Dans un article publié dans la revue scientifique Nature Communications, des chercheurs de l’Université d’Ottawa proposent un nouvel élément optique qui pourrait bien donner corps à ces idées. En miniaturisant substantiellement les dispositifs optiques, leur concept pourrait avoir un impact sur de nombreux objets de notre quotidien.
Pour en savoir plus, nous avons discuté avec Orad Reshef, auteur principal et chercheur-boursier de niveau postdoctoral du Groupe de Robert Boyd, et avec Jeff Lundeen, chercheur principal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en photonique quantique, professeur agrégé au Département de physique de l’Université d’Ottawa et responsable du Laboratoire Lundeen.
Pouvez-vous nous décrire la « lame d’espace », ce nouvel élément optique mis au point par votre équipe?
Orad Reshef : « En voyageant, la lumière “s’étend”. Absolument tous nos dispositifs optiques tablent sur cette propagation; sans elle, on ne saurait comment concevoir des caméras. Par exemple, on trouve dans chaque télescope un certain espace entre l’oculaire et la lentille. Cet espace permet à la lumière de se propager.
La lame d’espace simule cette propagation de la lumière sur une grande distance dans un petit dispositif. Au contact de la lame, la lumière perçoit davantage d’espace qu’il n’y en a vraiment. La lame d’espace est en quelque sorte le pendant de la lentille; elle fait ce que les lentilles n’arrivent pas à faire en miniaturisant des systèmes d’imagerie complets.
Notre article présente le concept de la lame d’espace. On en fait la démonstration expérimentale et on illustre qu’elle est compatible avec les sources lumineuses à large bande du spectre visible qui nous permet de voir. »
Jeff Lundeen : « Nous avons examiné ce qui se passerait si l’on manipulait la lumière en se basant sur l’angle plutôt que sur la position d’un rayon lumineux. Les lentilles opèrent en fonction de la position du rayon. L’angle est une approche complètement nouvelle, et personne n’avait jusqu’ici démontré qu’elle pourrait servir à quelque chose de particulièrement utile. Nous lui avons trouvé une utilité : la compression de l’espace. Nous avons ensuite illustré qu’il était possible de concevoir et de démontrer à titre expérimental des lames donnant le résultat recherché. »
Orad Reshef : « C’est vraiment prometteur, parce que cette lame nous permettra de réduire la taille de très grands appareils optiques que l’on croyait jusqu’ici impossibles à miniaturiser. Pour en faire la conception, on doit mettre au point un nouvel ensemble de règles incompatibles avec celles qu’on utilise pour les lentilles. Ces règles, personne ne les connaît – c’est un peu comme le Far West. »
Comment cette idée vous est-elle venue?
Jeff Lundeen : « Orad Reshef se spécialise en utilisation des nanotechnologies pour manipuler les faisceaux en fonction de leur position (à l’aide de métalentilles ou de métasurfaces, par exemple). On discutait tout bonnement des limites des métasurfaces pour manipuler la lumière, et j’ai mentionné qu’il serait intéressant de pouvoir plutôt la manipuler en fonction de son angle.
Il a tout de suite eu la conviction de pouvoir dessiner et fabriquer quelque chose pour y arriver. Plus tard, j’en suis venu à la conclusion que le plus simple serait de remplacer l’espace dont la lumière a besoin pour se propager.
Au fil des mois, en discutant tous les deux avec le professeur Robert Boyd, on a peu à peu saisi toute l’utilité d’un tel dispositif. Orad Reshef et moi avons mis au point deux concepts viables complètement différents – il y a donc de multiples façons de créer un tel dispositif. Nous en avons étudié trois dans notre article, mais d’autres suivront. »
À quoi cette technologie pourrait-elle servir? Quelles applications la lame d’espace pourrait-elle avoir dans notre quotidien?
Orad Reshef : « La lame d’espace peut servir à miniaturiser de nombreux systèmes optiques, qu’ils servent à projeter ou à capter de la lumière. Par exemple, une lame d’espace sophistiquée pourrait servir à créer des télescopes et des caméras de l’épaisseur d’une feuille de papier; elle pourrait aussi aplanir complètement la caméra au dos de nos téléphones intelligents. »
Jeff Lundeen : « Certaines personnes traînent avec elles d’imposants appareils-photo équipés de téléobjectifs massifs. Si on peut suffisamment améliorer la lame d’espace, je crois qu’elle pourrait ouvrir la voie à des appareils-photo plus légers et plus petits qui donneraient de bien meilleurs résultats. En la combinant à des métalentilles, on pourrait créer une caméra plate et mince qui ferait tout le dos d’un iPhone Max, par exemple. Elle aurait une résolution jusqu’à 14 fois supérieure à celle de ces appareils-photo encombrants, même en situation de faible luminosité. »
« Les caméras miniatures seraient utiles dans tout un éventail de contextes, y compris en santé : on pourrait utiliser des pilules ou des endoscopes équipés de caméras pour inspecter les artères et le système digestif. »
Quelle sera la suite des choses?
Orad Reshef : « Nous travaillons très fort à la prochaine génération de cette technologie. Nous voulons la rendre plus performante et rehausser son facteur de compression. Nous avons déjà des concepts pour faire passer ce facteur de 5 à plus de 100 et améliorer la transmission. Pour continuer dans cette voie, on doit imaginer un tout nouveau paradigme de conception. »
Un dernier mot?
Orad Reshef : « Les éléments optiques comme les lentilles existent depuis un millénaire, et on comprend bien les règles entourant leur conception depuis maintenant 400 ans. Il est étonnant de continuer, encore aujourd’hui, à découvrir de nouveaux éléments optiques aussi fondamentaux pour l’imagerie. »
Ces travaux ont été réalisés conjointement par les équipes de recherche de deux professeurs de physique à l’Université d’Ottawa : Robert Boyd, Chaire de recherche du Canada en optique non linéaire quantique, et Jeff Lundeen, Chaire de recherche du Canada en photonique quantique. Les deux équipes travaillent en étroite collaboration au sein du groupe des Chaires d’excellence en recherche du Canada (CERC) en photonique quantique réuni par Robert Boyd, coauteur et titulaire de la CERC en optique non linéaire quantique.
L’article « An optic to replace space and its application towards ultra-thin imaging systems » est publié dans la revue scientifique Nature Communications.
DOI pour cet article: 10.1038/s41467-021-23358-8
Relations médias :
Justine Boutet
Agente des relations médias
Université d’Ottawa
Cellulaire : 613-762-2908
[email protected]