« La plupart des études réalisées jusqu’à maintenant sur la privatisation et le développement économique ne se sont pas intéressées au sexe ni au lien entre le développement socioéconomique et la violence contre les femmes autochtones. »
– Angela Cameron
À l’heure où le gouvernement fédéral prépare son enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Angela Cameron veut veiller à ce que le lien entre la violence et l’accès inéquitable des femmes aux possibilités socioéconomiques soit à l’avant-plan de ses travaux.
« Il faudra poser constamment des questions sur les droits socioéconomiques des femmes autochtones et la mener comme une enquête sur les droits de la personne », implore Mme Cameron, professeure de common law à l’Université d’Ottawa. Poser des questions sur l’intérêt pour les femmes autochtones de projets socioéconomiques et de changements sociaux est d’ailleurs sa spécialité.
La professeure, qui préside l’Alliance féministe pour l’action internationale et siège au conseil de la Revue Femmes et Droit, a travaillé avec ces groupes pour aider l’Association des femmes autochtones du Canada à documenter les cas de femmes disparues ou assassinées et à réclamer une enquête publique.
Mme Cameron veut maintenant s’assurer que l’enquête portera non seulement sur les circonstances immédiates entourant le décès ou la disparition de plus de 1 181 femmes, chiffre avancé par la GRC. La population canadienne doit aussi comprendre les raisons profondes qui ont poussé certaines femmes à quitter leur communauté, à rester dans des relations de violence ou, dans certains cas, à se faire exploiter sexuellement.
« Nous savons qu’il y a un lien clair entre la pauvreté et la vulnérabilité des femmes à la violence », précise la professeure Cameron. C’est pour cette raison qu’elle a organisé un symposium national sur les femmes autochtones disparues et assassinées en janvier dernier. À ce symposium, auquel ont participé des représentants de trois ministères fédéraux participants à l’enquête, 35 expertes autochtones et leurs alliées non autochtones ont livré un message sur les raisons profondes qui ont engendré cette violence.
Les travaux de la professeure visent à vérifier si les projets ayant pour objectif de remédier à la vulnérabilité des femmes autochtones améliorent réellement le statut socioéconomique de ces femmes au même rythme que celui des hommes.
Avec Jackie Dawson, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’environnement, la société et les politiques, Mme Cameron est cochercheuse d’un projet subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines sur les répercussions des changements climatiques et du développement économique sur la vie dans les petites localités de l’Arctique canadien. Le développement économique dans l’Arctique par l’exploitation minière ou le tourisme de croisière, par exemple, crée-t-il des possibilités d’emploi bien rémunérées pour les femmes autochtones? Ou les femmes sont-elles reléguées à des emplois de deuxième ordre moins bien payés?
En plus d’analyser les aspects sexospécifiques des accords économiques, la professeure Cameron étudiera également quels avantages les communautés pourraient négocier avec les entreprises, y compris un accès garanti à la formation et à l'emploi pour les femmes autochtones.
Dans un autre projet, elle s’intéressera avec ses collègues aux interactions entre la violence, l’évolution des conditions économiques et la privatisation des terres dans trois communautés autochtones. Elle explique que même si l’on suppose a priori qu’une hausse du nombre d’emplois et des salaires dans ces communautés améliore la vie des gens, aucune donnée ne démontre encore que les avantages sont répartis équitablement entre les hommes et les femmes.
« La plupart des études réalisées jusqu’à maintenant sur la privatisation et le développement économique ne se sont pas intéressées au sexe ni au lien entre le développement socioéconomique et la violence contre les femmes autochtones, explique la professeure. Dans les communautés où le développement économique est en plein essor et les communautés sont riches, le taux de violence conjugale est-il vraiment plus faible? Voilà le genre de questions que nous posons. »
Angela Cameron compte étudier des nations autochtones qui ont tiré profit de décisions juridiques ou de négociations sur les revendications territoriales pour voir si les gains sont également répartis entre les sexes. Avec ses collègues professeurs de droit Sarah Morales et Darren O'Toole, elle tentera aussi de voir s’il y a des liens entre différentes formes de gouvernance autochtone et la réduction concrète de la violence envers les femmes autochtones.
« Nous ne voulons pas insinuer que la violence envers les femmes n'existait pas avant l’époque coloniale, mais nous avions des façons de gérer ces situations dans le passé », dit la professeure Morales, elle-même membre des tribus Cowichan de la Colombie-Britannique. Mme Morales interviewe des Aînés dans sa communauté sur les traditions juridiques autochtones, notamment la résolution des conflits et des problèmes sociaux.
Selon Mme Cameron, la non-reconnaissance des droits économiques ou sociaux des femmes autochtones a engendré, en partie du moins, une augmentation des cas de violence. Elle espère par son travail aider les communautés autochtones à mettre elles-mêmes fin à cette violence.
« Nous ne pouvons pas résoudre un problème que nous avons créé, dit-elle en parlant du colonialisme. Mais nous pouvons aider les communautés et les femmes autochtones et nous associer à elles quand elles développent et mettent en place des modèles d’autodétermination et de gouvernance qui reconnaissent ces questions et accordent une place saine aux femmes. »
Sarah Morales espère également que l’enquête nationale tiendra compte des recommandations des communautés autochtones, qui s’inspirent de leurs propres traditions, systèmes et cadres juridiques pour traiter les causes profondes de la violence contre les femmes.