L’auteure, Nancy Bahl, a réalisé ce projet de recherche dans le cadre de sa thèse de doctorat en psychologie clinique, sous la direction d’Allison Ouimet, professeure agrégée à l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa. La doctorante et sa superviseure nous ont accordé une entrevue.
En quoi consiste le projet de recherche?
Les gens ont recours à des stratégies de régulation des émotions pour modifier le type, l’intensité ou la durée d’une émotion ressentie. De nombreuses recherches ont conclu que certaines stratégies, comme le changement de perspective, sont plus efficaces que d’autres. De plus, un immense corpus de recherche démontre que le fait de dissimuler son expression émotionnelle dans une situation anxiogène ne fait qu’intensifier l’émotion. À l’inverse, certaines thérapies enseignent qu’un « demi-sourire » améliore l’humeur quand on est en proie à une émotion négative. De toute évidence, ces deux corpus de recherche se contredisent.
Or, nous avons constaté que de rester impassible ou de sourire devant une image choquante n’a eu aucun effet sur l’humeur, les réactions physiologiques ou la mémoire des participantes, contrairement aux conclusions d’études antérieures. Fait intéressant, à la fin de l’étude, une majorité écrasante de participantes ont affirmé avoir eu recours à d’autres stratégies de régulation des émotions, comme le changement de perspective, que celle qu’on leur avait demandé d’utiliser. Autrement dit, la comparaison de stratégies de régulation dans le cadre de la recherche expérimentale comporte peut-être une faille : quelle que soit leur condition expérimentale, les sujets régulent spontanément leurs émotions.
Pouvez-vous expliquer le processus qui sous-tend votre étude?
Nous avons constitué un échantillon relativement diversifié de 144 jeunes femmes. En laboratoire, nous avons évalué l’humeur des participantes et mesuré l’activité de leur système nerveux sympathique. Nous leur avons ensuite attribué au hasard l’une de ces trois stratégies : suppression de l’expression (impassibilité), dissonance expressive (sourire) ou contrôle (expression naturelle des émotions). Chaque participante a reçu des directives, en fonction de la stratégie attribuée, pour gérer ses émotions négatives à la vue d’images choquantes. Pendant que les participanes regardaient les images, nous avons mesuré l’activité de leur système nerveux sympathique et leur avons demandé de décrire leur humeur. Elles ont ensuite accompli un test de mémoire inattendu sur les images visionnées. Enfin, elles ont répondu à un questionnaire sur la gestion de leurs émotions pendant l’expérience.
Étonnamment, les résultats pour les trois stratégies n’ont révélé aucune différence. Dans les réponses au questionnaire, nous avons constaté avec surprise qu’un grand nombre de participantes avaient eu recours à d’autres stratégies de régulation des émotions, en plus de celle qu’on leur avait attribuée. Ces résultats jettent le doute sur les conclusions d’autres études.
Quelles conclusions pouvez-vous en tirer?
Contrairement à ce que nous croyions, le fait de dissimuler ses émotions ou de sourire dans les moments d’anxiété ou de tristesse peut s’avérer une stratégie adaptée, du moins chez les jeunes femmes. Par ailleurs, il est peut-être inutile de comparer les différentes stratégies de régulation des émotions.
Il serait préférable d’orienter la recherche vers les raisons qui poussent les gens à utiliser une stratégie plutôt qu’une autre. Par exemple, une personne qui dissimule souvent ses émotions au sein du couple risque de mettre à mal la relation, alors qu’une personne qui laisse libre cours à ses émotions au travail, même devant ses chefs, pourrait s’attirer des ennuis. Aucune stratégie n’est efficace ou nuisible dans tous les cas : il vaut sans doute mieux se laisser la liberté de choisir la stratégie en fonction du contexte.
« Smiling won’t necessarily make you feel better: Response-focused emotion regulation strategies have little impact on cognitive, behavioural, physiological, and subjective outcomes », par Nancy Bahl et Allison J. Ouimet, sera publié dans le Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry en mars 2022. https://doi.org/10.1016/j.jbtep.2021.101695
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