Nous nous sommes entretenus avec le professeur Errol Mendes pour obtenir un portrait d'ensemble des manifestations qui secouent actuellement plusieurs pays à travers le monde. Il est disponible pour répondre aux questions des médias (en anglais seulement).
Ces dernières semaines et ces derniers mois, des manifestations de grande envergure ont éclaté dans le monde entier. Le Chili, le Liban, le Venezuela, l'Irak, Hong Kong, l'Équateur, la Bolivie, l'Éthiopie, Haïti, la France et d'autres pays ont connu des manifestations massives, où des dizaines de milliers de citoyens sont descendus dans la rue pour faire entendre leur voix.
Selon Errol Mendes, professeur à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, toutes ces situations apparemment déconnectées sont unies par un thème commun. Même si certaines des manifestations ont été déclenchées par des décisions gouvernementales apparemment inoffensives, comme une hausse des prix du transport en commun au Chili et de nouvelles taxes sur l'essence, le tabac et WhatsApp au Liban, des courants profonds et puissants œuvrent sous les vagues qui troublent la surface de l'eau.
« Le point commun réside dans les liens toxiques qui existent entre la corruption et les inégalités flagrantes qui renforcent l'abus de pouvoir de la part des élites, qui gouvernent principalement dans leur propre intérêt », a déclaré M. Mendes. « Quand les inégalités et la corruption atteignent un tel niveau, même la moindre augmentation du coût de la vie, ou les plus petites restrictions de liberté, peuvent devenir la goutte qui fait déborder le vase et déclencher un désir de faire tomber l’ensemble du système corrompu. »
Une lame à double tranchant
Ce n'est pas la première fois que des élites déconnectées provoquent la furie des masses en se remplissant les poches aux dépens du peuple ; la France du XIXe siècle vient immédiatement à l’esprit. Et si l'Histoire nous apprend quelque chose sur la grogne et les manifestations populaires, c'est qu'elles peuvent être des bêtes excessivement imprévisibles.
D'un côté, elles peuvent apporter les changements nécessaires pour offrir un peu de répit aux citoyens en difficulté. De l'autre côté, elles peuvent engendrer des pièges sournois et des conséquences dangereuses. L'instabilité politique et sociale peut en effet être une lame à double tranchant.
« Des manifestations de grande envergure peuvent mener à l'effondrement de gouvernements autoritaires et à l'établissement de démocraties, comme nous l'avons vu en Pologne et en Tchécoslovaquie à la chute de l'URSS », a expliqué M. Mendes. « Malheureusement, ils permettent aussi aux démagogues et aux populistes, qui apportent des réponses faciles à des problèmes très complexes, d'utiliser des boucs émissaires raciaux – entre autres – pour prendre le pouvoir et établir une société antilibérale. Lorsque les manifestations en Égypte ont provoqué le renversement du gouvernement d'Hosni Moubarak, celui-ci a été remplacé par un gouvernement encore plus autoritaire, qui s’attaque à l'État de droit. C'est aussi ce que nous avons vu en Hongrie, en Roumanie et même en Pologne. »
Combattre le problème à sa base
Comment, alors, empêcher de telles dérives autoritaires? Comment donc ces manifestants, qui défendent pour la plupart de justes principes, peuvent-ils obtenir les réformes qu'ils demandent? Le professeur Mendes n’y voit qu’une seule solution : combattre le problème à sa base.
« La tâche la plus urgente des plus grands esprits de ce monde, en particulier dans les universités comme la nôtre, est d'essayer de trouver une solution aux maux des inégalités et les liens qui les unissent avec la corruption, l'abus de pouvoir et les violations des droits de la personne », a affirmé M. Mendes. « Les mouvements réformateurs doivent comprendre et élaborer des stratégies pour mettre en place les réformes importantes et complexes qui sont nécessaires pour prévenir la corruption et les abus de pouvoir. Cela ne se fera peut-être pas du jour au lendemain. En fait, il faudra peut-être des années, voire des décennies d'actions soutenues pour mettre en œuvre ces réformes essentielles. »
Dans certains pays, des mouvements commencent déjà à s’opposer aux principaux architectes de cet énorme problème d'inégalités sociales. Plusieurs, à gauche, affirment que ceux qui ont mis de l’avant des politiques néolibérales, dans les institutions nationales et internationales, sont les principaux responsables des inégalités et de la corruption.
« Nous observons cette tendance aux États-Unis, où les principaux candidats à l’investiture démocrate mettent de l'avant des politiques visant à réglementer les banques et à réduire l'influence de la richesse et du capital privés, que ce soit à travers des réformes du système de financement électoral ou des politiques fiscales redistributives », a conclu M. Mendes. « Il est temps d'aller au-delà des positions idéologiques et de se concentrer sur la manière de réformer les politiques et les institutions qui ont produit ces inégalités, qui ont encouragé la corruption et l'abus de pouvoir. Le meilleur moyen de s'attaquer aux causes profondes des manifestations auxquelles nous assistons à travers le monde entier pourrait être de mettre constamment l'accent sur les politiques, les organisations et les institutions qui favorisent le type de croissance inclusive qui profite à la majorité de la société, tout en renforçant les organismes anticorruption. »
Errol Mendes (Anglais seulement)
Professeur titulaire
Faculté de droit - Section de common law
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