« Les sociétés occidentales doivent réserver une place légitime aux cultures juridiques autochtones. La colonisation a occulté ces cultures, tant sur le plan de la religion que de la langue, mais surtout en matière de droit. »
– Ghislain Otis
Chez les peuples autochtones, l’adoption d’un enfant se réalise bien souvent de façon traditionnelle, selon la culture juridique de la collectivité : une coutume qui est généralement lourde de conséquences pour les familles concernées. Au Québec, par exemple, cela entraîne des complications puisque ces adoptions ne sont nullement reconnues par le Code civil.
Il s’agit là d’un seul exemple parmi plusieurs qui touchent des communautés autochtones partout dans le monde, et qui sont à la source de revendications et de manifestations telles que le mouvement Jamais plus l’inaction (Idle No More), qui a émergé au Canada au cours de l’hiver 2012.
Ghislain Otis, professeur à la Section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, croit fermement qu’il faut améliorer le système en place afin de redonner une dignité aux grandes cultures autochtones. « Il faut reconnaître leurs traditions, car elles font partie du patrimoine de l’humanité », fait valoir le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones.
M. Otis a obtenu en 2013 une subvention de partenariat de plus de deux millions de dollars du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), de l’Université d’Ottawa et du ministère français des Affaires étrangères. La somme lui permet de diriger un projet de recherche d’envergure internationale intitulé État et cultures juridiques autochtones : un droit en quête de légitimité.
Quatorze universités réparties dans sept pays participent à ce projet, de même que des partenaires issus de communautés autochtones établies dans différentes régions du monde. Les équipes étudient les interactions entre les cultures juridiques autochtones et le droit étatique au Canada, mais aussi dans certains pays d’Afrique et des États insulaires du Pacifique Sud.
Ces pays servent de laboratoires particulièrement intéressants pour les chercheurs canadiens, souligne M. Otis. L’Afrique du Sud, par exemple, reconnaît le droit coutumier africain dans sa constitution post-apartheid. Le territoire français de la Nouvelle-Calédonie, quant à lui, se distingue notamment en faisant coexister les systèmes juridiques autochtone kanak et étatique.
Cette étude comparative, qui « inscrit les travaux autochtonistes de l’Université d’Ottawa à l’échelle mondiale », dit-il, permet aux chercheurs de mettre en évidence les modèles de gouvernance les plus efficaces. « Par exemple, les partenaires innus et inuits recensent leurs pratiques coutumières en matière d’adoption, pour ensuite déterminer la meilleure façon d’adapter leur système ainsi que la Loi sur la protection de la jeunesse pour en assurer la coexistence harmonieuse », explique le professeur.
Au Canada, des conflits surgissent souvent entre l’État et les nations autochtones lorsque des droits de prélèvement sont accordés à des entreprises extractives sur des terres où les Autochtones estiment détenir des droits ancestraux. « Personne n’y gagne puisque, d’une part, ces droits ne sont pas juridiquement assurés pour les entreprises et, d’autre part, l’accès des Autochtones au territoire est compromis. »
Le droit traditionnel des nations autochtones est, il est vrai, encore peu reconnu au Canada. Cependant, on note une certaine ouverture en matière d’adoption coutumière en Colombie-Britannique et dans les territoires nordiques canadiens. Aussi, dans de nouveaux traités, des ententes sont conclues afin de reconnaître certaines cultures juridiques autochtones. C’est notamment le cas chez les Inuits du Labrador. Mais selon Ghislain Otis, ce ne sont que des exceptions.
« Les sociétés occidentales doivent réserver une place légitime aux cultures autochtones, déclare le professeur. La colonisation a occulté ces cultures, tant sur le plan de la religion que de la langue, mais surtout en matière de droit. Les colonisateurs ont le plus souvent tout simplement ignoré les systèmes mis en place par ces peuples. »
La reconnaissance des cultures juridiques autochtones devrait permettre de relier les deux systèmes de droit. C’est ce que le professeur Otis appelle le « pluralisme juridique coopératif. »
« Depuis la colonisation, le système de droit autochtone a été influencé par celui des Occidentaux. Ces deux systèmes ont aussi en commun des valeurs fondamentales, notamment en matière de respect et de liberté des individus. Il n’est donc pas chimérique de penser que l’on puisse faire coexister les deux systèmes. Il faut simplement établir un dialogue entre les différentes cultures afin de permettre la diversité et mettre en place des normes communes. »
Cet article a été publié dans Tabaret en septembre 2013.