Besoin d'un expert? Les liens qui unissent: la convergence du droit et de la politique

Expertise universitaire
Cour suprême des États-Unis
Cour suprême des États-Unis

Nous nous sommes entretenus avec la professeure et vice-doyenne Carissima Mathen, de la Faculté de droit, pour mettre en contexte le droit à l'avortement aux États-Unis, la corrélation avec le système juridique canadien et les répercussions de la politique sur ces droits.

Q. >Au cours des derniers jours, de nombreux États américains ont adopté la loi anti-avortement la plus stricte depuis des décennies. Pourquoi les États font-ils cela ?

A. Les États qui ont des législateurs et des circonscriptions fortement opposés à l'avortement estiment que le moment est venu de forcer un dialogue national sur l'avortement.

Ces États s'attendent à ce que les lois soient annulées par les tribunaux fédéraux inférieurs, mais ils veulent que la Cour suprême des États-Unis accepte d'entendre un ou plusieurs des appels. Compte tenu des récents changements apportés à la Cour suprême des États-Unis, avec ses cinq juges conservateurs, ils espèrent que la Cour en profitera pour renverser la décision rendue en 1973 dans Roe v. Wade.

 

Q. La Cour suprême des États-Unis a-t-elle vraiment le pouvoir d'annuler l'arrêt Roe c. Wade? Roe n'est-il pas un précédent et donc contraignant ?

A. Comme la Cour suprême du Canada, la Cour suprême des États-Unis n'est pas liée par ses décisions antérieures. Elle prend généralement grand soin de les préserver et il est rare que l'on rejette catégoriquement les précédents. Cela dit, si une majorité de juges en décide ainsi, ils pourraient effectivement renverser l'arrêt Roe c. Wade.

 

Q. Le précédent n'est-il pas lié à la doctrine du stare decisisis et, par conséquent, au système de common law?

A. Le précédent est en effet lié au stare decisisis (littéralement, "laisser la décision tenir"). Mais, comme beaucoup d'autres éléments de la common law, ce n'est pas une règle absolue. La common law permet également aux tribunaux de modifier le droit antérieur de façon progressive. On peut soutenir qu'une majorité de la Cour suprême des États-Unis l'a déjà fait dans l'affaire Roe c. Wade dans une affaire subséquente appelée Planned Parenthood c. Casey. Il y est dit que les États sont autorisés à "décourager" les femmes de se faire avorter, même au cours du premier trimestre, à condition que leurs lois n'imposent pas un "fardeau indu".

 

Q. Est-il possible de rendre l'accès à l'avortement si difficile qu'on peut essentiellement le rendre illégal sans renverser l'arrêt Roe c. Wade ?

A. Oui. En effet, avant cette nouvelle attaque, c'est ce que faisaient un certain nombre d'États, par exemple en prescrivant des délais d'attente ou en restreignant les types d'installations autorisées à pratiquer des avortements. Si certaines de ces restrictions ont été levées, d'autres ont été maintenues.

 

Q. Le Washington Post affirme que le président Trump a ouvert la voie à la loi sur l'avortement de l'Alabama. Dans quelle mesure la politique et la loi sont-elles étroitement liées aux États-Unis ? Qu'en est-il ici au Canada ?

A. Le Président Trump a un fort soutien parmi les chrétiens évangéliques. Sa nomination de juges fédéraux a été très conservatrice, y compris les deux juges Gorsuch et Kavanaugh, nommés à la Cour suprême des États-Unis. Il existe une forte corrélation entre le droit et la politique aux États-Unis qui est particulièrement perceptible dans les nominations judiciaires, avec des divisions claires entre les juges "conservateurs" et "libéraux". Le droit et la politique sont également liés au Canada, mais nos juges n'opèrent généralement pas selon les mêmes lignes clairement idéologiques.

 

Q. L'avortement est décriminalisé au Canada depuis 1988. Les événements survenus aux États-Unis pourraient-ils se répéter ici ?

A. Il y a quelques différences importantes entre le Canada et les États-Unis qui font qu'il est peu probable - mais pas impossible - que nous assistions à un scénario similaire. Premièrement, le droit pénal relève de la compétence exclusive du Parlement fédéral alors qu'aux États-Unis, c'est une question d'État. Il n'y a donc qu'un seul organisme canadien capable de criminaliser l'avortement au Canada, au lieu de cinquante États américains. Au cours des trente dernières années, le Parlement a refusé de réexaminer la question. Deuxièmement, les garanties constitutionnelles utilisées pour invalider la loi canadienne sur l'avortement sont différentes de celles utilisées aux États-Unis. En fait, la jurisprudence depuis 1988 fait en sorte qu'il est plus probable, et non moins probable, que les choix reproductifs des femmes doivent être protégés contre les sanctions pénales. Cela dit, l'accès aux soins de santé est sous le contrôle des provinces et l'accès à l'avortement demeure un problème persistant.


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