Le Canada de 1867 ne ressemblait pas au Canada d'aujourd'hui. C'était un petit pays de 3,4 millions (en 1867, mais 3,7 millions en 1871) d'habitants comprenant quatre provinces : l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Canada politique de 1867

Malgré ses vastes étendues non exploitées, le Canada n'était plus un « archipel de colonies britanniques », il commençait à être un pays, mais celui-ci n'avait encore d'existence que dans l'Est, puisque 76 % des Canadiens vivaient en Ontario et au Québec, les autres dans les Maritimes.

La population canadienne se répartissait comme suit (selon les statistiques de 1871) :

ProvincePopulationPourcentage
Ontario1,620,85146.4%
Québec1,191,51634.1%
Nouveau-Brunswick285,5948.1%
Nouvelle-Écosse387,80011.1%
Total3,485,761100.0%
map of Canada in 1867
©Jacques Leclerc 2018

Évidemment, le Canada de 1867 ne ressemblait pas au Canada d'aujourd'hui, car il était beaucoup plus petit. Cependant, sur le territoire de ce qui est le Canada d'aujourd'hui, il existait d'autre colonies britanniques: à l'est Terre-Neuve (146 536) et l'Île-du-Prince-Édouard (94 021), à l'extrémité ouest la Colombie-Britannique (10 586) et, entre cette dernière et l'Ontario, l'immense territoire de la Terre de Rupert (à population indéterminée), qui couvrait ce qui correspond aujourd'hui au Manitoba, à la Saskatchewan, à l'Alberta, au Yukon, aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, ainsi qu'une partie de l'Ontario et du Québec.

map of canada in 1867
©Jacques Leclerc 2018

Terminologie : confédération ou fédération?

Depuis 1867, on a souvent appelé le Canada, dans sa dénomination longue, la Confédération canadienne. Or, officiellement, le Canada de 1867 avait plutôt choisi l'appellation de Dominion du Canada en parlant de l'« Union fédérale », puis l'expression Dominion du Canada a fini par tomber en désuétude. Par la suite, le mot Confédération s'est perpétué jusqu'à nos jours pour désigner le pays. Il n'en demeure pas moins que ce terme de Confédération n'a aucune valeur officielle ou juridique : on ne le retrouve pas dans la Constitution canadienne de 1867. Au 19e siècle, les termes de fédération et de confédération étaient employés comme synonymes.

Pour simplifier, on peut dire que le Dominion du Canada fut formé le 1 er juillet 1867 avec la confédération de quatre provinces (Ontario, Québec, Nouvelle-Écosse et Nouveau-Brunswick) de l'Amérique du Nord britannique pour former une Union fédérale. Le Canada de 1867 demeurait toujours une colonie britannique et le demeurera jusqu'en 1931 lors de la proclamation du Statut de Westminster (Londres).

En réalité, le Canada actuel est une fédération, non une confédération. Ce dernier terme désigne aujourd'hui une union de plusieurs États indépendants ayant délégué par traité certaines compétences gouvernementales à un gouvernement central; on parle ainsi de la Confédération helvétique (les cantons ayant conservé leur souveraineté politique) devenue depuis le 18 avril 1999 la Confédération suisse. Quant au terme de fédération, il renvoie à une union de plusieurs États associés formant un seul État fédéral tout en conservant deux niveaux de gouvernement. Il existe de nombreux exemples de fédération dans le monde : les États-Unis, le Mexique, le Brésil, l'Argentine, l'Allemagne, la Belgique, la Russie, l'Afrique du Sud, etc.

C'est aussi à partir de la Confédération que les habitants anglophones du Canada commencèrent à s'identifier par le mot anglais de Canadians, reléguant par le fait même le mot français Canadiens (qui désignait les Canadiens de langue française) en désuétude. De façon systématique, les Canadiens de langue française s'appelèrent Canadiens français (French Canadians) par opposition à Canadiens anglais (English Canadians).

Pour plus d’informations, veuillez consulter la section Fondements de ce site

En 1867, au moment de la création du Canada, le système se voulait fédéral, avec un partage des compétences entre le centre (pouvoir fédéral) et les provinces (pouvoirs provinciaux avec un gouvernement dans chaque province). Les articles 91 et 92 de la Constitution de 1867 ont fixé les différents domaines de responsabilité :

Compétence fédérale

  • Commerce
  • Taxes
  • Postes
  • Milice et défense
  • Monnaie et banques
  • Politique indienne
  • Droit criminel
  • Pouvoir résiduaire (champs non définis dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique)
  • Droit de désaveu sur les provinces

Compétence provinciale

  • Terres publiques et forêts
  • Système de santé
  • Institutions municipales
  • Mariage
  • Propriété et droits civils
  • Éducation
  • Licences commerciales
  • Constitution provinciale

Compétence partagée

  • Agriculture
  • Les compagnies et le développement économiques
  • Les prisons et la justice
  • La pêche
  • Les travaux publics
  • Les transports et communications
  • L'immigration

Source : « Acte de l'Amérique du Nord britannique », dans Gérald-A. Beaudoin,
La Constitution du Canada, Montréal, Wilson et Lafleur, 1990, p. 849-902.

Bien que, en principe, le pouvoir fédéral détienne la responsabilité sur les questions d'intérêt général et national et les gouvernements provinciaux, celle des questions régionales, la différence n'était pas tout à fait tranchée entre les compétences des deux instances. Il n'est pas facile de déterminer ce qui constitue les « affaires générales » (gouvernement fédéral) et les « affaires locales » (gouvernements provinciaux), car les deux paliers de gouvernement sont à la fois indépendants et complémentaires. C'est pourquoi les conflits de juridiction ont éclaté régulièrement au cours de l'évolution politique ultérieure du Canada, notamment dans le domaine de la langue.

Loi constitutionnelle de 1867 et la question linguistique

La Constitution de 1867 portait le nom officiel d’Acte de l'Amérique du Nord britannique. Elle avait été adoptée le 29 mars 1967 par le parlement de Westminster sous le nom de British North America Act 1867, 30-31 Victoria, c. 3 (U.K.). La Constitution est entrée en vigueur à midi, le 1er juillet 1867, en donnant au Canada le nom de Dominion du Canada. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique fut rebaptisé en 1982 et devint la Loi constitutionnelle de 1867. Fait à noter, le Canada ne possède pas une constitution, c'est-à-dire une seule constitution, mais bien une trentaine de textes constitutionnels (pour les détails, voir la section Cadre législatif de ce site). Le texte constitutionnel de 1867 demeure aujourd'hui encore en vigueur et fait partie intégrante de ce qu'on appelle la Constitution canadienne. Le 1er juillet 1867, le Globe de Toronto saluait ainsi la naissance d'un nouveau Canada, blanc, anglais et protestant :

John Alexender Macdonald, George-Etienne Cartier, Geroge Brown

Nous saluons la naissance d'une nouvelle nation. Une Amérique anglaise unie, forte de quatre millions d'habitants, prend place aujourd'hui parmi les grandes nations du monde.

De son côté, John Alexander Macdonald, le premier premier ministre du Canada, exprima ainsi sa notion d'égalité entre les deux langues admises au sein de la Confédération :

Je suis en désaccord avec le point de vue exprimé en certains milieux selon lequel il faut tenter de quelque façon que ce soit d'opprimer une langue ou de la placer dans une position inférieure par rapport à une autre; toute tentative en ce sens serait vouée à l'échec, et même si c'était possible, cela serait insensé et mesquin.

Pour George-Étienne Cartier, la Constitution de 1867 devait accorder au Québec l'autonomie nécessaire pour protéger sa langue, sa tradition de droit civil et sa religion; pour George Brown, 1867 marqua la fin de la domination française au Canada et le début d'une nouvelle nationalité britannique; il avait déclaré lors de la conférence de Québec en 1864 : « Is it not wonderful? French canadianism entirely extinguished! » Autrement dit: « Est-ce que ce n'est pas merveilleux? Le canadianisme français est entièrement éteint! » Mais rien ne s'est passé comme prévu, la réalité souvent incontournable étant parfois différente des intentions.

La Loi constitutionnelle de 1867, toujours en vigueur, ne contient qu'un seul article à caractère linguistique : l'article 133 stipule que tout député a le droit d'utiliser l'anglais ou le français au Parlement du Canada et à la Législature de la province de Québec; de plus, dans toute plaidoirie devant les tribunaux fédéraux du Canada et devant tous les tribunaux du Québec, tout citoyen peut faire usage de l'une ou l'autre de ces deux langues. Voici comment est libellé l'article 133 :

Article 133

  1. Dans les chambres du Parlement du Canada et les chambres de la Législature de Québec, l'usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l'usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l'autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux de Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l'une ou l'autre de ces langues.
  2. Les lois du Parlement du Canada et de la Législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

Il faut bien comprendre que cet article 133 n'établissait pas le bilinguisme officiel au Canada dans son entier; il rendait simplement possible l'usage de l'anglais et du français au Parlement fédéral, à la Législature du Québec, ainsi que dans les tribunaux de la province de Québec et dans ceux (à créer) du gouvernement fédéral. On peut même affirmer que le français et l'anglais ne furent pas reconnus comme langues officielles.

Au 19e siècle, la notion d'un pays bilingue en est à peine à ses premiers balbutiements et va à l'encontre de l'idée qu'on se faisait d'un pays fondé sur la nation, celle-ci étant perçue comme ayant une seule langue et une seule « race » (terme très en vogue à l'époque). Les Anglo-Canadiens d'alors ne pouvaient même pas concevoir qu'une nation puisse avoir deux langues officielles, même si une telle nation existait à ce moment-là, par exemple en Suisse. C'est pourquoi il ne pouvait être question de bilinguisme institutionnel, encore moins de bilinguisme officiel. Bien que la reconnaissance des deux langues aient été limitée à deux domaines précis (la législation et les tribunaux fédéraux), le français et l'anglais recevaient néanmoins une réelle consécration juridique, sans pour autant consacrer ni le français ni l'anglais comme langues officielles. En revanche, la Constitution de 1867 rendait le Québec, seul parmi les provinces d'origine, obligatoirement bilingue, sans que les deux langues ne reçoivent le statut de langues officielles.

En réalité, la Loi constitutionnelle de 1867 n'engageait au bilinguisme ni le gouvernement fédéral ni l'administration publique relevant de cette juridiction, ni le Québec. Il s'agissait simplement de ce que le juriste franco-ontarien, Gérald-Armand Beaudoin (1929-2008), a appelé « un embryon de bilinguisme officiel », car l'article 133 n'a jamais eu pour objectif d'imposer un cadre institutionnel à la langue. Bref, on dirait aujourd'hui que c'était une loi mal ficelée, mais le bilinguisme institutionnel était une denrée rare en 1867, pour ne pas dire inexistante. Seule la Suisse fédérale pratiquait un tel système, mais il est improbable que les rédacteurs de la Constitution, essentiellement John A. Macdonald, ait consulté la Constitution helvétique de l'époque (alors rédigée en allemand et en français). Ils ont dû, tout au plus, s'en tenir aux lois existantes dans les colonies britanniques où aucune n'était bilingue. Il ne faut donc pas se surprendre de cet « embryon de bilinguisme ». Ce n'était pas dans les moeurs de l'époque; Certains y ont vu, au contraire, une grande tolérance!

Il existait pourtant des pratiques de bilinguisme administratif, judiciaire, scolaire, etc., dans certains pays (Suisse, Belgique, Finlande, Italie, etc.), mais fort peu de dispositions relatives au bilinguisme enchâssées dans un texte juridique, c'est-à-dire une constitution ou une loi. Rappelons aussi que les négociateurs de la Constitution, ceux qu'on appelle les « Pères de la Confédération », avaient devant les yeux le seul modèle de la mère partie : le Royaume-Uni qui avait évincé sur son territoire toutes les langues minoritaires (gallois, écossais, irlandais, mannois) au profit de la langue unificatrice, l'anglais. Dans le cas du Canada, l'embryon de bilinguisme législatif et judiciaire était probablement perçu comme avancée presque révolutionnaire

How an Englishman develops an idea, for instance, bears little resemblance to how a Frenchman would do the same. The mentality, the way of thinking, the method is different. We can grasp the idea of a law in one language and express it but poorly in another. Unless the two tongues share a same spirit and the two peoples an identical intellectual process, any attempt at translation will be vain unless one first completely assimilates the legal notion to be transplanted, which in itself alters the essence, introduces new viewpoints, reorders both the details and the whole according to a new economy, and in the end presents a new conception of the law, with all the attendant changes to make it fit another manner of thinking, doing, and speaking. Any other method of borrowing shall assuredly lead to deplorable consequences.

In the 1980s, the federal government would find solutions to these problems by calling on two drafting committees, one English and the other French, and a third to reconcile the two versions.

Dans les faits, la part des deux langues au Parlement ne pouvait être qu'inégale, car quiconque prenait la parole en français n'était pas compris de la majorité anglophone, et l'inverse était tout aussi vrai. On sait que la traduction simultanée ne fut introduite qu'en 1969. C'est pourquoi la plupart des députés et sénateurs francophones durent généralement être bilingues, du moins s'ils voulaient occuper des fonctions importantes, sinon les débats en anglais devaient paraître terriblement longs pour un francophone unilingue. L'anglais devint forcément la langue véhiculaire au Parlement. Lorsqu'un député voulait être entendu, il se devait d'utiliser l'anglais sous peine de voir éventuellement l'assemblée se vider des deux tiers..

Les règlements de l'époque prévoyaient que les motions devaient être lues dans les deux langues et que les projets de loi devaient être imprimés en français et en anglais. Toutefois, les autres documents de travail, ainsi que les exposés présentés devant les comités parlementaires étaient présentés en général uniquement en anglais. La plupart des règlements n'étaient offerts qu'en anglais, sauf ceux destinés à l'ensemble du pays ou au Québec. Dans tous les autres cas, les documents étaient rédigés et diffusés seulement en langue anglaise; il en était ainsi des décrets du Conseil des ministres. Même si certains documents publiés dans la Gazette officielle devaient être traduits, la version anglaise restait la seule admise officiellement. Autrement dit, si l'anglais servait de langue de travail, le français devenait forcément une simple langue de traduction. Comme on le constate, il peut être  difficile de forcer l'égalité de deux langues.

l y eut également le problème de la rédaction et de la traduction des lois. Pour être valides, les deux versions doivent être promulguées à la fois en français et en anglais. Or, l'expérience de plusieurs décennies après 1867 a révélé que les lois du Parlement ont toujours été rédigées en anglais et que la version française n'a été qu'une traduction. À l'époque, celle-ci était parfois fort mauvaise et exigeait de connaître la langue anglaise pour bien comprendre le sens réel de la loi. Il arrivait aussi que des passages de l'une ou l'autre des versions n'avaient pas la même signification en français et en anglais; dans le pire des cas, les versions pouvaient être contradictoires. Évidemment, une telle situation pouvait avoir des conséquences dangereuses, car les deux versions étaient légalement officielles. Lorsqu'il se présentait des problèmes (dans le cas de versions contradictoires), il fallait faire adopter une loi modificatrice bilingue pour faire modifier seulement l'une des deux versions, c’est-à-dire la version française en général. Certains juristes croient qu'il était tout simplement impossible de concilier deux systèmes juridiques différents (la Common Law et le droit français) qui avaient des méthodes de rédaction différentes. En 1922, le juge Adjutor Rivard (1868-1945) de la Cour du Banc de la Reine avait compris les difficultés de la situation :

Adjutor Rivard (1868-1945)

Le développement qu'un Anglais, par exemple, aime à faire d'une idée ne ressemble guère à ce qu'il plairait à un Français d'en tirer. La mentalité, la tournure d'esprit, la méthode, sont différentes. On peut avoir pris possession de l'idée d'une loi telle qu'exprimée dans une langue, et ne pouvoir la rendre que fort mal dans une autre. À moins que les deux idiomes aient un génie commun et que les procédés intellectuels des deux peuples soient identiques, toute tentative de traduction sera vaine, si elle n'est pas précédée d'une assimilation complète de la notion légale à transplanter; et cela comportera nécessairement des altérations essentielles, le développement d'aperçus nouveaux, l'ordonnance de l'ensemble et des détails suivant une économie différente, en somme une conception nouvelle de la loi, avec tous les changements nécessaires pour qu'elle convienne à une autre manière de penser, de faire et de dire. Toute autre méthode d'emprunt sera féconde en conséquences déplorables.

Le Canada fédéral des années 1980 trouvera des solutions à ce problème en faisant appel à deux comités de rédaction, l'un en anglais, l'autre en français, puis à un troisième pour concilier les deux versions.

Expansion territoriale (1867-1949) et ses conséquences linguistiques

Les quatre provinces fondatrices — Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick, Ontario et Québec — ont formé le noyau du Canada fédéral en 1867. Puis, en quelques années, le premier ministre de l'époque, sir John Alexander Macdonald, a acheté la Terre de Rupert et négocié l'entrée de trois autres provinces (Manitoba en 1870; Colombie-Britannique en 1871 et Île-du-Prince-Édouard en 1873), en plus de créer deux territoires (Territoires du Nord-Ouest en 1870 et Yukon en 1898). Au tournant du siècle (1905), l'Alberta et la Saskatchewan ont été créées à même les Territoires du Nord-Ouest. Les habitants de Terre-Neuve ont eu la possibilité de faire partie du Canada en 1869 et en 1896, mais ils y ont toujours renoncé jusqu'en 1949, alors qu'ils ont adhéré à la Confédération qui, rappelons-le, a toujours été une fédération.

map showing the date of admission to the federation for each province

Cette expansion territoriale au Canada n'est pas étrangère à la crainte qu'inspiraient les visées expansionnistes des États-Unis. L'année de la Confédération (1867), les États-Unis venaient d'acheter l'Alaska de la Russie pour 7,2 millions de dollars, ce qui pouvait donner envie aux Américains de relier le Nord et le Sud par la Colombie-Britannique. Le chemin de fer américain de l'Union Pacific Railway était achevé en 1864, ce qui faisait croître le peuplement du nord-ouest des États-Unis. Des marchands et des colons américains commençaient à entrevoir des possibilités d'expansion vers les vastes plaines canadiennes presque inhabitées. Depuis 1863, neuf nouveaux États avaient été créés, dont plusieurs en bordure de la frontière canadienne: le Minnesota en 1858, le Wisconsin en 1863, le Montana et l'État de Washington en 1889, l'Idaho en 1890. Or, tous ces événements rendaient les Américains bien suspects aux yeux des Canadiens qui craignaient une nouvelle montée de l'expansionnisme dans l'Ouest. Bref, il fallait prendre de vitesse les Américains et ouvrir de nouvelles terres à la colonisation.

Par ailleurs, l'expansion territoriale du Canada de 1867 a eu des conséquences linguistiques importantes. Elle a eu pour effet d'assurer l'extension de la langue anglaise sur le continent et de réduire, voire supprimer certains droits aux francophones, lesquels étaient pourtant reconnus dans la Constitution du Canada. Une chose est certaine, si la politique fédérale en matière linguistique était la non-intervention dans la mesure où elle ne s'en tenait qu'aux seules prescriptions constitutionnelles, certaines politiques provinciales tenteront, au contraire, de réduire ces droits et, dans bien des cas, réussiront pour un temps à les supprimer carrément. Bref, de la non-intervention, ces politiques passèrent à l'interdiction, sauf au Parlement canadien.

Rappelons qu'en 1900 la population du territoire canadien actuel s'élevait à 5,4 millions d'habitants. Durant les années qui suivirent, le Canada a vu les plus forts taux d'immigration du siècle. Par exemple, entre 1896 et 1914, quelque 1,1 million d'Européens sont venus s'installer au Canada et les deux tiers provenaient de la Grande-Bretagne. Plus de la moitié de ces immigrants (618 000) ont décidé d'habiter l'Ouest, alors que 172 000 immigrés américains s'y sont ajoutés. Un tel flot d'immigrants a modifié profondément la composition ethnique de la population canadienne. Les descendants des Britanniques et des Français ainsi que des autochtones ont vu leur proportion diminuer.

Aussi, il n'est pas surprenant que, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, les Canadiens anglais de cette époque se montrèrent fort préoccupés d'assimiler les nouveaux groupes ethniques qui arrivaient en grand nombre au pays et qu'en conséquence ils refusèrent au Canadiens français, perçus comme d'autres non-anglophones, le droit à la dissidence scolaire. Autrement dit, les Canadiens français — comme les Amérindiens — étaient placés sur le même pied que les nombreux immigrants. Le Canada demeurait un pays anglais dans lequel on tolérait le bilinguisme au Parlement fédéral ainsi qu'au Québec, mais pas dans les autres provinces. En 1911, quelque 22 % de la population canadienne était née à l'étranger avec le résultat que la population canadienne cessera d'être massivement d'origine britannique pour devenir multiethnique. Les mentalités ne changeront que beaucoup plus tard.

La Compagnie de la Baie d'Hudson connaissait des difficultés et, malgré sa fusion en 1821 avec la Compagnie du Nord-Ouest, elle n'était plus en mesure de rentabiliser le commerce des fourrures. Le monopole commercial de la Compagnie de la Baie d'Hudson avait été aboli en 1859, puis le marché de cette immense région s'était ouvert à tous les entrepreneurs. En 1867, la Terre de Rupert demeurait encore une « colonie privée » (depuis 1670) comprenant toutes les terres arrosées par la baie d'Hudson, ce qui incluait une partie de l'ouest du Québec, la plus grande partie du nord-ouest de l'Ontario, tout le Manitoba, presque toute la Saskatchewan et l'Alberta, ainsi que la partie orientale des Territoires du Nord-Ouest.

La Compagnie de la Baie d'Hudson estimait à 400 millions de dollars la valeur de son territoire, dans la mesure où les Américains venaient d'acheter l'Alaska, un territoire beaucoup plus petit, pour 7,2 millions de dollars. Après des pressions de la part du gouvernement britannique auprès des dirigeants de la compagnie, le Canada réussit à conclure, en 1869, un marché fort avantageux. Pour seulement 1,5 million de dollars, le Canada signait la plus grosse transaction immobilière de son histoire en devenant propriétaire de cet immense territoire de sept millions de kilomètres carrés. La Compagnie de la Baie d'Hudson conservait ses forts et ses comptoirs, mais abandonnait tous ses privilèges de monopole dans la traite des fourrures. L'ensemble de ces nouveaux territoires sera baptisé les Territoires du Nord-Ouest en 1870. Toutefois, cette acquisition entraîna des conséquences humaines et territoriales importantes que n'avait pas prévues le gouvernement canadien.

En effet, dans leur hâte de peupler le pays et d'ouvrir les nouveaux territoires à la colonisation, John A. Macdonald et ses négociateurs (George-Étienne Cartier et William McDougall) avaient négligé de considérer les problèmes importants que l'annexion pouvait causer aux populations qui habitaient ces territoires depuis longtemps, soit quelque 100 000 personnes qui, pour la plupart, étaient des Inuits, des Amérindiens (Cris, Tchippewayans, Couteaux-Jaunes, Slavey, Flancs-de-Chien, Lièvres et Kaskas) et des Métis. Les négociations au sujet de la vente des territoires avaient été conclues entre le Canada, le Royaume-Uni et la Compagnie de la Baie d'Hudson, à l'exclusion des populations concernées. Les Métis des territoires du Nord-Ouest, appelés aussi les « Sang-Mêlés », formaient le groupe le plus revendicateur et constituait trois groupes linguistiques : les Métis de langue française (majoritaires), les Métis anglophones d'origine écossaise, dits « de la baie d'Hudson », et les Métis assimilés aux Amérindiens et parlant leur langue autochtone.

Canada - 1870

Cependant, ce fut les Métis de la Rivière-Rouge (région de Winnipeg), qui se sentirent spoliés par l'achat des territoires du Nord-Ouest. Leur population était d'environ 12 000 habitants, dont 5 757 Métis francophones, 4 083 Métis anglophones, 1 500 Canadiens (marchands de fourrure et spéculateurs fonciers) et 558 Amérindiens. Au cours de la décennie suivante, près de 4 000 Canadiens français de la province de Québec iront s'installer au Manitoba. Les 10 000 Métis vivaient sur ces terres depuis 200 ans; ils chassaient le bison, possédaient des fermes (découpées en rangs comme sous le Régime français) et pratiquaient le commerce avec les Américains. Les arpenteurs du gouvernement arrivèrent en propriétaires. Tout en menaçant les Métis d'expropriation, ils se réservèrent les meilleures terres et ne tentèrent aucune conciliation.

Les Métis décidèrent alors de s'opposer aux arpenteurs fédéraux et, sous la conduite de Louis Riel (1844-1885), ils créèrent un gouvernement provisoire. Ensuite, ils exigèrent du gouvernement fédéral le droit à la propriété de leurs terres et la reconnaissance de leurs droits religieux. Mais l'un des arpenteurs, Thomas Scott (1842-1870), un orangiste anticatholique, se rebella contre le « gouvernement » de Louis Riel et, après un procès sommaire, finit par être exécuté. Ce malheureux incident mit le feu aux poudres. La crise prit alors une ampleur nationale. Tandis que les francophones voyaient en Riel le défenseur de la religion catholique et de la langue française dans l'Ouest, les anglophones de l'Ontario considéraient Scott comme un martyr qu'il fallait venger; Riel fut désigné comme le principal instigateur de la rébellion antigouvernementale.

Droits linguistiques reconnus par la Province

Les Franco-Manitobains constituaient à ce moment-là une portion importante de la population, soit plus de 40 %. Le recensement de 1871 dénombrait 5 700 Métis francophones, 4 000 Métis anglophones et 1 600 représentants de population blanche (Écossais et Canadiens français). Les francophones étaient donc en droit de s'attendre à une certaine protection linguistique; ils ont obtenu les mêmes droits linguistiques et confessionnels que les anglophones tant et aussi longtemps qu'ils ont formé une importante minorité.

L'article 22 de La loi de 1870 sur le Manitoba, une loi constitutionnelle, garantissait un système d'écoles publiques confessionnelles subventionnées par la Province :

Article 22

La Législature du Manitoba a, dans les limites et pour les besoins de la province, compétence exclusive pour légiférer en matière d'éducation, compte tenu des dispositions suivantes :

  1. Elle ne peut, par une disposition législative adoptée en cette matière, porter atteinte aux droits ou privilèges appartenant de droit ou selon la coutume dans la province, lors de l'adhésion de celle-ci à l'Union, à une catégorie de personnes relativement aux écoles confessionnelles.
  2. Est susceptible d'appel devant le gouverneur général en conseil toute mesure ou décision de la législature ou d'une autorité provinciale touchant les droits ou privilèges, en matière d'éducation, de la minorité protestante ou catholique romaine des sujets de la Reine.

Législation scolaire

  1. Faute par la province d'édicter les lois que le gouverneur général en conseil juge nécessaires à l'application du présent article, ou faute par l'autorité provinciale compétente de donner la suite voulue à la décision qu'il prend sur un appel interjeté au titre de cet article, le Parlement peut, pour autant que les circonstances de l'espèce l'exigent, prendre par voie législative toute mesure de redressement qui s'impose à cet égard.

De plus, la School Act du Manitoba de 1871 (ou Loi scolaire) prévoyait que le Board of Education devait fournir aux écoles de langue française tout le matériel didactique nécessaire (livres, cartes, etc.) en français. En 1878, la section catholique du Board of Education adopta des règlements au sujet de la langue d'enseignement dans les écoles catholiques du Manitoba; on précisait que la langue parlée par la majorité des contribuables d'un arrondissement sera celle enseignée à l'école.

L'article 2 de la Loi relative aux municipalités (Act concerning Municipalities) de 1873 stipulait que toute demande visant la création d'une municipalité devait être publiée en français et en anglais dans la Gazette du Manitoba. Une autre loi de 1875 relative aux municipalités de comté du Manitoba (Act respecting County Municipalities) prévoyait la publication des règlements et avis municipaux dans les deux langues. La loi électorale du Manitoba de 1875 prévoyait l'usage de l'anglais et du français dans les instructions aux électeurs, la proclamation des élections et la préparation des listes d'électeurs. Enfin, la Loi relative aux jurés et aux jurys (Act respecting Jurors and Juries) de 1876 précisait que, lors d'un procès en français, le tribunal pouvait ordonner la constitution d'un jury composé d'un nombre égal de jurés francophones et anglophones. En 1879, le caucus du Parti anglais suggéra d'abolir l'impression en français des documents officiels; la question fut débattue et adoptée en Chambre, mais le lieutenant-gouverneur, Joseph Cauchon, refusa de signer le projet de loi adopté par l'Assemblée. Ces mesures de protection ne devaient pas durer et, après la mort de Riel, les Franco-Manitobains commencèrent à subir des politiques d'interdiction linguistique. Il faut dire que la venue de nombreux colons anglophones de l'Ontario avait fait basculer le poids démographique en faveur de la majorité anglaise.

L'infériorité numérique des francophones parut suffisante aux yeux des dirigeants manitobains pour justifier l'abolition des droits linguistiques et religieux. Si, en 1871, la population francophone représentait environ la moitié de la population totale, elle n'était plus que de 15,9 % en 1881 (9950 sur 62 260) et 7,2 % en 1891 (11 102 sur 152 506). Tout bascula en 1889 lors de l'adoption de la fameuse Official Language Act (ou Loi sur la langue officielle), qui faisait de l'anglais la seule langue des registres, des procès-verbaux et des lois du gouvernement manitobain. La loi entra en vigueur le 1er mai 1890. La loi ne contenait que deux articles; l'article 1 énonçait ce qui suit :

Manitoba adapted English as the official language used by the Manitoba government

Article 1

La langue anglaise comme langue officielle

  1. En dépit de toute loi ou de tout règlement contraire, la langue anglaise sera seule employée dans les registres et procès-verbaux de l'Assemblée législative du Manitoba et dans toute plaidoirie ou procédure ou toute publication de toute cour de la province du Manitoba.

Les lois

  1. Les lois de la Législature du Manitoba doivent être imprimées et publiées en anglais seulement.

Dès l'adoption de la loi, la Gazette officielle du Manitoba fut publiée en anglais seulement. Les francophones perdirent alors les avantages de l'égalité juridique ainsi que les institutions découlant d'une fonction publique bilingue, de publications gouvernementales bilingues, des tribunaux provinciaux bilingues, ce qui comprenait le droit à un jury francophone pour un accusé francophone.

Le 20 mars 1889, l'Assemblée législative avait adopté un projet de loi « amendant la Loi sur l'administration de la justice de 1885 pourvoyant à l'abolition des jurés français comme jurés français ». Un autre projet de loi fut adopté deux jours plus tard de sorte qu'un avocat de langue française plaidant devant un juge francophone devant une cour où les parties et les témoins seraient canadiens-français ne pourrait, de droit, se servir de la langue française. Le 28 mars, les députés décidèrent enfin « que les journaux et les statuts soient imprimés en anglais seulement ». L'anglais devenait ainsi la seule langue permise dans toutes les activités législatives et judiciaires.

Puis ce fut le tour des écoles. La Législature manitobaine adopta une loi prévoyant l'abolition des sections catholique et protestante afin de donner le contrôle de l'éducation à un « département d'Éducation ». Un second projet de loi fut présenté et adopté au sujet des écoles publiques, qui abolissait les écoles catholiques et prévoyant taxer les catholiques pour les écoles publiques. Le gouvernement manitobain du premier ministre Thomas Greenway (en fonction de 1888 à 1900)  reçut de nombreuses pétitions demandant le rappel des lois scolaires, mais elles ne modifièrent pas sa décision. La Législature manitobaine enlevait à la minorité catholique les droits et privilèges suivants dont elle avait joui antérieurement et jusqu'à cette époque :

a) Le droit de construire, entretenir, garnir de mobilier, gérer, conduire et soutenir des écoles catholiques romaines de la manière prévue aux lois en vigueur;

b) Le droit à une quote-part de toute subvention faite sur les fonds publics pour les besoins de d'instruction publique;

c) Le droit, pour les catholiques romains qui contribuaient à soutenir les écoles catholiques romaines, d'être exempts de tous paiements des contributions destinées au maintien d'autres écoles.

Des pétitions, dont l'une l'une émanant de tout l'épiscopat catholique canadien, furent alors adressées aux autorités fédérales afin de demander le désaveu de la loi, comme le permettait la Constitution canadienne de 1867. Sur la recommandation du ministre fédéral de la Justice, sir John Thompson, un procès commença à Winnipeg, où les catholiques n'eurent aucun succès. Les protestants du Manitoba prétendaient que la majorité était en droit de révoquer une décision constitutionnelle et de supprimer à la minorité des droits concédés en 1870. De son côté, la minorité réclamait le désaveu d'une loi provinciale abrogeant unilatéralement des droits constitutionnels. Cette crise provoqua un débat d'envergure nationale. Le premier ministre du Canada, John A. Macdonald, porta la cause devant les tribunaux. La Cour du Banc de la reine de Winnipeg déclara les lois constitutionnelles, tandis que  la Cour d'appel du Manitoba maintenait le verdict en février 1891. En octobre, la Cour suprême du Canada renversa le jugement de la Cour d'appel du Manitoba en déclarant les lois inconstitutionnelles. Mais, le 30 juillet 1892, le Conseil privé de Londres — alors la dernière instance judiciaire — rendit un jugement déclarant les lois manitobaines constitutionnelles. En fait, le Conseil privé de Londres avait confirmé à la fois la validité de la loi provinciale du Manitoba et le pouvoir du gouvernement fédéral de restituer à la minorité franco-manitobaine les droits perdus en matière d'éducation. C'était là une curieuse décision qui revenait à susciter les conflits entre le fédéral et une province!

Loin de s'améliorer, la condition des Franco-Manitobains catholiques se détériora encore par une nouvelle loi en 1894, qui stipulait qu'aucune municipalité, même exclusivement catholique, n'avait le droit de prélever des taxes pour les écoles catholiques établies sur son territoire; cette même loi décrétait également la confiscation de toutes les propriétés scolaires dans les districts non soumis à la nouvelle législation. Cela dit, soulignons que la Official Language Act du Manitoba sera déclarée inconstitutionnelle, quelque 90 ans plus tard, lorsque la Cour suprême du Canada, en 1979, donnera raison à Georges Forest, un homme d'affaires de Saint-Boniface, qui avait contesté sa constitutionnalité.

Yukon (1898)

Le territoire du Yukon fut séparé des Territoires du Nord-Ouest en 1898 en réponse à l'énorme augmentation de la population dans la région pendant la ruée vers l'or du Klondike. Toutefois, une grande partie de cette population quitta le territoire lorsque l'or s'est épuisé.

Le nom de Yukon est d'origine amérindienne et a d'abord été appliqué à la rivière. Le terme de Yukon provient de Yu-kun-ah, qui signifie « grande rivière ». Il a été noté pour la première fois en 1846 par John Bell (1799-1868), un employé de la Compagnie de la Baie d'Hudson, qui aurait désigné le cours d'eau par ce qu'il croyait être son nom amérindien. En 1886, Dawson City qui, était le site d'un camp de pêche indien, se transforma quatre ans plus tard dans le plus vaste centre urbain du Canada à l'ouest de Winnipeg, avec une population atteignant 40 000 personnes, constituée en grande partie de prospecteurs itinérants.

L'article 110 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest demeura peu appliqué au Yukon. Les francophones perdirent en conséquence la plupart de leurs droits linguistiques.

Map of Canada in 1898

Le Canada avait le pouvoir de créer des provinces à partir des Territoires du Nord-Ouest. Le projet ne s'est pas réalisé immédiatement, car il paraissait trop difficile pour les colons d'atteindre cette région éloignée. La situation a commencé à changer lorsque le chemin de fer du Canadien Pacifique a été achevé en 1885.

Immigration

Le gouvernement canadien s'est mis à élaborer une politique d'immigration intensive après 1896, surtout dans l'Ouest. Beaucoup d'Américains avaient vendu leur exploitation agricole, pour obtenir à bon compte des terres pour eux-mêmes et leurs enfants. On estime que le tiers des immigrants de l'Ouest provenait des États-Unis.

Beaucoup d'immigrants vinrent s'établir dans les Prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta). Entre 1901 et 1911, la population du Canada augmenta de plus du tiers et passa de 5,3 millions à 7,2 millions d'habitants. On estime que près de la moitié de cette croissance démographique est attribuable à la forte augmentation de la population dans les provinces des Prairies. Au cours de la première décennie du 20e siècle, la population de la Saskatchewan a quintuplé, atteignant 400 000 habitants; celle de l'Alberta est passée de 73 000 à 374 000 habitants et celle du Manitoba, de 255 000 à 461 000 habitants.

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Canada 1905

Par la suite arrivèrent des Anglais, des Allemands, des Scandinaves, des Autrichiens et de rares francophones de France ou de Belgique. Les groupes les plus célèbres demeurent les Slaves, particulièrement les Ruthènes (surnommés « vestes de mouton ») et les Ukrainiens. Le nom de Ruthènes provient du mot grec Roussyn désignant une personne qui habitent la Rous (dérivant de la prononciation de Roussénie, puis de Russie), c'est-à-dire les territoires du prince de Kiev au Moyen Âge; les Ruthènes furent appelés Roussènes puis Russiens. Quant aux Ukrainiens, ils furent appelés « Petits Russes » (par opposition aux « Grands Russes » de Russie), puis « Petits Russiens », ce qui désignait l'ensemble de tous les Ukrainiens, sous prétexte qu'ils avaient oublié leur langue et leur culture à l'époque tsariste. Aujourd'hui, la Ruthénie est une région d'Ukraine, dite Ukraine subcarpatique (près de la frontière avec la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie), dont les avatars de l'histoire ont fait qu'elle a changé plusieurs fois de mains.

Politique d'intégration

Le multiculturalisme des diverses communautés favorisa l'homogénéité linguistique vers l'anglais, ainsi que les politiques linguistiques en faveur de cette langue, surtout dans le domaine scolaire où l'enseignement de l'anglais devint obligatoire. Ce qui était perçu comme normal par les anglophones et les immigrants l'était moins pour les francophones. En 1908, le journal méthodiste Missionnary Outlook exprimait une opinion sans doute fort répandue parmi les protestants anglo-canadiens :

Si nous voulons créer une race supérieure sur le continent nord-américain, une race que Dieu emploiera tout particulièrement à ses oeuvres, quel est notre devoir envers ceux qui sont aujourd'hui nos compatriotes ? Nombre d'entre eux ne sont chrétiens que de nom; ils appartiennent à l'Église catholique romaine ou grecque, mais leurs normes morales sont bien inférieures à celles des chrétiens du Dominion. Ils sont venus dans ce pays jeune et libre pour trouver un foyer pour eux-mêmes et leurs enfants. Nous avons le devoir de les accueillir, la Bible à la main, et de faire germer dans leur esprit les principes et les idéaux de la civilisation anglo-saxonne.

Quel que soit le groupe de pression, la ville ou la région, la tâche de la majorité anglaise était de « canadianiser » rapidement les nouveaux venus en leur inculquant les valeurs et la langue de la civilisation anglaise. Mais il n'était pas facile d'assimiler culturellement et linguistiquement ces milliers d'immigrants qui arrivaient chaque année au Canada. La création des provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan avait amené Wilfrid Laurier à prôner la solution retenue au Manitoba au sujet des écoles confessionnelles séparées; ce geste déterminant signa pendant longtemps l'arrêt de mort du bilinguisme et de la dualité culturelle au Canada.

Création de l'Alberta et de la Saskatchewan

En 1905, lorsque les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan furent créées à partir d'une portion des Territoires du Nord-Ouest. Le nom  Alberta fut suggéré par le marquis de Lorne, gouverneur général du Canada de 1878 à 1883, en l'honneur de sa femme, la princesse Louise Caroline Alberta Wettin (1848-1939), quatrième fille de la reine Victoria. Le nom a d'abord été donné au « district de l'Alberta » en 1882, puis repris lors de la création de la province (la huitième) du Dominion canadien, le 1er septembre 1905.

Quant à la Saskatchewan, son nom est dérivé de celui de la rivière Saskatchewan, ainsi baptisée par les Cris : Kisiskatchewani Sipi signifiant « rivière au cours rapide ». L'explorateur Anthony Henday avait utilisé l'orthographe Keiskatchewan, mais ce fut la version moderne de Saskatchewan qui a été adoptée officiellement en 1882, lorsqu'une portion de la province actuelle a été désignée « district provisoire des Territoires du Nord-Ouest ». Le statut de province a été acquis le 1er septembre 1905 devenant ainsi la 9e province du Canada.

Querelles linguistiques

Les deux provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan étaient soumises aux dispositions de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest. L'article 110, rappelons-le, prévoyait l'utilisation facultative du français et de l'anglais à l'Assemblée législative dans les textes de lois et dans les tribunaux, mais également l'usage obligatoire de l'anglais et du français dans la rédaction des décisions des tribunaux, des lois, des procès-verbaux et des archives de l'Assemblée des Territoires. En fait, comme l'Alberta et la Saskatchewan faisaient partie des Territoires du Nord-Ouest avant de devenir une province canadienne en 1905, tout le monde avait même fini par « oublier » cette loi constitutionnelle qui s'appliquait aux deux provinces. D'ailleurs, ni la Loi concernant la création de la province d'Alberta et l'organisation de son gouvernement (1905) ni la Loi concernant la création de la province de la Saskatchewan et l'organisation de son gouvernement (1905) ne font allusion à la langue. C'est pourquoi aucune des provinces n'avait appliqué les dispositions de l'article 110 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, qui prévoyait l'utilisation du français et de l'anglais à l'Assemblée législative dans les lois et dans les tribunaux. En conséquence, le français a donc été exclu des domaines de la législation et de la justice.

Une nouvelle querelle linguistique éclata lorsqu'il fut question de déterminer dans quelle mesure la loi créant l'Alberta et la Saskatchewan devait garantir les droits des catholiques et des francophones. La loi scolaire de l'Alberta, l'Alberta School Act adoptée en 1905, désignait l'anglais comme seule langue d'enseignement, mais elle permettait un certain usage du français dans les classes primaires.

En Saskatchewan, la Loi scolaire (ou School Act) de 1909 fit de l'anglais la seule langue d'enseignement, tout en permettant un usage limité du français dans les classes primaires. Le 22 février 1918, les commissaires d'école de la Saskatchewan adoptèrent une série de résolutions mettant fin au bilinguisme dans les écoles :

Qu'aucune personne ne doit être susceptible d'être élue comme commissaire à moins qu'elle ne soit sujet britannique et qu'aucune ne soit susceptible d'être élue à moins qu'elle ne soit capable de lire et écrire la langue anglaise; que cette convention demande instamment au gouvernement provincial de prendre les mesures nécessaires pour assurer que chaque enfant dans la province reçoive une instruction adéquate et propre à chacun, dans la langue anglaise; qu'aucune langue, sauf l'anglais, ne soit employée comme langue d'instruction dans aucune école de la province; qu'aucune langue, sauf l'anglais, ne soit enseignée durant les heures scolaires dans aucune école qui tombe sous le coup des dispositions de la loi sur les écoles.

En 1929, une troisième loi abolissait encore le français dans les écoles; cette loi reprenait et explicitait celle de 1918. En 1931, une modification à la Loi scolaire imposait l'anglais comme unique langue d'enseignement dans les écoles publiques de la province. Le français étant interdit durant les heures normales de classes, mais il était permis d'offrir des cours de français après la classe. Malgré la pénurie d'enseignants, le gouvernement interdit l'embauche d'enseignants formés au Québec et détenant un brevet d'enseignement obtenu dans cette province; il rendit illégal tout brevet d'enseignement non obtenu en Saskatchewan.

Comme les francophones des deux nouvelles provinces n'avaient acquis qu'une protection minimale, le premier ministre canadien, Wilfrid Laurier, perdit l'appui de nombreux  citoyens, tant de langue anglaise que de langue française. Le premier ministre  savait que, pour se maintenir au pouvoir, il lui fallait éviter les conflits entre francophones et anglophones, et concilier si possible les deux points de vue. Politicien adroit, il a dû néanmoins gouverner pendant une période de forte tension lors de laquelle les Canadiens français craignaient d'être assimilés, les Canadiens anglais souhaitant, quant à eux, resserrer leurs liens avec l'Empire britannique.

À bout de patience, Laurier en vint à adopter une stratégie de discours vagues; on dirait aujourd'hui une « langue de bois ». Le nationaliste québécois Henri Bourassa finira par donner à Wilfrid Laurier le surnom de « Waffley Wilfy » (« celui qui parle pour ne rien dire »), alors que des Canadiens anglais prétendront que le nom de « Sir Won'tfrid » (« celui qui ne veut pas ») lui convenait mieux. En général, les anglophones trouvaient que Laurier était trop français, les francophones, trop anglais! C'est à cette époque que les députés de langue française se firent répondre en Chambre « Speak white! » En effet, lorsque le député Henri Bourassa s'opposa aux idées de certains de ses collègues anglophones, il se fit huer et reçut comme réponse lorsqu'il s'expliquait en français : « Speak white! » À l'exception des francophones, personne ne le comprenait! Évidemment, ce n’était guère respectueux et on aurait pu dire à la place : «Speak English!» Rappelons qu'on introduira la traduction simultanée qu'en 1969.

Il faudra attendre  1968 pour que le gouvernement de la Saskatchewan accorde le droit d'enseigner en français une heure par jour dans certaines écoles désignées.

Speak White

Politiques linguistiques des provinces fondatrices

Protéger les droits de la minorité linguistique n'était pas une question importante  au moment de la Confédération en 1867. Au mieux, les minorités étaient laissées à elles-mêmes; au pis, elles étaient interdites ou assimilées. Le monde occidental offrait peu d’exemples autres que la non-intervention ou l'assimilation. Pour les politiciens de l’Empire britannique et du Canada, avoir une vision plus généreuse aurait été, en effet, étonnant. Les Britanniques de cette époque n’étaient pas plus visionnaires que les autres peuples. Ils conservaient une vision colonialiste du monde, comme les Français, les Allemands, etc.

En 1871, la population de la Nouvelle-Écosse était de 387 800 habitants. En janvier 1881, la ville de Halifax fut désignée le point d'entrée officiel pour les immigrants (Quai 21 dès 1924). En matière linguistique, la Nouvelle-Écosse ne fut pas soumise à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ce qui signifie que ni la législature ni le pouvoir judiciaire n’étaient bilingues. Avant la Confédération, le Parlement  avait adopté, en 1864, la Loi sur l'éducation, dite loi Tupper, qui déclarait l'anglais seule langue d'enseignement. L'acte rendait les écoles unilingues anglaises et non confessionnelles. Pour les Acadiens, cela équivalait à l'assimilation culturelle, religieuse et linguistique.

Après des années de lutte, les Acadiens obtinrent du Conseil de l'instruction publique l'autorisation d’enseigner en français les quatre premières années d'école. Tenant compte de la pénurie d'enseignants francophones qualifiés, le gouvernement accorda des licences « bienveillantes », à savoir des permis pour les personnes sans diplôme, jusqu'à ce que suffisamment d'enseignants formés pussent être recrutés. Le programme de formation mis en place à l’École normale provinciale répondait aux besoins des enseignants acadiens; il offrait un enseignement en français et cherchait à améliorer la maîtrise de l’anglais chez les candidats qui parlaient le « français acadien ». Dès 1902, de plus en plus de manuels scolaires devinrent disponibles en français et furent permis pour les cinq premières années d'enseignement, après quoi tout enseignement devait être prodigué en anglais, sauf dans les écoles privées et dans les collèges classiques. En 1908, il n’y avait encore qu’un seul inspecteur scolaire acadien dans l’ensemble de la Nouvelle-Écosse.

Nova Scotia