Grâce à sa proximité avec la nature et à son centre-ville animé, Ottawa accueille chaque année des milliers de personnes immigrées. Le caractère bilingue de la ville offre également l’occasion aux francophones de s’installer là où on parle leur langue maternelle. Jusqu’à quel point le paysage linguistique influence-t-il leur expérience dans leur pays d’adoption? C’est ce que Janaína Nazzari Gomes, lauréate de la bourse postdoctorale Arts sans frontières, cherche à comprendre.
Née au Brésil d’une mère francophile, Janaína a grandi au son des vieilles chansons françaises à la maison. En les écoutant attentivement, sans vraiment comprendre les paroles, elle a senti un intérêt pour la langue de Molière s’éveiller en elle. « Nous sommes presque 800 000 à parler français au Brésil. Le français a un espace dans l’imaginaire culturel du Brésil », précise-t-elle, ajoutant que cela vient d’une éducation élitiste. « Les gens qui ont eu l’accès à l’école ont touché au français ». C’est ainsi qu’elle a obtenu son premier diplôme universitaire en enseignement du français.
La boursière, dont la première langue est le portugais, s’inquiétait de la qualité de son français. « Je sentais que je n’avais pas le droit d’être considérée comme francophone et que mon niveau de français ne serait jamais aussi bon qu’un francophone natif. Je croyais que pour devenir une vraie francophone, je devais reproduire un accent franco-français. » C’est cette insécurité qui l’a amenée à étudier la linguistique. Dans ses travaux, elle se penche sur l’influence des différentes langues apprises sur la manière de parler français. « Par exemple, quand les hispanophones décident d’apprendre le français, le b et le v sont très similaires en espagnol, mais pas en français. Ça influence leur manière de prononcer certains mots, et au final, leur manière de parler français » explique-t-elle. « Quand quelqu’un apprend une langue, cet apprentissage est une expérience propre à l’individu profondément personnelle même si nous pouvons y retrouver des caractéristiques communes. S’en suit une appropriation de la langue, au-delà l’apprentissage linguistique. »
« En apprenant une nouvelle langue, on s’amène une nouvelle manière de voir le monde, de voir les choses, de dire le monde. »
Janaína Nazzari Gomes
L’importance de la diversité à la Faculté des arts est l’une des raisons qui ont poussé Janaína Nazzari Gomes à postuler la bourse Arts sans frontières. Cette diversité, qui s’exprime sur le plan culturel, mais aussi dans les points de vue, la pensée théorique et la démarche scientifique, est un facteur essentiel pour elle.
Le travail de recherche de la boursière est ancré dans son expérience personnelle en tant qu’immigrante. Quand des francophones arrivent au Canada, certains se rendent compte que le bilinguisme n’est pas une réalité dans toutes les villes ou dans tous les quartiers. « L’immigrant finit par façonner sa manière de s’établir au Canada autour du français ». Ce phénomène peut amener certaines personnes à limiter leurs activités quotidiennes à certains endroits, sachant qu’on y parle et qu’on y comprend le français.
Après avoir reçu la bourse, Nazzari Gomes a visité le campus de l’Université d’Ottawa. Elle a été heureuse de constater que le français y était bel et bien vivant : « Je suis venue au Canada pour m’épanouir en français, c’est important pour moi ». De voir autant de membres de la population étudiante sur le campus l’a également motivée après de longues années de pandémie. Elle s’enthousiasme de pouvoir se consacrer entièrement à sa recherche et de voir la voir progresser, estimant que les résultats de son travail, qu porte sur un enjeu concret, aideront sans doute ceux et celles qui prennent les décisions, de même que l’ensemble de la communauté francophone.
En écoutant Janaína Nazzari Gomes, on reconnaît certes que son français canadien est légèrement teinté de portugais, avec une pointe d’accent français. Cette mosaïque représente parfaitement son apprentissage de la langue, ses racines ainsi que son amour de la francophonie.