Épidémie sur fond de pandémie : la violence conjugale au Canada dans les communautés immigrantes

Par Bernard Rizk

Conseiller, Relations de presse, uOttawa

Salle de presse
Faculté des sciences de la santé
Sciences infirmières
Épidémie sur fond de pandémie : la violence conjugale au Canada dans les communautés immigrantes
Photo: vecteezy.com
Au Canada, lors des épisodes de confinement pendant la COVID-19, une crise invisible a éclaté. Alors que la planète avait les yeux rivés sur le port du masque et la distanciation physique, les femmes immigrantes du pays devaient affronter un danger tout aussi grave : une montée en flèche de la violence conjugale.

Une revue narrative révélatrice publiée dans Women, sous la direction de la doctorante Manal Fseifes et la professeure Josephine B. Etowa, de l’École des sciences infirmières de l’Université d’Ottawa, lève le voile sur cette épidémie cachée. Les résultats dépeignent un sombre tableau du domicile transformé en prison pour beaucoup d’immigrantes pendant la pandémie.

« Il s’agissait d’un cocktail explosif, explique l'auteure principale Fseifes. Les mesures qui étaient justement censées protéger les gens de la COVID-19 – le confinement, la distanciation, la quarantaine – ont offert une occasion parfaite aux agresseurs de resserrer leur emprise. »

L’étude dévoile la cruelle ironie du sort : les femmes immigrantes, qui choisissent souvent le Canada pour être en sécurité et améliorer leur situation, se sont retrouvées prises dans un piège de violences sans issue. La barrière de la langue s’est transformée en véritables murs, le statut d’immigrante est devenu un boulet et la distanciation s’est mue, entre les mains des agresseurs, en une arme.

Alors que les refuges et les services d’aide juridique pour les victimes de violence conjugale peinaient à continuer leurs opérations pendant le confinement, les obstacles se sont multipliés pour les immigrantes. Pour beaucoup, il était difficile de trouver de l’aide dans un système étranger, où elles ne pouvaient communiquer leurs difficultés ni en français ni en anglais, quand elles ne craignaient pas que ce recours mette leur statut d’immigration en péril.

Les tendances révélées par les dernières études, scrutées à la loupe par l’équipe de recherche, ont de quoi inquiéter la population canadienne. La pandémie n’a pas seulement offert un contexte propice aux nouveaux cas de violence – elle a amplifié des tensions existantes, faisant éclater les agressions.

« Les restrictions ont accentué l’isolement social et diminué l’accès aux réseaux de soutien, offrant un terreau fertile à l’éclosion invisible de la violence conjugale », décrit Fseifes.

L’étude a été rédigée comme une invitation au changement. Les autrices réclament une refonte complète des mécanismes de soutien pour les immigrantes aux prises avec la violence conjugale. Elles souhaitent un système qui ne se limite pas à les accompagner, mais à le faire dans le respect et la connaissance des différences culturelles.

« On doit arrêter de voir les immigrantes comme des chiffres, clame Fseifes. Derrière chaque statistique, il y a des personnes prises entre les traumatismes de la violence et les obstacles d’un système qui n’est pas conçu pour les accueillir. »

Elle ajoute : « Notre revue incite les décisionnaires et le milieu de la santé à poser des gestes concrets pour contrer les iniquités structurelles qui rendent les immigrantes vulnérables et mettre de l’avant des stratégies qui améliorent leur sécurité et leur bien-être. »

« La violence conjugale vécue par les immigrantes est caractérisée par la multiplicité des facteurs de risque. Leur expérience est influencée par un mélange complexe de relations interpersonnelles, de bagage culturel et de structures sociales, des éléments qui jouent chacun un rôle important dans la particularité de leur situation », précise-t-elle.

Alors que le Canada émerge des tumultes de la COVID-19, cette revue met en lumière une crise qu’on ne peut régler par des vaccins ou des masques. Elle nécessite une nouvelle façon de faire, qui garantira à chaque femme de ne pas avoir à choisir entre la violence et l’isolement de déchiffrer seule un système intimidant.

« Nous devons collaborer pour éliminer les obstacles qui empêchent ces femmes de fuir la violence, ainsi que leur offrir les ressources et le soutien nécessaires non seulement à leur survie, mais à leur épanouissement », insiste Fseifes.

Le message est clair : si la pandémie s’éloigne dans le rétroviseur, ses effets continuent de faire boule de neige pour certaines des personnes les plus vulnérables de notre société. Il faut agir, et tout de suite.

Pour en savoir plus, consultez la revue narrative dans Women The COVID-19 Pandemic and Intimate Partner Violence (IPV) Among Immigrant Women in Canada