Une étude menée à l’Université d’Ottawa et à l’Université de la Colombie-Britannique révèle que de nombreux enfants ne dînent pas lorsqu’ils sont à l’école, quels que soient le revenu familial, le niveau d’instruction et l’origine ethnique. Les enfants plus âgés vivant dans un contexte d’insécurité alimentaire sont plus susceptibles de rater ce repas.
Intitulée « Who misses lunch on school days in Canada? », cette étude publiée dans le Journal of Hunger and Environmental Nutrition examine la prévalence du problème et les caractéristiques des enfants qui sont le plus à risque de rater le dîner à l’école.
Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec Claire Tugault-Lafleur, professeure adjointe à l’École des sciences de la nutrition de l’Université d’Ottawa.
1- Pourquoi avez-vous décidé d’étudier les habitudes alimentaires des enfants, plus particulièrement à l’école, et comment s’est déroulée la recherche?
« Selon de récents rapports de l’UNICEF, le Canada est en retard sur d’autres pays riches en termes d’investissement dans le bien-être des enfants. Il est particulièrement à la traîne pour ce qui est de l’apport gouvernemental pour l’accès à des repas nutritifs. Contrairement aux États-Unis et à la plupart des pays bien nantis, le Canada n’a pas de programme national d’alimentation scolaire, et la majorité des enfants ici apportent leur repas de la maison a l’école.
Notre recherche précédente, qui s’intéressait à ce que les enfants mangeaient en milieu scolaire en 2004 et par la suite en 2015, a révélé plusieurs lacunes nutritionnelles. Il y a eu des améliorations à certains égards, mais les enfants vivant en situation d’insécurité alimentaire (ceux dont la famille peine à se nourrir pour des raisons financières) avaient en 2015 une alimentation moins saine que celle des enfants qui jouissent de sécurité alimentaire, ce qui n’était pas le cas en 2004.
Les données de 2004 nous indiquaient également que certains enfants ne mangeaient rien à l’heure du dîner à l’école, mais nous n’avions pas d’estimations pour dresser un portrait plus récent de la situation, que ce soit pour évaluer le nombre d’enfants qui sautent le dîner ou pour déterminer si certains sont plus à risque que d’autres.
Nous n’avons que très peu d’éléments pour nous faire une idée des lacunes des programmes disparates d’aide alimentaire en milieu scolaire actuellement offerts. Nous avons utilisé les données nationales issues de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes – Nutrition de 2015 (ESSC), qui portent sur un peu moins de 3 000 enfants de 6 à 17 ans de partout au pays. Les répondants et répondantes devaient indiquer ce qu’ils mangeaient et buvaient pendant une journée d’école. Nous avons qualifié de « non-dîneurs ou non-dîneuses » les enfants n’ayant rapporté aucun aliment ni aucune boisson pour le dîner. Nous avons observé la proportion d’enfants correspondant à cette catégorie, puis regardé si des facteurs sociaux ou démographiques pouvaient nous aider à prédire qui était plus susceptible de rater ce repas. »
2- Quelles sont vos principales conclusions?
« Pour un jour donné en 2015, en moyenne, plus d’un enfant sur 20 a indiqué ne rien avoir mangé du tout au dîner. Les enfants plus âgés sont particulièrement touchés : près de 10 % des 14 à 17 ans ont dit ne pas dîner, comparativement à seulement 4 % chez les 6 à 13 ans.
Les enfants issus de familles en situation d’insécurité alimentaire étaient deux fois plus susceptibles de rater le dîner que leurs camarades vivant dans les familles ne souffrant pas d’insécurité alimentaire.
Parmi les jeunes de 12 ans et plus, les fumeurs et fumeuses étaient plus susceptibles de sauter le repas que ceux et celles qui ne fumaient pas.
Par contre, nous n’avons relevé aucune différence attribuable au revenu des parents, au genre, à l’origine ethnique, au milieu de vie (rural ou urbain) ou au poids.
Nos conclusions laissent aussi présager qu’il y a davantage de barrières à l’accès à des dîners nutritifs pour les enfants provenant de familles en situation d’insécurité alimentaire. Elles signalent aussi, comme nous l’avions déjà constaté, que cet enjeu touche des enfants de partout au pays provenant de divers milieux sociaux et économiques. »
3- Avez-vous des recommandations pour la suite?
« Nos conclusions représentent un premier pas important dans la documentation des lacunes des approches actuelles. Toutefois, elles nous démontrent qu’une étude plus approfondie est nécessaire pour comprendre les obstacles qui affectent l’alimentation des enfants à l’école. Par exemple, nous n’avons toujours pas de données de qualité sur la diversité des programmes d’alimentation scolaire et du soutien offerts : comment les repas sont-ils distribués à l’école? Quand? Où? Par qui? Il faut aussi explorer davantage les conséquences de la consommation ou non du dîner à l’école pour les élèves, notamment sur leur sentiment d’appartenance à leur établissement, leurs relations avec leurs camarades, leur apprentissage et leur santé.
Dans son budget de 2019, le gouvernement fédéral a manifesté son intention de concevoir un programme national d’alimentation scolaire en collaboration avec les provinces et les territoires, mais il n’a pas encore affecté de fonds à ce projet. La pandémie a par ailleurs mis en lumière les trous dans les filets de sécurité sociaux qui devraient permettre aux enfants d’atteindre leur plein potentiel à l’école et de s’alimenter convenablement.
Pendant que les enfants se réhabituent aux bancs d’école après des mois d’isolement social, les parents, les écoles et les décisionnaires doivent collaborer pour atténuer les effets du stress que les enfants et leurs parents ont vécu pendant que les établissements d’enseignement étaient fermés.
Cette étude nous rappelle que les écoles et la classe politique doivent mettre les voix et les expériences des enfants et de leur famille au centre des stratégies qui seront élaborées pour garantir à chaque enfant l’alimentation nécessaire pour apprendre et s’épanouir. »
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Justine Boutet
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