Une étude de l'Université d'Ottawa démontre que la prononciation n’est pas une mesure fiable de compétence linguistique.
L'accent d'une personne bilingue n’est pas un bon indicateur de la façon dont elle maîtrise une langue. C’est ce qui ressort d’une nouvelle étude menée par trois chercheuses de l’Université d’Ottawa.
Shana Poplack, professeure éminente et titulaire de la Chaire de recherche du Canada au département de linguistique, Suzanne Robillard, étudiante au doctorat et Nathalie Dion, coordonnatrice de la recherche au Laboratoire de sociolinguistique dirigé par Shana Poplack à l'Université d'Ottawa, ainsi que John Paolillo, professeur agrégé à l'Université de l'Indiana, Bloomington, ont étudié la relation entre la structure du mélange des langues et sa réalisation phonétique, c’est-à-dire sa prononciation.
« Les résultats de cette recherche, que nous menons depuis plusieurs années, prouvent que la façon dont une personne prononce une langue ne reflète pas sa maîtrise de la structure grammaticale », a indiqué Shana Poplack.
À partir d'un énorme corpus de 3,5 millions de mots provenant du discours spontané d'un échantillon aléatoire de 120 personnes bilingues (français-anglais) de la région de la capitale nationale, les chercheurs ont identifié les locuteurs les plus enclins à mélanger des langues.
Ils ont examiné comment ces personnes prononçaient certaines consonnes qui existent en anglais, mais pas en français, dans différents contextes. Parmi ces consonnes, on retrouve notamment le "th" dans des mots comme THough et THanks, le "h" dans Horn, le "r" dans factoRies, et les sons "p", "t" et "k" dans des contextes où ils sont normalement prononcés avec une petite bouffée d'air en anglais (comme P(h)olluted).
Étant donné que seuls les locuteurs capables de produire ces sons dans les deux langues ont été inclus dans l'étude, les chercheurs ont supposé qu'ils prononceraient les mots en tandem avec la façon dont ils les traitent grammaticalement : à la manière française lorsqu'ils les incorporent au français (ce que les linguistes appellent "emprunter"), mais en anglais lorsqu'ils alternent de code linguistique et passent à des portions plus longues en anglais.
Au lieu de cela, ils ont découvert que la forme phonétique que prend le mélange des langues est beaucoup plus chaotique. Les alternances vers l'anglais ne déclenchent pas forcément une prononciation à l’anglaise, alors que les emprunts à l'anglais - y compris ceux attestés depuis des siècles dans les dictionnaires de langue française (comme bar) - sont souvent encore prononcés à l'anglaise plutôt qu'à la française.
Ce résultat, associé au fait que l'accent des gens et les mots qu'ils empruntent sont si perceptibles, contribue à exagérer la fréquence réelle des alternances de code dans le discours bilingue.
« Ce genre d'alternance entre les sons des deux langues, qui est typique des "accents" partout dans le monde, ne fait que renforcer le stéréotype selon lequel les personnes bilingues ne parlent aucune langue correctement », a déclaré la professeure Poplack. « Mais les auditeurs se laissent si souvent emporter par la prononciation de quelqu'un qu’ils ne remarquent même pas l’intégrité de sa grammaire. »
En exposant l'erreur de se limiter à la prononciation pour mesurer les compétences linguistiques, cette recherche nous rappelle que si l'on se fie à l'accent d'une personne, on peut se tromper lourdement sur la façon dont elle maîtrise une langue.
L'étude Revisiting phontic integration in bilingual borrowing sera publiée dans le volume 96.1 (mars 2020) de Language, la revue phare de la Linguistic Society of America.