Des rapports de l'époque indiquaient que l’on voyait les francophones de l'Ontario comme un groupe qui refusait de s'assimiler à la majorité. Ils bénéficiaient de l’appui de l'Église catholique et de ses institutions solidement établies. Au moment de l'entrée de l'Ontario dans la Confédération, les enfants franco-ontariens avaient leurs propres « écoles séparées », c'est-à-dire des écoles confessionnelles dirigées par des ordres religieux. En 1871, le curé A. Brunet de L'Orignal écrivait à Egerton Ryerson, ministre méthodiste, auteur, rédacteur en chef et administrateur scolaire de prestige :
La population francophone de ce secteur de l'école [...] a été obligée d’instaurer des écoles séparées en 1867 dans le seul but d'enseigner sa propre langue, les conseillers scolaires des écoles publiques ordinaires ayant constamment négligé d'embaucher un enseignant capable d'enseigner le français.
En 1869, le ministère de l'Éducation de l’Ontario approuva neuf manuels en français pour les régions désignées bilingues. Cependant, ce n'est qu'en 1871 que la loi scolaire de l’Ontario exigea que tous les enfants de 7 à 12 ans fréquentent l'école pour au moins quatre mois par an.
En 1885, le ministère de l'Éducation adopta un règlement imposant l’enseignement de l’anglais dans toutes les écoles de la province. L'objectif était d'intégrer et d'assimiler les nombreux immigrants, mais le règlement affecta forcément les francophones. Cela marquait le début des prétendues écoles « bilingues » dans les comtés d'Essex et de Kent – dans le Sud-Ouest – ainsi que de Russell, de Prescott et de Carleton – dans l'Est. Les écoles étaient généralement publiques et l'instruction donnée dans les deux langues : en français et en anglais. En 1891, le ministère de l'Éducation estimait dans son rapport qu'il y avait 83 écoles françaises dans la province. En 1889, le gouvernement de l'Ontario créa une commission pour déterminer si les écoles bilingues françaises se conformaient aux directives du ministère de l'Éducation. Dans les écoles de Prescott et de Russell, on découvrit que la plupart des enseignants n'avaient jamais obtenu de diplôme pour enseigner à l'école primaire et que l'enseignement en anglais était nettement insuffisant. Cette piètre performance fut attribuée à l'enseignement du français. Le gouvernement de l'Ontario répliqua en adoptant le Règlement du département d’Éducation de l'Ontario de 1890 qui imposait, dans tout l’Ontario, l'anglais comme langue d'enseignement, sauf si les élèves ne comprenaient cette langue. Cette exception s’avéra une échappatoire pour permettre aux « écoles bilingues » d’offrir de nombreux cours en français.
Expansion de la communauté franco-ontarienne et réactions extrémistes
Les paroisses francophones se multipliaient en Ontario, notamment à Ottawa, où les Canadiens français souhaitaient faire carrière dans la fonction publique fédérale. Des querelles éclatèrent lorsque des membres anglophones du Separate School Board accusèrent l'évêque catholique d'ériger un « cercle d'écoles françaises » autour de la ville. Soucieux, les fiduciaires croyaient que leurs impôts servaient à ériger des écoles françaises. Avec le nombre croissant de Franco-Ontariens, les orangistes (surtout anticatholiques et antifrançais) s'inquiétaient de l’héritage protestant de leur province, alors que les catholiques irlandais redoutaient d'être submergés par la langue française dans leurs églises. George Howard Ferguson (1870-1946), un orangiste qui deviendra plus tard premier ministre de l'Ontario (1923-1930), résuma assez bien l'opinion de la plupart des Anglo-Ontariens de l'époque :
Un système scolaire bilingue engendre des distinctions raciales. Il insuffle dans l’esprit des jeunes une idée de différence raciale et empêche un mélange de la population [...]. L'expérience des États-Unis a démontré la sagesse d’un système scolaire qui n’admet qu’une seule langue.
Bon nombre d’anglophones de l’époque voyaient les écoles franco-ontariennes comme une « intrusion papiste » dans les affaires canadiennes. Voici ce que D'Alton McCarthy, le député conservateur de Simoce-Est et le grand maître de la Ontario West Orange Lodge, déclarait en 1888 :
Qui doit régner sur le Canada, la reine ou le pape ? Ce pays sera-t-il anglais ou français ? [...] C'est un pays britannique et plus tôt nous rendrons nos compatriotes canadiens-français britanniques dans l’âme et leur enseignerons la langue anglaise, mieux cela vaudra pour l’avenir. C'est maintenant que les boîtes de scrutin doivent fournir une solution à ce grave problème : si la génération actuelle ne trouve pas de remède, la génération suivante devra saisir le loup par les oreilles.
Cette position extrémiste n'était pas partagée par tous les anglophones de l'Ontario, mais elle illustre l’essence de la nation qui forme un tout, une nation de Blancs anglo-protestants, ceux qu’on appellera aux États-Unis les WASP (White Anglo-Saxon Protestants). De plus, à Toronto, le 11 juin 1889, le député libéral de Norfolk North durant trente-deux ans, John Charlton, expliquait ainsi sa théorie du « Une Nation » devant l’Equal Rights Association :
Je crois souhaitable l'assimilation des races dans la Confédération canadienne. Je ne vois pas comment nous pourrions former une nation dans toute sa grandeur tant et aussi longtemps que nous avons, dans ce pays, deux races distinctes avec des aspirations, des désirs et des institutions opposés. Abraham Lincoln a dit que le peuple des États-Unis ne pouvait pas vivre moitié libre, moitié esclave. Le Canada ne peut pas vivre moitié anglais, moitié français.
Mais John Charlton (1829-1910) est allé plus loin en ridiculisant les francophones de la vallée du fleuve Saint-Laurent, qu'il comparait à des « nains » :
L'idée d'élever une race latine sur les rives du Saint-Laurent est une insulte au bon sens. Les efforts de ces nains ne doivent pas entraver la marche en avant des Anglo-Saxons.
Des porte-parole de la majorité anglaise et protestante voyaient l'affirmation francophone comme une menace, surtout que le taux de natalité des francophones était plus élevé que celui des anglophones. Le 12 juillet 1889, D'Alton McCarthy, alors l'un des avocats les plus brillants de sa génération, ne cacha pas ses intentions à l'égard de l'assimilation des francophones :
Nous vivons dans un pays anglophone et plus tôt nous angliciserons les Canadiens français, mieux cela vaudra pour notre postérité dont la charge sera allégée. Cette question doit être réglée tôt ou tard. [...] Lorsque le français sera aboli dans le Nord-Ouest, il restera certes beaucoup à faire. Attaquons-nous d'abord aux deux langues dans les Territoires du Nord-Ouest et à l'enseignement du français dans les écoles des provinces anglaises ; une fois ces deux questions réglées, nous aurons accompli quelque chose et aplani la route vers l'avenir.
Le 12 décembre de la même année, D'Alton McCarthy sous-entendait que la disparition des francophones était une bonne solution :
Lord Durham comprit que tant que l’enseignement serait en français dans leurs écoles, tant que leur esprit serait nourri de littérature française plutôt que de littérature anglaise, les Canadiens français resteraient Français sur tous les plans. [...] Y a-t-il l'ombre d'un doute qu’entre ces deux races, plus qu'entre aucune autre race, si union il y a, elle doit mener à la disparition de l'une des deux langues et à l'enseignement de l'autre ?
Quant à Wilfrid Laurier, chef du Parti libéral fédéral qui formait l'opposition, il prêchait l'égalité des deux communautés (24 juin 1889) :
Quant à moi, je ne veux pas que les Canadiens français dominent quiconque et je ne veux pas que quiconque ne les domine. Justice égale, droits égaux.
Mais les Canadiens anglais n’étaient pas encore prêts pour une telle vision de l'égalité. Toronto – et l'ensemble de l'Ontario – était en proie à des sentiments antifrancophones et anticatholiques. On sentait que l’usage du français dans les écoles de l'Ontario était une menace à l'intégrité de la province comme collectivité anglophone et protestante. L’appel fut lancé pour abolir les « privilèges » de la minorité catholique de l'Ontario au nom des « droits égaux ». Le système scolaire séparé était particulièrement décrié, considéré injuste, inefficace et dangereux en face de la croissance démographique des Franco-Ontariens.