Une nouvelle étude explore la pertinence des livres jeunesse bilingues dans l’apprentissage d’une langue seconde
Les enfants qui apprennent le français comme deuxième langue perçoivent-ils les bénéfices liés à la lecture d’œuvres où le français et l’anglais se côtoient?
Une étude récemment publiée dans la revue Language and Literacy s’est penchée sur cette question et révèle que les livres bilingues, peu fréquemment utilisés dans les classes d’immersion, sont perçus par les élèves comme un outil efficace pour l’apprentissage de la lecture en langue seconde.
Pour en savoir plus, nous avons discuté avec le coauteur Joël Thibeault, professeur adjoint de didactique du français à la Faculté d’éducation de l'Université d'Ottawa.
En quoi consiste exactement votre étude?
« Notre recherche porte sur la pertinence didactique que revêtent les livres de jeunesse bilingues pour l’enseignement du français langue seconde. Pour la mettre en évidence, je me suis concentré sur les perceptions d’élèves de l’élémentaire en immersion française quant aux utilités et aux inutilités que ce médium détient pour eux. Autrement dit, je leur ai demandé comment l’interaction du français et de l’anglais au sein d’un même livre peut, à leurs yeux, soutenir ou freiner l’apprentissage de la lecture et, de façon plus générale, des langues. »
Comment s’est déroulée la recherche?
« Mon partenaire de recherche (et coauteur), Ian A. Matheson, professeur à l’Université Queen’s, et moi voulions que les élèves qui prennent part à l’étude aient la chance de manipuler et de s’approprier des livres bilingues avant de nous faire part de leurs perceptions à leur égard. Pour cette raison, nous les avons invités à lire à voix haute des passages de deux livres bilingues, chaque livre adoptant un format différent.
Dans le premier, le même texte apparaît en français et en anglais. Dans le second, le texte français et le texte anglais ne sont pas équivalents ; le lecteur doit donc détenir des connaissances dans les deux langues afin de comprendre avec précision le contenu du livre.
À la suite de ces lectures, nous avons réalisé des entrevues individuelles qui nous ont permis de décrire les perceptions des participants quant à l’utilité de chacun de ces livres.
La collecte de données a eu lieu au printemps 2019. Nous nous sommes entretenus avec des élèves de la troisième et de la quatrième année scolarisés en immersion française en Saskatchewan. La Saskatchewan est un contexte intéressant, puisque le français y est particulièrement rare sur la scène sociale. C’est donc surtout à l’école que les élèves sont exposés à la langue française. »
Quelles sont les principales conclusions de votre étude?
« Les résultats montrent, entre autres, que les élèves perçoivent un plus grand nombre d’utilités que d’inutilités dans les livres bilingues. En fait, ils nous ont dit que les livres bilingues peuvent notamment les appuyer dans leur apprentissage du lexique en français, leur langue seconde.
Certains élèves soulignent aussi que la présence du français dans le livre peut les aider à développer des connaissances liées au lexique anglais.
De plus, les élèves ont été à même de proposer des manières d’intégrer cette littérature bilingue dans les classes d’immersion. À cet effet, certains mentionnent notamment qu’elle pourrait être employée pour proposer des lectures en dyades quand les élèves qui composent le duo ont des compétences différentes en français et en anglais. Selon eux, cette manière de procéder pourrait permettre une co-construction de sens où tous peuvent mettre à profit les connaissances qu’ils détiennent sur les langues en interaction. »
Vos résultats pourraient donc contribuer à changer certaines méthodes en classe...
« Oui, parce qu’en immersion, on privilégie fréquemment des pratiques d’enseignement monolingues, dans le cadre desquelles le français est la seule langue permise. Or, on reconnait de plus en plus que l’apprentissage d’une langue seconde s’opère à partir des langues que connaissent déjà les élèves ; dans cette optique, il peut être tout à fait pertinent de les amener à utiliser leur répertoire langagier pour s’approcher de la langue seconde.
Cette étude s’insère dans cette lignée en explorant les perceptions positives que les élèves détiennent vis-à-vis des livres de jeunesse bilingues. Ainsi contribue-t-elle à mettre en lumière la pertinence d’un outil d’enseignement peu connu et à reconnaitre la valeur du répertoire pluriel que détiennent les élèves du programme immersif. »
Est-ce qu’il y a d’autres informations que vous aimeriez partager?
« On pourrait croire qu’en lisant un livre bilingue, les élèves auraient tendance à lire exclusivement les passages dans la langue qu’ils connaissent le mieux. Or, nos données ne nous permettent nullement d’avancer cela. Pendant qu’ils lisaient, les élèves se penchaient autant sur le français que l’anglais. Les entrevues individuelles que nous avons analysées pour l’article confirment aussi que les élèves voient toute la pertinence d’avoir deux langues en interaction dans un même livre.
Certes, il est possible que les participants n’aient pas voulu admettre au chercheur qu’ils se concentreraient seulement sur la langue qu’ils connaissent le mieux s’ils avaient eu à lire le livre seuls – c’est ce qu’on appelle en recherche la désirabilité sociale. Cependant, pour le moment, rien ne nous permet, à partir de notre étude et de celles menées par d’autres chercheurs avant nous, d’affirmer qu’un jeune lecteur bilingue tendrait à lire surtout les passages dans la langue qu’il connait le mieux.
Il sera intéressant, à l’avenir, de réaliser d’autres recherches, et ce, dans différents environnements de lecture (en classe, à la bibliothèque, à la maison, etc.). Cela pourra compléter le travail que nous avons entamé en documentant plus finement comment les élèves s’engagent dans la lecture de livres bilingues. »
L’article « How do Elementary Students Perceive the Utility of Dual-Language Children’s Books? An Exploratory Study in French Immersion » (en anglais seulement) a été publié dans la revue Language and Literacy.
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Justine Boutet
Agente de relations médias
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