À la fin du 19e siècle et au début du 20e, de nombreux pays aux populations hétérogènes (comme l’URSS, le Royaume-Uni, l’Autriche-Hongrie, les États-Unis, le Canada, etc.) ont entamé des discussions internationales afin de répondre aux questions entourant la définition et la mesure des groupes culturels au sein d’États culturellement diversifiés. Les réponses à ces questions sont provenues de deux sources.
D’abord, la linguistique, alors une science émergente, a fourni des réponses en créant les termes « langue maternelle » et langue « native » (native language). Ces deux termes « faisaient principalement référence à un groupe de personnes qui parlent la même langue (speech community) » (Houle & Cambron-Prémont, 2015 : 293).
La deuxième réponse a été le fruit d’efforts concertés de statisticiens qui, entre 1853 et 1876 dans le cadre de plusieurs conférences à Bruxelles, Vienne, Saint-Pétersbourg et Londres, ont établi une « base de données statistiques ethnographiques » et ont mis au point les méthodes appropriées pour mesurer les groupes culturels (par exemple, la nationalité, l’ethnicité, la langue) (Houle & Cambron-Prémont, 2015 : 294). Le résultat de ces derniers efforts a été de choisir la langue comme premier indicateur d’un groupe culturel (Houle & Cambron-Prémont, 2015).
Finalement, l’arrivée de questions sur la langue a aussi été influencée par des préoccupations nationales. Plus exactement, les autorités de l’époque en matière de statistiques avaient envisagé la langue comme un moyen d’évaluer « l’absorption » et « l’unification » des différents éléments culturels (Houle & Cambron-Prémont, 2015 : 295). Le gouvernement de l’époque avait mis l’accent sur l’absorption des immigrants dans un milieu francophone ou anglophone et sur l’acquisition de l’anglais par les francophones (Gaffield, 2000). Le rapport du Recensement canadien de 1901 explique :
Dans un pays comme le Canada, peuplé de tant d’éléments différents, il est bon de constater si l’acquisition de l’une ou l’autre des deux langues officielles produit l’absorption et l’unification de ces divers éléments. Et, comme l’anglais est aujourd’hui dans une large mesure la langue du commerce dans le monde entier, il est également désirable de connaître le nombre de citoyens d’origine française qui peuvent le parler tout en s’exprimant aussi dans leur langue maternelle. (Blue, 1902, p. viii)
Avec le temps, ces préoccupations ont évolué pour prendre la forme d’efforts d’intégration des immigrants et d’instauration du bilinguisme officiel.
Par conséquent, à la suite de ces développements nationaux et internationaux, une question à propos de la langue maternelle a été ajoutée au recensement de 1901 et à tous les recensements subséquents, à l’exception du recensement de 1911.
Cependant, la conception de la question et le choix des mots employés ont changé avec le temps. Par exemple, de 1901 à 1931, on demandait aux répondants d’indiquer leur langue maternelle directement, mais seulement s’ils la parlaient encore. En 1921 et en 1931, on demandait aux répondants d’indiquer spécifiquement les langues parlées autres que l’anglais et le français. En 1941, une formule à deux conditions a été utilisée pour connaître la langue maternelle de l’individu. Cette formule à deux conditions définit la langue maternelle comme la « première langue apprise dans l’enfance et encore comprise par la personne ». On ne sait pas pourquoi la condition « encore comprise » a été ajoutée (Lachapelle & Lepage, 2010 : 6). De plus, pour les années 1951, 1971 et 1976, la variable « première langue parlée » était utilisée à la place de « première langue apprise ».
Toutefois, ce qui est clair est que durant la période allant de 1901 à 1931, selon la définition donnée dans ces recensements, parler la langue était requis pour qu’elle soit considérée comme la langue maternelle. Par opposition, à partir de 1941, seules des compétences réceptives (c.-à-d. la compréhension) de la langue étaient incluses. Une liste de toutes les questions sur la langue maternelle de 1901 à 2016 se trouve ci-dessous.