Dans un article publié dans le numéro de janvier de la revue Frontiers in Neuroendocrinology, une équipe de recherche de la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa conclut que les effets indésirables des contraceptifs oraux pourraient être attribués à l’âge du début de leur usage et au microbiome intestinal des femmes.
Nafissa Ismail, titulaire de la Chaire de recherche de l’Université sur le stress et la santé mentale, professeure titulaire à l’École de psychologie et directrice du laboratoire NISE (NeuroImmunologie, Stress et Endocrinologie) de l’Université d’Ottawa, nous a accordé une entrevue au sujet de cette étude.
Question : Quelle est la prévalence de l’usage de contraceptifs oraux?
Nafissa Ismail : « Les premiers contraceptifs oraux ont été commercialisés dans les années 1960. Ils comptent parmi les médicaments les plus utilisés chez les femmes; on estime qu’elles sont 100 millions à en prendre dans le monde. Ils contiennent habituellement des hormones synthétiques et sont souvent prescrits à des adolescentes à différentes fins, principalement la contraception et le traitement de l’acné et du syndrome prémenstruel. »
Q. : Quel était l’objet de cette étude?
N. I. : « On estime qu’environ 20 % d’utilisatrices de contraceptifs oraux éprouvent des effets indésirables sur l’humeur et la cognition, mais on n’en connaît pas la raison. On sait que ce n’est pas le cas de toutes les femmes et que les différences entre elles sont très marquées. La grande question, c’est de savoir si l’usage de contraceptifs oraux ou hormonaux peut nuire à la santé des jeunes filles. »
« La recherche sur la santé des femmes est négligée depuis trop longtemps et que nous devons impérativement nous attaquer aux nombreux problèmes de santé propres à la gent féminine. »
Nafissa Ismail
— Professeure titulaire à l’École de psychologie et directrice du laboratoire NISE
Q. : Toutes les femmes ne souffrent pas de dépression à cause des contraceptifs oraux. Avez-vous pu trouver ce qui la provoque chez certaines d’entre elles?
N. I. : « Nous avons constaté que l’âge du début de la prise de contraceptifs pourrait être un facteur déterminant. Les femmes qui ont commencé à la jeune adolescence seraient peut-être plus susceptibles de subir des effets indésirables sur l’humeur. Par ailleurs, sachant que les contraceptifs oraux passent par l’intestin, nous pensons que le microbiome intestinal jouerait un rôle important dans la dépression, car il peut en moduler les symptômes. »
Q. : Pourquoi le facteur de l’âge revêt-il une telle importance?
N. I. : « L’adolescence est une phase critique du développement durant laquelle s’active l’axe hypothalamique-pituitaire-gonadique, principal acteur du déclenchement de la puberté, qui est soumis à une maturation provoquant une augmentation de la production et de la libération d’hormones sexuelles stéroïdiennes (estradiol, progestérone et testostérone), qui à leur tour stimulent le développement des caractères sexuels secondaires et la maturation sexuelle. Le cerveau subit lui aussi une importante transformation structurelle et fonctionnelle durant cette période, sous l’influence des hormones sexuelles endogènes. Il est crucial d’étudier les effets des contraceptifs oraux sur le développement du cerveau des adolescentes, car l’axe intestins-cerveau pourrait être responsable de leurs effets indésirables. »
Q. : Que retenez-vous de l’étude?
N. I. : « Notre travail est essentiel, parce que la recherche sur la santé des femmes est négligée depuis trop longtemps et que nous devons impérativement nous attaquer aux nombreux problèmes de santé propres à la gent féminine. Nous ne savons pas encore s’il est risqué de prescrire des contraceptifs oraux aux jeunes filles, car de nombreux facteurs entrent en jeu. Cependant, nous espérons que ces informations aideront les femmes à prendre une décision éclairée. »
L’article « Combined oral contraceptives and mental health: Are adolescence and the gut-brain axis the missing links? », par Sarah Kheloui, Andra Smith et Nafissa Ismail, est publié dans la revue Frontiers in Neuroendocrinology. DOI : 10.1016/j.yfrne.2022.101041
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