Les côtes camerounaises furent explorées en 1471 par le navigateur et explorateur portugais Fernando Póo. C'est lui qui baptisa le Rio dos Camarões («rivière des Crevettes») qui, par déformation, donna naissance au mot Cameroun (fr.), Cameroon (angl.) et Kamerun (all.). Les Européens commencèrent à faire du commence avec les populations locales; ce furent d'abord les Hollandais qui furent suivis des Britanniques et des Allemands.
Le bilinguisme déséquilibré anglais-français
Le Cameroun n'est pas une fédération comme le Canada. C'est un pays unitaire divisé en 10 régions administratives (art. 61 de la Constitution) disposant de très faibles pouvoirs : la région d’Extrême-Nord, la région du Nord, la région de l’Adamaoua, la région du Nord-Ouest, la région du Sud-Ouest, la région de l'Ouest, la région du Littoral (Douala), la région du Centre (Yaoundé), la région de l’Est et la région du Sud. Ce pays possède deux langues officielles et, comme au Canada, ce sont le français et l’anglais, sauf qu’on compte huit régions «françaises» et deux régions «anglaises» au Cameroun, contre au Canada huit provinces anglophones, une province francophone (Québec) et une province bilingue (Nouveau-Brunswick). Les deux régions anglophones du Cameroun sont la région du Nord-Ouest et la région du Sud-Ouest. Ces dix «régions» étaient appelées «provinces» avant le décret n° 2008/376 du 12 novembre 2008. Dans la documentation moins à jour, on peut encore lire l'appellation «province» au lieu de «région».
Lorsqu'on consulte une carte géographique de l'Afrique, on constate que le Cameroun est un pays situé sur la ligne de front entre les zones d’influence anglophone (Nigeria) et francophone (Tchad, Centrafrique, Gabon, Congo). Seule la Guinée équatoriale fait figure d'exception en ayant l'espagnol comme langue officielle, bien que depuis 1998 le français soit devenu la «deuxième langue officielle», le terme de deuxième se voulant le reflet des rapports de force entre l'espagnol prépondérant et le français quasi symbolique; le portugais est même devenu la «troisième langue officielle» en 2011.
Le pluralisme linguistique du Cameroun
Le Kamerun allemand
Les Allemands occupèrent la quasi-totalité de leur Kamerun de 1884 à 1916. Les missionnaires germanophones de la Societas Apostolus Catholici ("Société de l'Apostolat catholique") s'installèrent dans la colonie allemande en 1890 et offrirent un enseignement en allemand à ceux qui le désiraient, tout en continuant à ouvrir des écoles de village en douala, en bakweri, en éwondo, en nguma, etc. La langue allemande exerça un certain attrait auprès de la société camerounaise urbaine qui désirait pouvoir communiquer avec la puissance coloniale.
En 1891, le gouverneur allemand Eugen von Zimmerer voulut imposer une politique de germanisation du Kamerun afin de fournir à l'administration des cadres locaux parlant l'allemand. Malgré les pressions exercées par les autorités coloniales allemandes, les missionnaires continuèrent d'employer les langues locales dans l'évangélisation chrétienne. Toutefois, la Première Guerre mondiale allait placer le Kamerun allemand au centre de deux autres grandes puissances dans la région : la France et le Royaume-Uni.
Le Cameroon britannique
Les troupes allemandes abandonnèrent le Kamerun en 1916 aux mains de la France et de la Grande-Bretagne, ses deux plus grandes rivales. Le traité de Versailles (1919) entérina le partage franco-britannique de l’ancien Kamerun. Dans les faits, le Cameroun français (les quatre cinquièmes du territoire) fut administré comme une colonie française et le Cameroun britannique (ou occidental), le cinquième du territoire, fut intégré au Nigeria en tant que colonie anglaise. Chacun des colonisateurs allait marquer «son» Cameroun de son empreinte linguistique en imposant soit l'anglais soit le français.
Toutefois, l’administration coloniale britannique, qui voulut minimiser ses coûts d'investissement dans ses colonies, se contenta d'assujettir son «morceau de Cameroun» à la colonie voisine du Nigeria, ce qui revenait en faire une «colonie dans une colonie» avec le résultat que le Cameroon britannique fut ralenti dans son développement tant social qu'économique. Évidemment, les Camerounais anglophones de la colonie britannique ne pouvaient que constater leur retard considérable dans leur développement par comparaison à la situation qui prévalait dans le Cameroun français.
En 1961, l'indépendance du Cameroun français ramenait la question des frontières avec le Cameroon britannique, frontières qui n’avaient jamais été fixées entre les colonies française et britannique. Il restait un flou territorial entre les régions qui aujourd’hui font partie du Nigeria (le Cameroun septentrional) ou du Cameroun (le Cameroun méridional). C’est pourquoi l’ONU imposa un référendum aux deux populations concernées qui durent choisir à quel pays ils désiraient être rattachés : soit l’union avec la Fédération nigériane, soit l’union avec la république du Cameroun qui
devait devenir une fédération de deux États, l'un en français, l'autre en anglais.
Au moment du référendum tenu le 11 février 1961, les habitants du Cameroun méridional, déçu de l'administration britannique, se prononcèrent massivement pour une séparation du Nigeria et leur rattachement à la république du Cameroun. Quant au Cameroun septentrional, il se prononça majoritairement pour son rattachement au Nigeria. C’est ainsi qu’une population dite «anglaise», celle du Cameroun méridional sous tutelle britannique, se retrouva dans un pays majoritairement de langue «française».
Au 1er octobre 1961, le Cameroun devenait une république fédérale formée de deux États : le Cameroun anglophone (les régions actuelles du Sud-Ouest et du Nord-Ouest) et le Cameroun francophone. La République fédérale du Cameroun (1961-1972) comptait quatre assemblées dont une Assemblée fédérale et une dans les deux États fédérés, en plus d'une Assemblée des chefs traditionnels. On avait ainsi trois gouvernements dont un dans chaque État fédéré et un gouvernement fédéral. Si les habitants du Cameroun méridional avaient choisi de devenir des Camerounais plutôt que des Nigériens, c'est qu'on leur promettait un État autonome de langue anglaise au sein d'une fédération binationale.
Au moment de l'indépendance en 1961, les langues camerounaises étaient à la fois si nombreuses (entre 260 et 300) et si diverses avec un enchevêtrement de langues nigéro-congolaises, nilo-sahariennes, bantoues et afro-asiatiques, avec parfois si peu de locuteurs pour certaines d'entre elles, qu'il apparut plus pratique de maintenir le français, puis l'anglais comme langues officielles de l'État. De toute façon, personne n'était à ce moment intéressé au sort des langues nationales, qui s'écrivaient peu, sinon pas du tout. Bien que le français et l’anglais soient les langues officielles du Cameroun, les langues nationales ont continué, pour la plupart, d’être très vivantes, mais marginalisées au point de vue social.
L'abolition du fédéralisme (1972)
Cependant, à l'issue d'un référendum en mai 1972, le fédéralisme camerounais fut aboli, les deux États fédérés disparaissant pour faire place à un seul État centralisé et divisé en dix provinces administratives (aujourd'hui des «régions»), dont deux de langue anglaise et huit de langue française. Évidemment, les «anglophones» des provinces anglaises se sentirent trahis dans leurs droits, car ils avaient choisi le Cameroun plutôt que le Nigeria en raison du fédéralisme et de la répartition des pouvoirs et des langues sur le territoire. Ce changement constitutionnel fut adopté par une majorité simple; il annonçait aussi une marginalisation des anglophones au moyen d’un pouvoir camerounais plus centralisateur.
Plus de cinq décennies après l'indépendance, l'unification du Cameroun de 1972 est aujourd’hui contestée et remise en cause par le Southern Cameroon National Council (SCNC), le parti politique anglophone qui milite pour la sécession des deux régions anglophones et la création d'un État indépendant qui serait appelé «Ambazonie» ou en anglais "Ambazonia". En 2018, des groupes sécessionnistes multiplièrent les actions violentes contre des symboles de l’État. De son côté, la presse africaine s’est inquiétée d’une véritable guérilla qui semble s'installer dans les régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun. La presse reproche aussi aux autorités camerounaises d’avoir fait le choix de sortir l’armée plutôt que d'entreprendre des pourparlers avec les sécessionnistes anglophones. D’une part, les mouvements rebelles armés sont dans une logique de rapport de force avec Yaoundé et, d'autre part, le gouvernement ne souhaite pas négocier avec ceux qu’il qualifie de «terroristes». Or, cette «crise anglophone» ("Anglophone crisis") est pourtant le résultat d'une mauvaise gestion de la part de l'État camerounais pendant que la minorité anglophone se trouve prise entre deux feux ou, pour reprendre les mots d’Amnesty International : «La population est prise entre deux feux, entre le marteau et l'enclume.».