Des chercheurs nous permettent d’en apprendre davantage sur l’origine de l’apprentissage moteur lent dans l’autisme

Salle de presse
Illustration des découvertes
Illustration des découvertes

Les déficits sociaux suscitent tellement d’attention dans l’étude des troubles du spectre autistique qu’on oublie parfois qu’il existe également des déficits d’apprentissage moteur pendant la petite enfance. Ces différences d’aptitudes physiques contribuent souvent à isoler encore davantage les enfants qui aimeraient jouer à la balle dans la cour de l’école et nouer des liens avec leurs camarades.

Dans une nouvelle étude publiée aujourd’hui dans Nature Neuroscience, des chercheurs de l’Université d’Ottawa ont mis le doigt sur les fondements neurologiques de ce retard moteur. Le laboratoire du Dr Simon Chen du Département de médecine cellulaire et moléculaire dans la Faculté de médecine a utilisé un modèle de souris autiste pour mettre en évidence une insuffisance de la quantité de noradrénaline, un neurotransmetteur, libérée dans le cortex moteur primaire du cerveau. Le problème semble trouver son origine à une certaine distance, dans une zone du cerveau postérieur appelée locus coeruleus, connue pour être un centre de motivation, de vigilance et d’attention. 

Qu’est-ce que le locus coeruleus?
« Le locus coeruleus est une région du cerveau qui sécrète de la noradrénaline un neurotransmetteur qui active la vigilance. Chez la souris présentant les caractéristiques de l’autisme que l’on utilise comme modèle, le cortex moteur présente une quantité moindre de neurones sensibles à la noradrénaline connectés à cette région, ce qui entraîne un retard d’apprentissage sur le plan de la motricité. Le taux de noradrénaline inférieur au taux basal dans le cortex moteur serait à l’origine de ce retard. »
 

Par « retard d’apprentissage », voulez-vous dire que l’apprentissage d’une tâche est plus long?
« Oui, et les implications sont similaires chez les enfants atteints d’un trouble du spectre de l’autisme. En général, ces enfants sont capables de lancer ou d’attraper le ballon comme les autres. Cependant, ils apprennent à le faire à un rythme plus lent que leurs pairs du même âge : un décalage qui pourrait expliquer le fait qu’ils préfèrent se tenir loin d’eux et éviter leurs jeux.

On a tendance à mettre une part de ce retard d’apprentissage moteur sur le compte des déficits de sociabilité des enfants autistes et de leur réticence à jouer avec les autres. Or, c’est peut-être l’inverse : leur incapacité à apprendre aussi vite que leurs pairs pourrait les décourager de se mêler à eux.

Nous avons donc tenté d’expliquer ce retard d’apprentissage moteur. Est-ce le fait de déficits au niveau du locus coeruleus ou uniquement du cortex moteur? »

Dr Simon Chen

Comment avez-vous procédé?
« Mon expertise dans l’étude des mécanismes du cerveau touche aussi l’apprentissage moteur, alors je me suis d’abord tourné vers l’étude de troubles associés à des retards sur ce plan. J’ai trouvé dans la littérature scientifique de nombreux cas d’enfants autistes présentant un retard dans l’acquisition d’habiletés motrices. À partir de là, nous avons cherché des souris qui présentaient le même type de retard.

La technologie d’imagerie en direct a révélé que le cerveau de nos modèles de souris autistes adolescentes tardait à éliminer les anciens apprentissages pendant qu’il en formait de nouveaux, ce qui entraînait de la confusion, notamment un effet décrit comme un faible rapport signal/bruit (où les données mémorisées antérieurement représentent le bruit). Lorsque le cerveau est lent à éliminer les synapses ou connexions inutiles (données anciennes), le bruit s’amplifie et couvre le signal à traiter qui devient plus difficile à discerner. L’apprentissage d’une nouvelle tâche s’effectue alors plus lentement.

Disons que nous pratiquons notre élan de golf ensemble. Si mon cerveau peut compter sur un bon rapport signal/bruit, de tous les mouvements que j’aurai essayés, il pourra mémoriser rapidement celui qui me permet de frapper la balle au loin. Au contraire, si mon cerveau tarde à éliminer les connexions inutiles, et que mon rapport signal/bruit est faible, je frapperai la balle à répétition sans arriver à discerner le mouvement le plus efficace. Par conséquent, il me faudra plus de temps pour réussir à frapper la balle adéquatement. Or, la noradrénaline favorise justement un meilleur rapport signal/bruit. »
 

Quelles expériences avez-vous réalisées avec les souris pour arriver à cette découverte?
« Comme les souris aiment courir, nous leur avons appris à le faire sur un disque rotatif. Leur tête était immobilisée, et elles devaient ajuster leur corps de manière à pouvoir courir quand même; c’est cet apprentissage que nous souhaitions mesurer. Au début, elles avaient beaucoup de mal à contrôler la position de leur corps, mais après 12 jours, elles couraient aisément sur le disque rotatif.

Au cours de cette période, nous leur avons d’abord injecté dans l’abdomen un médicament de synthèse afin d’augmenter la libération de noradrénaline dans tout leur corps. Cela a amélioré leur performance, mais c’était peut-être l’effet d’une plus grande concentration sur la tâche (la noradrénaline augmente la vigilance). Pour vérifier, nous avons ensuite injecté le médicament de synthèse localement, dans le cortex moteur, afin d’activer précisément les axones des neurones connectés aux neurones noradrénergiques du locus coeruleus. Cela a aussi amélioré leur performance.

Notre expérience suggère que l’amélioration n’était pas une question de concentration. L’apprentissage moteur a plutôt été facilité par l’administration directe du médicament de synthèse au cortex moteur qui a fourni à ce dernier le supplément de noradrénaline qui lui faisait défaut. »

Quelles sont les applications possibles de votre étude?
« Les enfants atteints d’un trouble du spectre de l’autisme présentent souvent un retard d’apprentissage moteur que l’on néglige en jetant le blâme sur leurs déficits de sociabilité. Pourtant, ces déficits pourraient découler du fait qu’ils sont incapables de suivre leurs pairs dans leurs activités physiques. Il reste donc à trouver des moyens d’aider les enfants autistes à acquérir plus rapidement les habiletés motrices qui leur manquent pour jouer avec les autres, et ainsi compenser une partie des déficits de sociabilité qu’on leur attribue.

Maintenant que nous avons constaté qu’un supplément de noradrénaline au cortex moteur accélérait l’apprentissage moteur des modèles de souris autistes, nous pouvons espérer trouver le moyen de transposer les résultats de notre expérience aux humains. »

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