désiraient sans aucun doute maintenir les traditions britanniques. La province comptait entre 6 000 et 8 000 loyalistes en 1784. Ils avaient grandement profité de la générosité de Londres par l'octroi de terres gratuites. Mais beaucoup de terres du Haut-Canada avaient été concédées à des spéculateurs qui n'avaient pas fait grand-chose pour les mettre en valeur. Des Américains, qui s'étaient fait passer pour des loyalistes, avaient obtenu des concessions gratuites auxquels ils n'avaient pas droit. Devant les abus de ce genre, le gouverneur Peregrine Maitland (1777-1854) avait aboli le système des concessions gratuites et imposé un régime de taxation sur les propriétés en friche.

Upper Canada Lower Canada circa 1850

Au cours des deux décennies qui suivirent, divers groupes vinrent s’établir au Haut-Canada, notamment des colons allemands de l’État de New York, des mennonites (parlant le bas-allemand) qui s’installèrent dans la vallée de la rivière Grand et des Highlanders catholiques qui élirent domicile dans le comté de Glengarry. Au milieu du siècle, la plupart des terres disponibles avaient été vendues et il était temps de lorgner vers l'Ouest, le domaine privé de la Compagnie de la Baie d'Hudson.

À la fin du siècle, le Haut-Canada comptait 46 000 habitants, puis, au moment de la guerre anglo-américaine de 1812, la population atteignit 90 000 habitants, dont quelques milliers d'Amérindiens, de Métis et de francophones (plus de 3 000). Ces derniers, habitués depuis le Régime français à vivre en minoritaires parmi les Amérindiens se sont accommodés à une majorité anglophone. Dans les années 1820, alors que la population du Haut-Canada atteignait les 120 000 habitants, la petite population francophone était d'environ 4 000 personnes, soit 3,3 %, réparties principalement à Sault-Sainte-Marie, Kingston, Pointe-à-l'Orignal, Hawkesbury Mills et les villages de Vankleek Hill et Orignal.

Transformation démographique et idéologique du Haut-Canada

Les colonies de l'Amérique du Nord britannique commencèrent à se transformer avec la croissance démographique et l'expansion économique. Elles continuaient de fonctionner avec le cadre constitutionnel de 1791. Ce qui paraissait tolérable en 1791 ne l'était plus dans les décennies qui suivirent, car les faiblesses du système administratif empêchaient toutes les colonies de l'Amérique du Nord britannique de fonctionner efficacement. Les députés des différentes assemblées législatives, qui étaient élus par la population locale, n'avaient plus de pouvoir réel au sein du gouvernement colonial, puisque les conseils législatifs, entièrement composés d'hommes (amis) nommés par le gouverneur ou le lieutenant-gouverneur, conservaient un droit de veto sur tous les projets de lois présentés par les Chambres.

Bien que différentes de par leurs structures démographiques et économiques, les colonies de l'Amérique du Nord britannique connurent à peu près partout une certaine agitation politique. Mais c'est au Bas-Canada que le débat prit une forme plus violente, puisqu'il se superposa à la question ethnique entre anglophones et francophones. Le Haut-Canada et le Bas-Canada vécurent pourtant des problèmes similaires: une majorité réformiste se heurtait à une minorité conservatrice accrochée à ses privilèges. 

Progressivement, les habitants du Haut-Canada (ou Upper Canada) développèrent une certaine animosité contre le gouvernement britannique. Essentiellement peuplée de loyalistes depuis 1784, la province avait vu changer considérablement sa composition démographique au cours des années suivantes. En l'espace de quelques décennies (entre 1815 et 1860), la population était passée à quelque 400 000 habitants, car elle avait accueilli des immigrants en grand nombre, notamment des États-Unis, d'où étaient arrivés des mennonites qui avaient racheté les terres concédées aux Mohawks dans la région de Kitchener. Vivant dans de petites colonies agricoles, les mennonites se caractérisent encore aujourd'hui par leurs vêtements noirs et l'usage de leur langue héritée du bas-allemand: le Plautdietsch (Plattdeutsch en allemand) fortement teinté d'influences néerlandaises et flamandes. Aux États-Unis, le Plautdietsch était appelé Pennsylvania Dutch (ou néerlandais de la Pennsylvanie) ou Pensilfaanisch en allemand. Puis, après la défaite de Napoléon à Waterloo (1814), de nombreux anciens combattants britanniques vinrent s'installer sur les terres basses que le gouvernement avait concédées à la Canada Compagny de John Galt (1779-1839), dans la région située entre les lacs Ontario et Huron; la Canada Compagny était une compagnie de colonisation particulièrement très active dans la région du lac Huron. D'autres Britanniques s'établirent dans la région de Peterborough au nord du lac Ontario. Il y eut aussi beaucoup de travailleurs saisonniers dans les chantiers forestiers (par exemple à Fort-Kaministiquia, maintenant Thunder Bay) et dans la construction des méga-projets de l'époque, c'est-à-dire les canaux (canal Érié, canal Welland, canal Rideau); de nombreux ouvriers amérindiens et francophones travaillèrent dans ces chantiers. De plus, le Haut-Canada reçut une importante immigration irlandaise, soit jusqu'à 25 000 par année. Ainsi, la population du Haut-Canada devenait de plus en plus multiethnique et devait assurer la dominance de la langue anglaise dans la province.

John Galt

Pendant ce temps, des colons écossais avaient obtenu des concessions de la Compagnie de la Baie d'Hudson afin d'exploiter des terres à l'ouest du Haut-Canada, dans la région de la Rivière-Rouge où vivaient déjà des Métis francophones. Vinrent s'ajouter des retraités de la Compagnie de la Baie d'Hudson avec leurs femmes autochtones, ce qui entraîna l'apparition de Métis anglophones. Pour leur part, les Amérindiens durent faire face aux épidémies (de variole, de coqueluche et de rougeole), à l'alcool et à l'expulsion de leurs terres (les actuelles provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta). Les maladies semèrent la mort parmi les Tchippewayans, les Saulteux, les Sioux, les Assiniboines, les Cris de l'Ouest, etc. Avant 1840, les autochtones étaient déjà engagés dans la voie qui les mènera dans le confinement des réserves. À partir de la seconde moitié du 19e siècle, le bison était disparu, les plaines étaient dominées par le chemin de fer, les clôtures et les villes, tandis que les coutumes ancestrales semblaient évanouies à jamais.

Outre l'anglais, les habitants parlaient également des langues amérindiennes (les autochtones), le français (les Métis et les francophones), l'allemand (les Allemands), le bas-allemand (les mennonites), l'irlandais (les Irlandais) et l'écossais (les Écossais). L'anglais parlé par les anglophones était un anglais différent de celui parlé à Londres, car il était imprégné de l'influence américaine et de l'amalgame des accents régionaux, ainsi que des coutumes et des croyances apportées par les divers immigrants écossais et irlandais. Occasionnellement, des conflits surgirent entre les Irlandais catholiques et les Écossais presbytériens, puis entre les Irlandais catholiques et les Irlandais protestants (orangistes), mais aussi entre les Irlandais et les Canadiens français. Les véritables conflits se produisirent à Bytown (aujourd'hui Ottawa) entre les groupes catholiques réformistes de la basse-ville (Irlandais et Canadiens français) et les groupes conservateurs et orangistes de la haute-ville. Avec le temps, outre certaines langues amérindiennes, seuls l'anglais, le français et, jusqu'à un certain point, l'allemand se sont maintenus.

Au point de vue sociologique, la population anglophone du Haut-Canada semblait en général moins radicale que celle des États-Unis et moins conservatrice que celle de Grande-Bretagne. Elle était, selon les historiens, moins expansive et plus respectueuse des autorités que ses voisins américains du Sud. Une Britannique en visite à Toronto vers 1850 résume des perceptions assez courantes de l'époque quand elle écrit que les gens « ne courent pas dans tous les sens » comme ils le font dans le Sud et qu'elle « n'a pas vu de fainéants ». La loyauté des habitants du Haut-Canada semblait une caractéristique particulière par comparaison aux Américains. Cette loyauté se concrétisait par leur attachement à la Couronne, mais aussi à l'Église anglicane, aux libertés britanniques et à l'impérialisme anglais. Cependant, avec l'émigration et le mélange d'éléments divers, les traditions britanniques perdirent quelques plumes, ce qui allait préparer la place aux réformistes. Il demeure que, contrairement aux francophones du Bas-Canada, les anglophones du Haut-Canada avaient moins développé une identité collective fortement enracinée dans l'ethnie, la région et un destin collectif. 

Éveil de l'idéologie nationaliste au Bas-Canada

es problèmes structurels étaient les mêmes au Bas-Canada, mais il s'y ajoutait des conflits ethniques et linguistiques. Au Bas-Canada, le Pacte de famille (« Family Compact ») trouvait sa correspondance dans la « clique du Château » (le château Saint-Louis à Québec), un petit groupe de notables et de marchands, presque tous d'origine britannique et de religion anglicane. Quant à la population francophone et catholique, elle se considérait flouée dans ses représentants à l'Assemblée, qui se trouvaient démunis de tout pouvoir. La question linguistique survint lorsque le gouverneur généralJames Henry Craig, par des mesures très maladroites, intervint dans le litige en dressant les francophones contre les anglophones. 

Chateau Clique

Le  début du 19e siècle fut marqué par l'éveil du sentiment nationaliste chez les Canadiens français. Ce nationalisme s'inscrivait dans les mouvements internationaux de libération nationale, notamment en Europe et en Amérique du Sud. En effet, entre 1804 et 1830, accédèrent à l'indépendance la Serbie, la Grèce, la Belgique, le Brésil, la Bolivie et l'Uruguay. Dans le Bas-Canada, ce mouvement prit la forme de luttes parlementaires. Les années 1805-1810 semblèrent capitales à cet égard. Constituant un bloc homogène, les députés francophones de l'Assemblée législative disposèrent d'un parti qu'on nomma le Parti canadien et se dotèrent, à partir de 1806, d’un journal : Le Canadien. Jusqu'en 1820, le pouvoir exécutif fut représenté successivement par les gouverneurs généraux Guy Carleton (lord Dorchester), Robert Prescott, James Henry Craig, George Prevost et John Coape Sherbrooke. Il oscilla entre une politique de confrontation avec les francophones et une politique de conciliation avec la Chambre d'assemblée. Par exemple, lorsqu'il était mécontent des élections, le gouverneur James Henry Craig prononçait la dissolution de l'Assemblée et faisait saisir Le Canadien. Il finit par être excédé que les francophones ne cessent de parler de la « nation canadienne » et de ses libertés : « Il semble que ce soit leur désir d'être considérés comme une nation séparée; la nation canadienne est chez eux une expression habituelle. » En 1810, Craig écrivit ces commentaires à propos des Canadiens :

Je veux dire que par la langue, la religion, l'attachement et les coutumes, [ce peuple] est complètement français, qu'il ne nous est pas attaché par aucun autre lien que par un gouvernement commun; et que, au contraire, il nourrit à notre égard des sentiments de méfiance [...], des sentiments de haine [...]. La ligne de démarcation entre nous est complète.

Ross Cuthbert (1776-1861), député anglophone de Warwick (Bas-Canada) durant de longues années et conseiller exécutif, écrivait en 1809 à propos des Canadiens ce témoignage sur leur caractère français :

James Henry Craig, James Stuart, Ross Cuthbert

Un étranger qui voyagerait à travers la province sans entrer dans les villes serait persuadé qu'il visite une partie de la France. La langue, les manières, chaque symbole, de la girouette aux sabots, s'unissent pour mieux le tromper. [...] S'il entre dans une maison, la politesse française, la tenue française, l'habillement français frapperont son regard. Dans un des meilleurs accents français, il entendra parler de savon français, de soulier français; et ainsi de suite, car tout se distingue par l'adjectif français. Si une des filles de la maison décide de chanter, il entendra probablement la jolie pastorale de Sur les bords de la Seine, ou quelque autre chanson, qui le transportera dans une de ces belles vallées de la vieille France. En visitant la chambre de compagnie, il remarquera, parmi les autres saints, le portrait de Napoléon. En résumé, il ne pourrait pas s'imaginer qu'il a franchi les frontières de l'Empire britannique.

Mais cet illustre citoyen anglican du Bas-Canada qu'était Ross Cuthbert considérait cette situation comme un anachronisme qui devait disparaître « dans l'effervescence d'un dissolvant britannique ». Quant à James Stuart (1780-1853), procureur général du Bas-Canada, député du comté de William Henry et membre du Conseil exécutif, il remit le 6 juin 1823 un mémoire sur un projet d'Union dans lequel il résumait ainsi les raisons du refus d'assimilation des Canadiens :

Le Bas-Canada est en majeure partie habité par une population qu'on peut appeler un peuple étranger, bien que plus de soixante ans se soient écoulés depuis la Conquête. Cette population n'a fait aucun progrès vers son assimilation à ses concitoyens d'origine britannique, par la langue, les manières, les habitudes et les sentiments. Ils continuent à quelques exceptions près, d'être aussi parfaitement français que lorsqu'ils ont été transférés sous la domination britannique. La principale cause de cette adhérence aux particularismes et aux préjugés nationaux est certainement la concession impolitique qui leur a été faite, d'un code de lois étrangères dans une langue étrangère.

De son côté, le journal Le Canadien écrivait dans son édition du 21 mai 1831 :

Il n'y a pas, que nous sachions, de peuple français en cette province, mais un peuple canadien, un peuple religieux et moral, un peuple loyal et amoureux de la liberté en même temps, et capable d'en jouir; ce peuple n'est ni Français, ni Anglais, ni Écossais, ni Irlandais, ni Yanké, il est Canadien.

Durant toute cette période, les anglophones ne se considéraient pas encore comme des Canadians. Ils s'affirmaient fièrement comme des Britons (en français : Bretons) — ce qui signifiait alors « Anglais » — et n'avaient d'autre appartenance qu'à la nation britannique, non à la « nation canadienne ». Le terme anglais de Canadians ne désignait qu'avec une certaine condescendance les Canadiens de langue française. Cette époque difficile fut caractérisée par les conflits entre le gouverneur général, appuyé par les marchands anglais, et la majorité parlementaire francophone : querelles religieuses, velléités d'assimilation, crises parlementaires, guerre des « subsides », problèmes d'immigration, projet d'union politique, etc. 

Les autres colonies de l'ANB

À la différence des colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada, celles des Maritimes ne semblaient pas connaître les mêmes problèmes. Néanmoins, les conservateurs et les réformistes s'affrontèrent pour le contrôle des institutions et de l'appareil décisionnel. Dans toutes les colonies atlantiques, la population d'origine acadienne demeura très largement à l'écart de la vie politique (pauvreté, analphabétisme, mesures discriminatoires, etc.). C'est pourquoi il n'y eut jamais de conflits linguistiques dans ces colonies de l'Amérique du Nord britannique, bien que ces mêmes colonies soient peuplées d'immigrants aux origines ethniques différentes (Anglais, Écossais, Irlandais, Allemands, Yankees et Acadiens). Toutefois, des problèmes surgirent entre les catholiques (acadiens et irlandais) et les protestants (les autres). Dans toutes ces colonies, on entendait parler l'anglais (avec des variétés importantes), l'irlandais, l'écossais, l'allemand et le bas-allemand, puis le français. Toutes ces langues, sauf le français acadien, se fonderont un jour dans un anglais nord-américain avec des caractéristiques particulières. Quant au français acadien, il conservera ses particularités propres aux parlers poitevins et saintongeais de l’ouest de la France et s’imprégnera des mots provenant de la langue anglaise.

Lower Canada, Rupert's Land, Hupper Canada

En 1817, la population de la Nouvelle-Écosse comptait 81 000 habitants. Au cours des décennies suivantes, la colonie s'accrut de plusieurs dizaines de milliers d'immigrants venus presque tous d'Écosse et d'Irlande, dont un bon nombre peupla l'île du Cap-Breton rattachée à la Nouvelle-Écosse en 1820. Ces nouveaux venus constituèrent une force capable de remettre en cause les prérogatives politiques dont bénéficiait encore une clique de marchands et de fonctionnaires regroupés autour du gouverneur à Halifax. Ce n'est qu'au début des années 1830 que les réformistes et les conservateurs s'affrontèrent.

Le leader des idées progressistes fut Joseph Howe (1804-1873), considéré comme le père du gouvernement responsable en Nouvelle-Écosse, mais un modéré par comparaison à William Lyon Mackenzie et Louis-Joseph Papineau dans les deux Canadas. Dans son journal, le Nova Scotian, Howe fit campagne en faveur d'un système selon lequel le gouvernement serait responsable devant le peuple. Les réformistes néo-écossais remportèrent les élections de 1837 et obtinrent, l'année suivante, la séparation du Conseil législatif du Conseil exécutif. La Nouvelle-Écosse devint la première colonie de l'Amérique du Nord britannique à pouvoir bénéficier d'un gouvernement représentatif en 1848. Joseph Howe devint premier ministre de la colonie de 1860 à 1863.

Comme dans le Haut-Canada, le conflit politique ne se doubla pas d'une querelle linguistique, les Acadiens ayant été oubliés. Depuis 1713, l'anglais était la langue officielle de la province, sans qu'il n'ait été nécessaire de le proclamer. 

Lower Canada Novia Scotia 1830

Rapport Durham et ses solutions

L'année 1840 reste une date charnière dans l'histoire du Canada, car un événement d'une extrême importance est survenu : l'union du Haut-Canada et du Bas-Canada, qui façonnera la culture des habitants du pays et les relations entre francophones et francophones. Cette année-là, la population totale de l'Amérique du Nord britannique — le futur Canada — est d'environ un million et demi d'habitants dispersés dans sept colonies :

Bas-Canada650,000
Haut-Canada450,000
Nouvelle-Écosse130,000
Nouveau-Brunswick100,000
Île-du-Prince-Édouard45,000
Terre-Neuve60,000
Nouvelle-Calédonie / Oregon (actuelle C.-B.)(??? nonofficial)

En vertu de sa charte royale octroyée par Charles II en 1670, la Compagnie de la Baie d'Hudson exploitait sa colonie privée que constituait la Terre de Rupert. Au-delà des Rocheuses, la compagnie détenait aussi le monopole des fourrures dans une nouvelle colonie située sur le territoire actuel de la Colombie-Britannique et appelée Oregon pour les États-Unis et New Caledonia (Nouvelle-Calédonie) pour la Grande-Bretagne. Le territoire de la Nouvelle-Calédonie était occupé conjointement par les Américains et s'étendait du 42 e parallèle nord jusqu'au 54 e parallèle, la frontière de l'Alaska, qui appartenait encore à la Russie. La population autochtone des territoires sous la juridiction de la Compagnie de la Baie d'Hudson était d'environ 300 000 personnes, mais cette population non blanche n'est pas incluse dans les statistiques officielles. Quelques années plus tard, en 1846, le traité d'Oregon fixera au 49e parallèle la frontière de l'Ouest entre l'Amérique du Nord britannique et les États-Unis. Il existera alors deux colonies distinctes sur la côte ouest : l'île de Vancouver et la Colombie-Britannique.

En 1840, les sept colonies d'Amérique du Nord britannique — Terre-Neuve, Île-du-Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Bas-Canada, Haut-Canada, Nouvelle-Calédonie (Oregon) — étaient encore sans lien géographique ni politique. Elles vivaient isolément les unes des autres comme des entités indépendantes avec chacune son gouverneur (plutôt son lieutenant-gouverneur), son assemblée, son Exécutif, sa fonction publique, ses bureaux de douane, sa police et sa milice, ses timbres-poste, etc. Seule la « Province du Canada » (avec les sections du Bas-Canada et du Haut-Canada) pouvait posséder certaines institutions communes. Aucune des colonies n'avait encore obtenu un gouvernement responsable. 

British Colonies and Territoires before 1840

Gouverneur général Durham

John George Lambton, comte de Durham (1792-1840), fut nommé gouverneur général de l'Amérique du Nord britannique, de janvier à novembre 1838 (après le soulèvement de 1837). Il avait été également nommé commissaire au Canada pour étudier la situation créée par la rébellion de 1837. Débarqué au début de l'été 1838, lord Durham mena son enquête promptement. Il parcourut le Bas-Canada comme le Haut-Canada afin de se faire une opinion sur l'état des relations entre les Britanniques et les Canadiens et d'en tirer des conclusions : ce fut le rapport Durham de 1839 sur lequel allait être fondé l'Acte d'Union(ou Loi d'Union) de 1840.

Durham constata que, dans toutes les colonies, l'Assemblée élue ne voulait plus se laisser dominer par un Conseil oligarchique. Toutefois, il estimait que les problèmes étaient plus d'origine ethnique que politique. L'émissaire britannique découvrit au Bas-Canada « deux nations en guerre au sein d'un même État ». Après un séjour de six mois, Durham présenta son rapport au gouvernement britannique.

Dans ses recherches, lord Durham n'a jamais cherché à entrer en contact avec les représentants canadiens. D'après son premier secrétaire Charles Buller (1806-1848), son opinion sur les Canadiens était déjà fixée avant même d'arriver à Québec. Il avait même décidé qu’aucune concession ne pouvait satisfaire les rebelles canadiens-français. Il n'a jamais reconnu un quelconque bien-fondé des arguments présentés par les partis réformistes qui désiraient modifier en profondeur les institutions de la colonie. Si les revendications des « rebelles » ne méritaient pas qu'on s'y attarde, les réformes demandées par les marchands anglais lui semblaient tout à fait appropriées : l'octroi du gouvernement responsable, puis l'union du Haut et du Bas-Canada. Or, son secrétaire, Charles Buller, croyait plutôt que de « longues années d'injustice » et « la déplorable ineptie de [la] politique coloniale » britannique avaient poussé les Canadiens à se rebeller.

Dans son rapport de 1839, lord Durham analysait la crise qui faisait rage dans le Bas-Canada. Selon lui, il existait deux causes à cette crise :

  1. la présence d'une Chambre d'assemblée élue et d'un Conseil exécutif non responsable entraînant un conflit politique; le gouverneur s'opposait à la Chambre d'assemblée;
  2. la coexistence de Canadiens et d'Anglais entraînant un « conflit de race » (ethnique).

Lord Durham proposait trois solutions :

  1. l'union du Haut-Canada (Ontario) et du Bas-Canada (Québec) en un seul État (1840);
  2. l'assimilation des Canadiens français (1840);
  3. la responsabilité ministérielle ou un gouvernement responsable (1848).

De santé fragile, lord Durham décéda peu de temps après son retour à Londres en 1840. 

Lord Durham

Le gouvernement britannique trancha en faveur de la réunion des deux colonies dans la Province du Canada et promulgua en 1840 la Loi de l'Union, traduite généralement en franco-canadien par Acte d'Union (littéralement de l'anglais : Union Act), qui regroupait les deux colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada en une seule assemblée. La Loi de l'Union fut adoptée au Parlement britannique, le 23 juillet 1840, sous le titre suivant : An Act to re-unite the Provinces of Upper and Lower Canada, and for the government of Canada (3 & 4 Victoria, c. 35), c'est-à-dire Loi pour réunifier les provinces du Haut et du Bas-Canada, et pour le gouvernement du Canada. La nouvelle loi constitutionnelle, qui comprenait 62 articles, entra en vigueur le 10 février 1841. L'article premier proclamait l'Union : « Les dites provinces ne formeront et ne constitueront qu'une seule et même province, sous le nom de Province du Canada. »

political structure under the Union

Ainsi, les deux Canadas (officiellement la « Province du Canada ») devinrent officiellement le Canada-Uni par la Loi de l'Union. Le Haut-Canada (Ontario) et le Bas-Canada (Québec) seront désormais appelés juridiquement le Canada-Ouest (Ontario) et le Canada-Est (Québec). Cependant, la terminologie de Haut-Canada et de Bas-Canada restera dans l'usage populaire au Canada jusqu'en 1867 et même après la Confédération. La ville de Kingston devint la capitale de la « Province du Canada-Uni » jusqu'en 1843, puis une loi adoptée en 1847 fixera Montréal comme nouvelle capitale en raison d'une situation géographique jugée plus favorable pour devenir le siège du gouvernement du Canada-Ouest (à majorité anglophone) et du Canada-Est (à majorité francophone). La mise en place de la nouvelle Constitution réjouit la classe commerciale anglaise, dont l'avenir semblait reposer sur le développement de l'axe laurentien, mais en revanche elle suscita la colère des Canadiens français, car plusieurs dispositions de la Loi de l'Union leur parurent vexatoires. Les francophones craignaient une colonie centralisée et dirigée majoritairement par des anglophones.

À l'époque, le Canada-Uni restait encore très petit, car il ne comprenait qu'une partie de l'Ontario et du Québec actuels, le reste du territoire (Terre de Rupert, Nouvelle-Calédonie, Terre-Neuve, Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse) demeurant des colonies britanniques ne faisant pas partie du Canada-Uni.

Province of United Canada

Avec une population de 650 000 habitants, le Canada-Est (Québec) comptait 42 députés à l'Assemblée législative, soit le même nombre que pour le Canada-Ouest (Ontario) avec 450 000 habitants; il s'agissait de forcer une égalité parlementaire en attendant que le jeu de l'immigration vienne combler l'écart démographique. De plus, le Canada français devait assumer les dettes du Canada anglais, contractées pour creuser des canaux et construire des routes; cette mesure parut injuste pour les francophones du Bas-Canada, car la dette du Haut-Canada s'élevait à 1 200 000 louis et celle du Bas-Canada à 95 000 louis. Comme lord Durham était d'avis qu'il fallait reconnaître la responsabilité de chaque province pour ses affaires internes — donc d'implanter la responsabilité ministérielle dans chacun des gouvernements des colonies d'Amérique du Nord britannique — Londres acquiesça à cette partie du rapport, surtout que c'était une façon de couper l'herbe sous le pied des réformistes. Pourtant, le secrétaire de la Guerre et des Colonies, lord John Russell (de 1846 à 1852), avait manifesté son désaccord sur la proposition du gouvernement responsable. Il croyait que cette mesure revenait à céder aux revendications des « rebelles » et que le Conseil colonial ne devrait pas être en position de conseiller Sa Majesté.

Colony of the United Canada between 1841 and 1867

L'impact du rapport Durham se révélait positif pour le Haut-Canada. En recommandant l'union politique des deux colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada, Durham croyait rétablir la paix. Il fallait assurer une majorité anglaise et loyale, angliciser les Canadiens français et accorder enfin la responsabilité ministérielle. En décrétant que l'anglais était la seule langue officielle du Parlement du Canada-Uni, la Loi de l'Union protégeait la population du Haut-Canada. En accordant un nombre identique de représentants parlementaires au Haut-Canada et au Bas-Canada (plus populeux), les autorités britanniques favorisaient la vie politique du Haut-Canada. En somme, le rapport Durham ne constituait guère une menace pour le Haut-Canada, au contraire. C'est pourquoi il fut fort bien reçu, mais il n'en fut pas ainsi pour les anglophones de Montréal, qui se virent encore tributaires d'une majorité francophone. 

diagram explaining the political union of Upper and Lower Canada

Exode des canadiens vers les États-Unis

Nous savons que, entre 1840 et 1930, près de quatre millions de Canadiens ont quitté leur pays pour les États-Unis. Étant donné qu’aucune étude sérieuse n'a été effectuée dans le passé par le ministère canadien de l'Immigration pour enregistrer le nombre d'émigrants, il faut se rabattre sur les données du département de l'Immigration des États-Unis (U.S. Citizenship and Immigration Services), notamment les recensements américains parce qu’ils constituent la source la plus immédiatement accessible.

La répartition géographique des Canadiens de langue anglaise et de langue française aux États-Unis s’est révélée différente pour des raisons évidentes. Les émigrants canadiens ont eu tendance à s’installer tout naturellement dans les États situés immédiatement au sud d'où ils habitaient.

Ainsi, les villes de la Nouvelle-Angleterre ont exercé un attrait plus fort pour les Canadiens français du Québec et les Canadiens anglais des Maritimes que pour ceux qui résidaient à l'ouest de la rivière des Outaouais (l’Ontario). La majorité des Canadiens anglophones se sont établis le long de la frontière, dans des États comme le Michigan, New York, le Massachusetts, l'Illinois, le Minnesota, l’Ohio. Par contre, la population francophone du Canada s'est principalement installée en Nouvelle-Angleterre, notamment dans les États suivants : le Massachusetts, le Maine, le New Hampshire, le Rhode Island, le Vermont et le Connecticut.

English and French Canadian emigrants : 1890-1920

La majorité des émigrants canadiens de langue anglaise ont choisi des emplois agricoles aux États-Unis, tandis que les Canadiens de langue française ont préféré les emplois manufacturiers de la Nouvelle-Angleterre. Toutefois, les possibilités d’emploi étaient plus grandes pour les Canadiens anglais que pour les Canadiens français. La connaissance de l’anglais nécessaire pour obtenir un emploi plus rémunérateur, de même que l'alphabétisation pour s’informer sur les possibilités du marché du travail. Sur ces deux aspects, les francophones se trouvaient désavantagés. En même temps, parce que les francophones formaient une communauté homogène par la religion catholique et la langue française, ils se sont maintenus plus longtemps en tant que minorité aux États-Unis, alors que les anglophones se sont rapidement fondus dans la majorité anglo-protestante américaine. Les ravages de l'émigration canadienne furent particulièrement considérables dans la seconde moitié du 19e siècle et jusqu'en 1930, au moment où le gouvernement américain se décida à fermer la frontière canado-américaine.  

Nous pouvons comprendre que la croissance démographique du Canada fut relativement modeste au cours de cette période, puisque le pays a attiré près d'un million et demi de nouveaux venus qu'il a perdus au profit de son voisin du Sud. Au cours de cette même période, même si l'immigration au Canada n'a pas faibli, elle fut largement dépassée par l'émigration de Canadiens de naissance vers les États-Unis. On estime que de 800 000 à un million de Canadiens (toutes langues confondues) sont partis, soit plus de 10 % de la population par décennie.

Les historiens se sont interrogés sur les causes de cet exode chez les deux grandes communautés linguistiques. Il y eut d’abord une surpopulation, tant en Ontario qu’au Québec, par rapport aux terres disponibles, alors que toute l’économie canadienne était fortement agricole. En contrepartie, la croissance industrielle au Canada s’est révélée insuffisante pour absorber les surplus de population dans les campagnes. Bien que le gouvernement canadien eût adopté une politique nationale pour favoriser la colonisation dans les grandes prairies de l’Ouest, les Canadiens francophones se sont montrés encore plus réticents que les Canadiens anglophones à s’établir dans ces régions ; la plupart ont préféré s’installer aux États-Unis.

Après 1930, l'immigration canadienne déclina graduellement à mesure que l'économie canadienne grandissait après la Seconde Guerre mondiale et que l'autonomie politique de la province francophone de Québec s'améliorait. Il n’en demeure pas moins que plus de quatre millions de Canadiens, toutes langues confondues, ont quitté leur pays entre 1890 et 1930, une véritable saignée pour le Canada.

Statut des langues dans les autres colonies de l'Amérique du Nord britannique

Les autres colonies qui formaient l'Amérique du Nord britannique — la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brusnwick, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve — n'étaient pas soumises à un quelconque bilinguisme. Les lois constitutionnelles qui furent imposées au Canada-Ouest et au Canada-Est ne concernaient pas les colonies de l'Atlantique. Les Maritimes

Dans les Maritimes, la langue française n'avait aucun statut en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, bien que les Acadiens y aient été relativement nombreux. La Constitution coloniale de la Nouvelle-Écosse est incluse dans les directives adressées par les autorités britanniques au gouverneur Edward Cornwallis en 1749. Elles consistaient à introduire les lois anglaises dans la colonie et prévoir que la procédure devant les tribunaux serait conforme aux lois de l'Angleterre. C'est qu'au cours des siècles précédents le français est resté la langue des tribunaux de l'Angleterre, et ce, malgré le Statute of Pleading de 1362, qui avait reconnu l'anglais comme seule langue d'usage. Mais depuis 1731, l'emploi de toute autre langue que l'anglais dans la procédure des tribunaux en Angleterre et en Grande-Bretagne était strictement interdit.

Au moment de l'entrée de la Nouvelle-Écosse dans la Confédération canadienne, l'anglais était la langue officielle de la colonie. Aucun texte n'a reconnu quelque statut que ce soit au français, pas même comme « langue de traduction ». La situation juridique était la même au Nouveau-Brunswick, puisqu'en ayant été détaché de la Nouvelle-Écosse en 1784 la Constitution de la province puisait son origine dans les directives du 16 août 1784 au gouverneur Thomas Carlton; celles-ci étaient similaires à celles adressées à Edward Cornwallis pour la Nouvelle-Écosse.

Île-de-Vancouver et Colombie-Britannique

Ce n'est qu'en 1849 que le Royaume-Uni créa formellement la colonie de l'Île-de-Vancouver dans le but de maintenir sa souveraineté dans l'Ouest. À ce moment-là, à part quelques centaines de colons britanniques installés à Fort-Victoria, la région du Pacifique comptait entre 40 000 à 50 000 autochtones. Sur le continent, la population blanche ne dépassait pas les 1000 habitants (des employés de la Compagnie de la Baie d'Hudson), alors que la population amérindienne atteignait les 26 000. Mais le caractère de la région changea considérablement en raison de la ruée vers l'or sur la rivière Fraser en 1858; jusqu'à 30 000 personnes arrivèrent dans la région cette seule année-là. L'afflux était tel que la Grande-Bretagne créa la colonie de Colombie-Britannique sur le continent pour mieux gérer la région. Les deux colonies de l'Ouest étaient gouvernées par un seul représentant britannique. L'anglais devint de facto la langue officielle des deux colonies.

En novembre 1866, Londres procéda unilatéralement à l'union de l'Île-de-Vancouver et de la Colombie-Britannique, considérant qu'il n'y avait pas d'avantages à maintenir deux colonies distinctes. Il faut dire que, en raison de la récession qui suivit la ruée vers l'or, des administrations coloniales séparées représentaient un fardeau financier injustifiable. La nouvelle colonie fusionnée adopta le nom de l'une, la Colombie-Britannique, et la capitale de l'autre, Victoria (sur l'île de Vancouver).

En mars 1867, les réformistes de la Colombie-Britannique réussirent à convaincre le gouverneur Seymour (qui était contre l'union avec le Canada) d'envoyer un télégramme au ministère des Colonies (le Colonial Office) afin de demander d'inscrire dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique une disposition permettant l'entrée éventuelle de la Colombie-Britannique dans la Confédération. De son côté, le Colonial Office y vit un certain intérêt, mais souleva l'obstacle majeur : les milliers de kilomètres de terres (connues sous le nom de Terre de Rupert et Territoire du Nord-Ouest), propriété de la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui séparaient la Colombie-Britannique du Canada. Pour ce faire, il fallait acquérir ces terres pour que le Canada puisse s'étendre d'un océan à l'autre.

On envisagea aussi l'annexion aux États-Unis, ce qui apparaissait comme une solution logique. C'est pourquoi l'acquisition de la Terre de Rupert par le Canada en 1869 donnera aux « canadianistes » un argument qui appuiera leur cause d'adhérer au Canada plutôt qu'aux États-Unis. Comme pour les autres colonies britanniques, l'anglais demeurait la langue officielle en vertu des lois de la Grande-Bretagne (devenu officiellement le Royaume-Uni). 

Effets des changements politiques sur les langues

À partir du début du 19e siècle, les anglophones et les francophones avaient atteint l'égalité numérique au Canada-Uni, lequel comprenait deux sections : le Canada-Est (une partie de l'actuelle province de Québec) et le Canada-Ouest (le sud de l'Ontario actuel). Le Canada-Est demeurait la section la plus peuplée avec 697 000 habitants en 1844, dont environ 75 % de francophones, les autres étant des Britanniques, des Écossais, des Irlandais et des Amérindiens. Le Canada-Ouest comptait 450 000 habitants en 1848, dont 2,5 % de francophones, les autres étant très majoritairement d'origine anglo-saxonne (britannique, écossaise, irlandaise et américaine) ou amérindienne.

Ailleurs, la population des colonies de l'Atlantique s'établissait à plus d'un demi-million d'habitants. La Nouvelle-Écosse, qui comptait 202 000 habitants, demeurait la plus peuplée de ces colonies, suivie du Nouveau-Brunswick (156 000 habitants en 1840), de Terre-Neuve (96 000 habitants en 1845) et de l'Île-du-Prince-Édouard (47 000 habitants en 1841). Les récents bouleversements politiques et économiques modifièrent les langues parlées en Amérique du Nord britannique.

L'Ouest, c'est-à-dire la Terre de Rupert, appartient à la Compagnie de la Baie d'Hudson. Il s'agit encore de territoires peuplés d'Amérindiens et de Métis (environ 5000 au total). La présence blanche se limite aux postes de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson, à quelques missions catholiques, anglicanes et méthodistes et à un îlot de peuplement sur les rives de la rivière Rouge, dans le sud de l'actuelle province du Manitoba. 

Avant le début des années 1800, époque où de nombreux Amérindiens furent emportés par des épidémies, près de 33 000 autochtones vivaient sur l'actuel territoire des Prairies. Durant plus de 500 ans, la présence européenne a probablement entraîné des pertes de 50 % à 75 % parmi ces populations, bien que certains chercheurs estiment que cette diminution serait plutôt de l'ordre de 90 %. Considérons aussi que les coutumes des populations amérindiennes furent profondément transformées, notamment les habitations, le travail, les vêtements, l'alimentation, etc. Beaucoup de langues amérindiennes, qui avaient été employées durant des milliers d'années, disparurent sans laisser de trace.

Même les lointains Inuits finirent par être touchés par la « civilisation ». Dans la seconde moitié du 19e siècle, quelque 30 000 pêcheurs blancs fréquentaient le Grand Nord. Les maladies s'introduisirent et, jointes aux modifications dans le régime alimentaire traditionnel, elles provoquèrent un brusque déclin de la population inuite. Les conséquences furent désastreuses pour presque toutes les langues autochtones, car elles entraînèrent soit leur régression soit leur disparition.