En cette fin du 18e siècle, les colonies de l'Amérique du Nord britannique étaient au nombre de sept : le Bas-Canada (Québec), le Haut-Canada (Ontario), la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'île de Terre-Neuve, l'Île-Saint-Jean (qui s'appellera l'île-du-Prince-Édouard en 1798) et l'Île-du-Cap-Breton (qui sera rattachée à la Nouvelle-Écosse en 1820).

Amérique du Nord britannique en 1791

La Terre de Rupert n'était pas une colonie, mais un vaste territoire concédé par la Couronne à la Compagnie de la Baie d'Hudson : c'était en quelque sorte une « colonie privée » n'ayant guère de lien avec les autres établissements britanniques. Le Canada de l'époque n'était pas encore un pays, mais davantage un « archipel de colonies britanniques » relativement isolées les unes des autres. 

Rupert's Land, Lower Canada, Hupper Canada

L'Acte constitutionnel de 1791

'Acte constitutionnel (on dirait aujourd'hui en français: Loi constitutionnelle) voté par le Parlement britannique en 1791 avait séparé la Province of Quebec en deux colonies distinctes : le Bas-Canada à l'est (ou Lower Canada) et le Haut-Canada à l'ouest (ou Upper Canada). La nouvelle loi constitutionnelle qui abrogeait l'Acte de Québec de 1774, ne concernait pas les autres colonies du Canada. Pour la première fois depuis 1763, le mot Canada était réintroduit dans les textes officiels et chacune des deux colonies portait désormais le titre de « province » :

Et ayant plu à sa Majesté de signifier par son message aux deux Chambres de Parlement, son Intention Royale de diviser sa Province de Québec; en deux provinces séparées, qui seront appelées la Province du Haut-Canada et la Province du Bas-Canada.

Lowe Canada Hupper Canada Rupert's Land

Les autorités britanniques avaient fixé la rivière des Outaouais comme limite entre les deux nouvelles provinces de l'Amérique du Nord britannique.

En 1800, le Bas-Canada comptait alors 225 000 habitants, dont 10 000 anglophones, tandis que le Haut-Canada (aujourd'hui l'Ontario) ne comptait que 46 000 habitants, presque tous des loyalistes anglophones, à part les Amérindiens, les Métis et les francophones. 

Premiers conflits linguistiques au Bas-Canada

À la fin du 19e siècle, la province du Bas-Canada comptait 160 000 habitants, dont 20 000 anglophones (12,5 %). La province était composée de quatre districts administratifs (Gaspé, Québec, Trois-Rivières et Montréal) et de 25 comtés. C'est vers 1806 que l'égalité numérique sera atteinte entre le Bas-Canada et le Haut-Canada, avec 225 000 habitants pour chacune des provinces; les francophones allaient devenir minoritaires dans l'ensemble du pays vers 1806.

Au début, les francophones du Bas-Canada réagirent positivement à l'Acte constitutionnelde 1791 parce qu'il garantissait les droits de l'Acte de Québec, notamment en maintenant la reconnaissance de la religion catholique et des lois civiles françaises. Le droit criminel anglais prenait place à côté du droit civil français, la terre était donnée « en tenure franche » à l'extérieur des seigneuries, une assemblée élue était établie, tout en maintenant le pouvoir de l'Église catholique et de l'élite seigneuriale. Bref, tout s'annonçait pour le mieux. Mais les difficultés inhérentes au cadre administratif allaient surgir très rapidement. 

Sous-représentation des francophones aux Conseils

Le nombre de députés de l'Assemblée législative était fixé à 50 membres. Même si les francophones étaient très majoritaires, les francophones firent élire 34 députés, les anglophones 16. Là où la situation devenait plus controversée, c'est au Conseil législatif qui comptait sept francophones et neuf anglophones, alors qu'on dénombrait quatre francophones et cinq anglophones au Conseil exécutif. Sur 31 personnes nommées au Conseil exécutif entre 1793 et 1828, seulement six furent francophones contre 25 anglophones. On peut mentionner que, sur 30 juges, seulement 11 furent francophones, sans oublier l'appareil administratif où la représentation canadienne-française était  encore plus minorisée. Bref, la mauvaise représentation entre francophones et anglophones n'augurait rien de bon pour le futur. 

Situation linguistique au Haut-Canada

Le Haut-Canada de 1791 correspondait plus au moins à la partie méridionale de l'Ontario d'aujourd'hui, c'est-à-dire la région des Grands Lacs (hinterland). L'Acte constitutionnelde 1791 répondait aux voeux des loyalistes qui, refusant de cohabiter avec les Canadiens avec leurs lois civiles françaises et leur religion catholique, se virent proposer de s'installer dans la région par le gouverneur Haldimand. En 1787, le gouverneur de la « province of Quebec », lord Dorchester, avait organisé l'achat de Toronto aux Amérindiens de Mississauga; le territoire touché couvrait une superficie de plus de 1 000 kilomètres dans ce qui constitue aujourd'hui la région torontoise et la région d'York. Toutefois, la première capitale du Haut-Canada ne fut pas Toronto, mais Newark (maintenant Niagara on the Lake) près de la frontière canado-américaine. En 1793, la capitale fut déménagée à York (maintenant Toronto), qui paraissait moins vulnérable aux attaques de la nouvelle république des États-Unis. John Graves Simcoe (1752-1806) devint le premier lieutenant-gouverneur du Haut-Canada (de 1791 à 1796). Très attaché à son Angleterre natale, il voulut modeler le nouveau territoire conformément à sa patrie d'origine et instaurer l'anglicanisme comme religion d'État. Simcoe avait une très haute opinion des valeurs britanniques. Il rêvait pour sa colonie « d'une forme de gouvernement supérieure, davantage souhaitable et raffinée », non seulement pour y attirer les immigrants, mais aussi pour restaurer l'Empire et ramener les Américains dans le camp britannique.

The first Legislature of Upper Canada1792

Lors de la clôture de la première cession du premier Parlement du Haut-Canada en 1792, voici ce que John Graves Simcoe  rappelait à ses conseillers : « Cette province a bien de la chance de ne pas avoir une constitution mutilée, mais une constitution frappée du sceau de l'expérience, et qui est l'image même et la retranscription directe de celle de la Grande-Bretagne ». C'est lors de cette première session du Parlement que les députés du Haut-Canada adoptèrent une loi abolissant le recours aux lois françaises en matière de propriété et de droits civils et y introduisant les lois anglaises. Comme la très grande majorité de la population était de langue anglaise, l'anglais est devenu de facto la langue officielle de la législature, de la justice et de l'administration. Les juristes n'ont retrouvé dans les archives qu'un seul texte juridique où le français a eu un quelconque caractère obligatoire : il s'agit d'une disposition prévoyant que les avis annexés aux procédures destinées aux « Canadiens » soient en langue française.

Contrairement au Bas-Canada, la province du Haut-Canada ne fut guère touchée par la question linguistique. Considérant que la province était faite pour eux, les loyalistes ne s'embarrassèrent pas des problèmes linguistiques que connaissait le Bas-Canada. De son côté, le lieutenant-gouverneur Simcoe fit tout pour effacer toute trace française, et même amérindienne, dans sa colonie. Dès 1792, John Graves Simcoe décida d'ignorer ses sujets francophones en limitant leur influence dans le Haut-Canada. Avec l'arrivée des loyalistes, les francophones furent exclus des postes administratifs. Le gouverneur Simcoe rebaptisa aussi un certain nombre de toponymes. Ainsi, Toronto devint York, le lac des Claies fut changé en Simcoe Lake (rien de moins!), la rivière La Tranche en Thames River, la rivière Chippewa en Welland River, la rivière Toronto en Humber River, la rivière Wonscoteonach en Don River, etc. Cette pratique s'inscrivait dans une politique visant non seulement à effacer le plus possible les rappels à la toponymie française et amérindienne, mais aussi une façon de rendre hommage aux amis du régime. Les dénominations amérindiennes rappelaient encore l'alliance franco-indienne, d'où le rejet des toponymes amérindiens. Pourtant, tout au cours de son mandant, John Graves Simcoe s'efforça de maintenir de bonnes relations avec les autochtones. Lors de son départ de la province en 1796, Simcoe n'avait pu convaincre ni les Américains de renoncer au républicanisme ni la Grande-Bretagne de convertir le Haut-Canada en un grand centre militaire pour l'Empire.

John Graves Simcore

Les successeurs de Simcoe (Peter Russell, Peter Hunter, Alexander Grant, etc.) autorisèrent les francophones à se doter d'écoles confessionnelles françaises à côté du nouveau réseau d'écoles publiques (les Common Schools). Il s'agissait des écoles séparées qui devaient permettre à la minorité confessionnelle d'une section scolaire de se doter, aux frais de l'État, d'une école parallèle à celle de la majorité.

Pendant que les enfants anglo-protestants fréquentaient les écoles publiques, les enfants franco-catholiques préféraient les écoles séparées. Ces dernières étaient gérées par les communautés religieuses. Pendant un siècle, les Soeurs grises furent les grandes responsables du système scolaire primaire au Haut-Canada français. Les conseils scolaires firent appel aux services des communautés religieuses, car elles pouvaient garantir une relative abondance d'enseignants (surtout des enseignantes), avec un salaire médiocre. La hiérarchie catholique encourageait fortement les parents francophones à envoyer leurs enfants dans les écoles séparées pour y faire enseigner la langue française. C'est que l'école confessionnelle servait de moyen pour les francophones d'assurer la survie de leur langue maternelle. Une loi de 1855 (la loi Taché) réserva ces écoles séparées aux catholiques et excluait, sauf de très rares exceptions, toute autre confession religieuse. Au milieu de la décennie 1850, la hiérarchie catholique du Haut-Canada s'engagea sur le sentier de la séparation totale pour les enfants catholiques. En 1856, Mgr Armand-François de Charbonnel (1802-1891) accusa de « péché mortel » les parents catholiques qui inscrivaient leurs enfants à l'école commune publique. Dans les deux dernières décennies du 19e siècle, Mgr Joseph-Thomas Duhamel (1841-1891) alla encore plus loin en brandissant la menace de l'excommunication pour tout parent franco-catholique qui continuait de préférer l'école publique. 

Transformation démographique et idéologique du Haut-Canada

Les colonies de l'Amérique du Nord britannique commencèrent à se transformer avec la croissance démographique et l'expansion économique. Elles continuaient de fonctionner avec le cadre constitutionnel de 1791. Ce qui paraissait tolérable en 1791 ne l'était plus dans les décennies qui suivirent, car les faiblesses du système administratif empêchaient toutes les colonies de l'Amérique du Nord britannique de fonctionner efficacement. Les députés des différentes assemblées législatives, qui étaient élus par la population locale, n'avaient plus de pouvoir réel au sein du gouvernement colonial, puisque les conseils législatifs, entièrement composés d'hommes (amis) nommés par le gouverneur ou le lieutenant-gouverneur, conservaient un droit de veto sur tous les projets de lois présentés par les Chambres.

Bien que différentes de par leurs structures démographiques et économiques, les colonies de l'Amérique du Nord britannique connurent à peu près partout une certaine agitation politique. Mais c'est au Bas-Canada que le débat prit une forme plus violente, puisqu'il se superposa à la question ethnique entre anglophones et francophones. Le Haut-Canada et le Bas-Canada vécurent pourtant des problèmes similaires: une majorité réformiste se heurtait à une minorité conservatrice accrochée à ses privilèges. 

Éveil de l'idéologie nationaliste au Bas-Canada

es problèmes structurels étaient les mêmes au Bas-Canada, mais il s'y ajoutait des conflits ethniques et linguistiques. Au Bas-Canada, le Pacte de famille (« Family Compact ») trouvait sa correspondance dans la « clique du Château » (le château Saint-Louis à Québec), un petit groupe de notables et de marchands, presque tous d'origine britannique et de religion anglicane. Quant à la population francophone et catholique, elle se considérait flouée dans ses représentants à l'Assemblée, qui se trouvaient démunis de tout pouvoir. La question linguistique survint lorsque le gouverneur généralJames Henry Craig, par des mesures très maladroites, intervint dans le litige en dressant les francophones contre les anglophones. 

Chateau Clique

Les autres colonies de l'ANB

À la différence des colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada, celles des Maritimes ne semblaient pas connaître les mêmes problèmes. Néanmoins, les conservateurs et les réformistes s'affrontèrent pour le contrôle des institutions et de l'appareil décisionnel. Dans toutes les colonies atlantiques, la population d'origine acadienne demeura très largement à l'écart de la vie politique (pauvreté, analphabétisme, mesures discriminatoires, etc.). C'est pourquoi il n'y eut jamais de conflits linguistiques dans ces colonies de l'Amérique du Nord britannique, bien que ces mêmes colonies soient peuplées d'immigrants aux origines ethniques différentes (Anglais, Écossais, Irlandais, Allemands, Yankees et Acadiens). Toutefois, des problèmes surgirent entre les catholiques (acadiens et irlandais) et les protestants (les autres). Dans toutes ces colonies, on entendait parler l'anglais (avec des variétés importantes), l'irlandais, l'écossais, l'allemand et le bas-allemand, puis le français. Toutes ces langues, sauf le français acadien, se fonderont un jour dans un anglais nord-américain avec des caractéristiques particulières. Quant au français acadien, il conservera ses particularités propres aux parlers poitevins et saintongeais de l’ouest de la France et s’imprégnera des mots provenant de la langue anglaise.

Lower Canada, Rupert's Land, Hupper Canada

Rapport Durham et ses solutions

L'année 1840 reste une date charnière dans l'histoire du Canada, car un événement d'une extrême importance est survenu : l'union du Haut-Canada et du Bas-Canada, qui façonnera la culture des habitants du pays et les relations entre francophones et francophones. Cette année-là, la population totale de l'Amérique du Nord britannique — le futur Canada — est d'environ un million et demi d'habitants dispersés dans sept colonies :

Bas-Canada650,000
Haut-Canada450,000
Nouvelle-Écosse130,000
Nouveau-Brunswick100,000
Île-du-Prince-Édouard45,000
Terre-Neuve60,000
Nouvelle-Calédonie / Oregon (actuelle C.-B.)(??? nonofficial)

En vertu de sa charte royale octroyée par Charles II en 1670, la Compagnie de la Baie d'Hudson exploitait sa colonie privée que constituait la Terre de Rupert. Au-delà des Rocheuses, la compagnie détenait aussi le monopole des fourrures dans une nouvelle colonie située sur le territoire actuel de la Colombie-Britannique et appelée Oregon pour les États-Unis et New Caledonia (Nouvelle-Calédonie) pour la Grande-Bretagne. Le territoire de la Nouvelle-Calédonie était occupé conjointement par les Américains et s'étendait du 42 e parallèle nord jusqu'au 54 e parallèle, la frontière de l'Alaska, qui appartenait encore à la Russie. La population autochtone des territoires sous la juridiction de la Compagnie de la Baie d'Hudson était d'environ 300 000 personnes, mais cette population non blanche n'est pas incluse dans les statistiques officielles. Quelques années plus tard, en 1846, le traité d'Oregon fixera au 49e parallèle la frontière de l'Ouest entre l'Amérique du Nord britannique et les États-Unis. Il existera alors deux colonies distinctes sur la côte ouest : l'île de Vancouver et la Colombie-Britannique.

En 1840, les sept colonies d'Amérique du Nord britannique — Terre-Neuve, Île-du-Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Bas-Canada, Haut-Canada, Nouvelle-Calédonie (Oregon) — étaient encore sans lien géographique ni politique. Elles vivaient isolément les unes des autres comme des entités indépendantes avec chacune son gouverneur (plutôt son lieutenant-gouverneur), son assemblée, son Exécutif, sa fonction publique, ses bureaux de douane, sa police et sa milice, ses timbres-poste, etc. Seule la « Province du Canada » (avec les sections du Bas-Canada et du Haut-Canada) pouvait posséder certaines institutions communes. Aucune des colonies n'avait encore obtenu un gouvernement responsable. 

British Colonies and Territoires before 1840

Gouverneur général Durham

John George Lambton, comte de Durham (1792-1840), fut nommé gouverneur général de l'Amérique du Nord britannique, de janvier à novembre 1838 (après le soulèvement de 1837). Il avait été également nommé commissaire au Canada pour étudier la situation créée par la rébellion de 1837. Débarqué au début de l'été 1838, lord Durham mena son enquête promptement. Il parcourut le Bas-Canada comme le Haut-Canada afin de se faire une opinion sur l'état des relations entre les Britanniques et les Canadiens et d'en tirer des conclusions : ce fut le rapport Durham de 1839 sur lequel allait être fondé l'Acte d'Union(ou Loi d'Union) de 1840.

Durham constata que, dans toutes les colonies, l'Assemblée élue ne voulait plus se laisser dominer par un Conseil oligarchique. Toutefois, il estimait que les problèmes étaient plus d'origine ethnique que politique. L'émissaire britannique découvrit au Bas-Canada « deux nations en guerre au sein d'un même État ». Après un séjour de six mois, Durham présenta son rapport au gouvernement britannique.

Dans ses recherches, lord Durham n'a jamais cherché à entrer en contact avec les représentants canadiens. D'après son premier secrétaire Charles Buller (1806-1848), son opinion sur les Canadiens était déjà fixée avant même d'arriver à Québec. Il avait même décidé qu’aucune concession ne pouvait satisfaire les rebelles canadiens-français. Il n'a jamais reconnu un quelconque bien-fondé des arguments présentés par les partis réformistes qui désiraient modifier en profondeur les institutions de la colonie. Si les revendications des « rebelles » ne méritaient pas qu'on s'y attarde, les réformes demandées par les marchands anglais lui semblaient tout à fait appropriées : l'octroi du gouvernement responsable, puis l'union du Haut et du Bas-Canada. Or, son secrétaire, Charles Buller, croyait plutôt que de « longues années d'injustice » et « la déplorable ineptie de [la] politique coloniale » britannique avaient poussé les Canadiens à se rebeller.

Dans son rapport de 1839, lord Durham analysait la crise qui faisait rage dans le Bas-Canada. Selon lui, il existait deux causes à cette crise :

  1. la présence d'une Chambre d'assemblée élue et d'un Conseil exécutif non responsable entraînant un conflit politique; le gouverneur s'opposait à la Chambre d'assemblée;
  2. la coexistence de Canadiens et d'Anglais entraînant un « conflit de race » (ethnique).

Lord Durham proposait trois solutions :

  1. l'union du Haut-Canada (Ontario) et du Bas-Canada (Québec) en un seul État (1840);
  2. l'assimilation des Canadiens français (1840);
  3. la responsabilité ministérielle ou un gouvernement responsable (1848).

De santé fragile, lord Durham décéda peu de temps après son retour à Londres en 1840. 

Lord Durham

Exode des canadiens vers les États-Unis

Nous savons que, entre 1840 et 1930, près de quatre millions de Canadiens ont quitté leur pays pour les États-Unis. Étant donné qu’aucune étude sérieuse n'a été effectuée dans le passé par le ministère canadien de l'Immigration pour enregistrer le nombre d'émigrants, il faut se rabattre sur les données du département de l'Immigration des États-Unis (U.S. Citizenship and Immigration Services), notamment les recensements américains parce qu’ils constituent la source la plus immédiatement accessible.

La répartition géographique des Canadiens de langue anglaise et de langue française aux États-Unis s’est révélée différente pour des raisons évidentes. Les émigrants canadiens ont eu tendance à s’installer tout naturellement dans les États situés immédiatement au sud d'où ils habitaient.

Ainsi, les villes de la Nouvelle-Angleterre ont exercé un attrait plus fort pour les Canadiens français du Québec et les Canadiens anglais des Maritimes que pour ceux qui résidaient à l'ouest de la rivière des Outaouais (l’Ontario). La majorité des Canadiens anglophones se sont établis le long de la frontière, dans des États comme le Michigan, New York, le Massachusetts, l'Illinois, le Minnesota, l’Ohio. Par contre, la population francophone du Canada s'est principalement installée en Nouvelle-Angleterre, notamment dans les États suivants : le Massachusetts, le Maine, le New Hampshire, le Rhode Island, le Vermont et le Connecticut.

English and French Canadian emigrants : 1890-1920

La majorité des émigrants canadiens de langue anglaise ont choisi des emplois agricoles aux États-Unis, tandis que les Canadiens de langue française ont préféré les emplois manufacturiers de la Nouvelle-Angleterre. Toutefois, les possibilités d’emploi étaient plus grandes pour les Canadiens anglais que pour les Canadiens français. La connaissance de l’anglais nécessaire pour obtenir un emploi plus rémunérateur, de même que l'alphabétisation pour s’informer sur les possibilités du marché du travail. Sur ces deux aspects, les francophones se trouvaient désavantagés. En même temps, parce que les francophones formaient une communauté homogène par la religion catholique et la langue française, ils se sont maintenus plus longtemps en tant que minorité aux États-Unis, alors que les anglophones se sont rapidement fondus dans la majorité anglo-protestante américaine. Les ravages de l'émigration canadienne furent particulièrement considérables dans la seconde moitié du 19e siècle et jusqu'en 1930, au moment où le gouvernement américain se décida à fermer la frontière canado-américaine.  

Nous pouvons comprendre que la croissance démographique du Canada fut relativement modeste au cours de cette période, puisque le pays a attiré près d'un million et demi de nouveaux venus qu'il a perdus au profit de son voisin du Sud. Au cours de cette même période, même si l'immigration au Canada n'a pas faibli, elle fut largement dépassée par l'émigration de Canadiens de naissance vers les États-Unis. On estime que de 800 000 à un million de Canadiens (toutes langues confondues) sont partis, soit plus de 10 % de la population par décennie.

Les historiens se sont interrogés sur les causes de cet exode chez les deux grandes communautés linguistiques. Il y eut d’abord une surpopulation, tant en Ontario qu’au Québec, par rapport aux terres disponibles, alors que toute l’économie canadienne était fortement agricole. En contrepartie, la croissance industrielle au Canada s’est révélée insuffisante pour absorber les surplus de population dans les campagnes. Bien que le gouvernement canadien eût adopté une politique nationale pour favoriser la colonisation dans les grandes prairies de l’Ouest, les Canadiens francophones se sont montrés encore plus réticents que les Canadiens anglophones à s’établir dans ces régions ; la plupart ont préféré s’installer aux États-Unis.

Après 1930, l'immigration canadienne déclina graduellement à mesure que l'économie canadienne grandissait après la Seconde Guerre mondiale et que l'autonomie politique de la province francophone de Québec s'améliorait. Il n’en demeure pas moins que plus de quatre millions de Canadiens, toutes langues confondues, ont quitté leur pays entre 1890 et 1930, une véritable saignée pour le Canada.

Statut des langues dans les autres colonies de l'Amérique du Nord britannique

Les autres colonies qui formaient l'Amérique du Nord britannique — la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brusnwick, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve — n'étaient pas soumises à un quelconque bilinguisme. Les lois constitutionnelles qui furent imposées au Canada-Ouest et au Canada-Est ne concernaient pas les colonies de l'Atlantique. Les Maritimes

Dans les Maritimes, la langue française n'avait aucun statut en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, bien que les Acadiens y aient été relativement nombreux. La Constitution coloniale de la Nouvelle-Écosse est incluse dans les directives adressées par les autorités britanniques au gouverneur Edward Cornwallis en 1749. Elles consistaient à introduire les lois anglaises dans la colonie et prévoir que la procédure devant les tribunaux serait conforme aux lois de l'Angleterre. C'est qu'au cours des siècles précédents le français est resté la langue des tribunaux de l'Angleterre, et ce, malgré le Statute of Pleading de 1362, qui avait reconnu l'anglais comme seule langue d'usage. Mais depuis 1731, l'emploi de toute autre langue que l'anglais dans la procédure des tribunaux en Angleterre et en Grande-Bretagne était strictement interdit.

Au moment de l'entrée de la Nouvelle-Écosse dans la Confédération canadienne, l'anglais était la langue officielle de la colonie. Aucun texte n'a reconnu quelque statut que ce soit au français, pas même comme « langue de traduction ». La situation juridique était la même au Nouveau-Brunswick, puisqu'en ayant été détaché de la Nouvelle-Écosse en 1784 la Constitution de la province puisait son origine dans les directives du 16 août 1784 au gouverneur Thomas Carlton; celles-ci étaient similaires à celles adressées à Edward Cornwallis pour la Nouvelle-Écosse.

Île-de-Vancouver et Colombie-Britannique

Ce n'est qu'en 1849 que le Royaume-Uni créa formellement la colonie de l'Île-de-Vancouver dans le but de maintenir sa souveraineté dans l'Ouest. À ce moment-là, à part quelques centaines de colons britanniques installés à Fort-Victoria, la région du Pacifique comptait entre 40 000 à 50 000 autochtones. Sur le continent, la population blanche ne dépassait pas les 1000 habitants (des employés de la Compagnie de la Baie d'Hudson), alors que la population amérindienne atteignait les 26 000. Mais le caractère de la région changea considérablement en raison de la ruée vers l'or sur la rivière Fraser en 1858; jusqu'à 30 000 personnes arrivèrent dans la région cette seule année-là. L'afflux était tel que la Grande-Bretagne créa la colonie de Colombie-Britannique sur le continent pour mieux gérer la région. Les deux colonies de l'Ouest étaient gouvernées par un seul représentant britannique. L'anglais devint de facto la langue officielle des deux colonies.

En novembre 1866, Londres procéda unilatéralement à l'union de l'Île-de-Vancouver et de la Colombie-Britannique, considérant qu'il n'y avait pas d'avantages à maintenir deux colonies distinctes. Il faut dire que, en raison de la récession qui suivit la ruée vers l'or, des administrations coloniales séparées représentaient un fardeau financier injustifiable. La nouvelle colonie fusionnée adopta le nom de l'une, la Colombie-Britannique, et la capitale de l'autre, Victoria (sur l'île de Vancouver).

En mars 1867, les réformistes de la Colombie-Britannique réussirent à convaincre le gouverneur Seymour (qui était contre l'union avec le Canada) d'envoyer un télégramme au ministère des Colonies (le Colonial Office) afin de demander d'inscrire dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique une disposition permettant l'entrée éventuelle de la Colombie-Britannique dans la Confédération. De son côté, le Colonial Office y vit un certain intérêt, mais souleva l'obstacle majeur : les milliers de kilomètres de terres (connues sous le nom de Terre de Rupert et Territoire du Nord-Ouest), propriété de la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui séparaient la Colombie-Britannique du Canada. Pour ce faire, il fallait acquérir ces terres pour que le Canada puisse s'étendre d'un océan à l'autre.

On envisagea aussi l'annexion aux États-Unis, ce qui apparaissait comme une solution logique. C'est pourquoi l'acquisition de la Terre de Rupert par le Canada en 1869 donnera aux « canadianistes » un argument qui appuiera leur cause d'adhérer au Canada plutôt qu'aux États-Unis. Comme pour les autres colonies britanniques, l'anglais demeurait la langue officielle en vertu des lois de la Grande-Bretagne (devenu officiellement le Royaume-Uni). 

Effets des changements politiques sur les langues

À partir du début du 19e siècle, les anglophones et les francophones avaient atteint l'égalité numérique au Canada-Uni, lequel comprenait deux sections : le Canada-Est (une partie de l'actuelle province de Québec) et le Canada-Ouest (le sud de l'Ontario actuel). Le Canada-Est demeurait la section la plus peuplée avec 697 000 habitants en 1844, dont environ 75 % de francophones, les autres étant des Britanniques, des Écossais, des Irlandais et des Amérindiens. Le Canada-Ouest comptait 450 000 habitants en 1848, dont 2,5 % de francophones, les autres étant très majoritairement d'origine anglo-saxonne (britannique, écossaise, irlandaise et américaine) ou amérindienne.

Ailleurs, la population des colonies de l'Atlantique s'établissait à plus d'un demi-million d'habitants. La Nouvelle-Écosse, qui comptait 202 000 habitants, demeurait la plus peuplée de ces colonies, suivie du Nouveau-Brunswick (156 000 habitants en 1840), de Terre-Neuve (96 000 habitants en 1845) et de l'Île-du-Prince-Édouard (47 000 habitants en 1841). Les récents bouleversements politiques et économiques modifièrent les langues parlées en Amérique du Nord britannique.

L'Ouest, c'est-à-dire la Terre de Rupert, appartient à la Compagnie de la Baie d'Hudson. Il s'agit encore de territoires peuplés d'Amérindiens et de Métis (environ 5000 au total). La présence blanche se limite aux postes de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson, à quelques missions catholiques, anglicanes et méthodistes et à un îlot de peuplement sur les rives de la rivière Rouge, dans le sud de l'actuelle province du Manitoba.