Une équipe internationale de scientifiques dirigée par l’Université d’Ottawa a mis le nez dans le garde-manger pour trouver la recette d’un état quantique combinant lumière et matière.
Le professeur Jean-Michel Ménard, directeur du Groupe de spectroscopie térahertz ultra-rapide de la Faculté des sciences, a collaboré avec Claudiu Genes, Ph.D., de l’Institut Max-Planck pour la science de la lumière (en Allemagne), et avec Iridian Spectral Technologies (à Ottawa) pour concevoir un appareil capable de modifier efficacement les propriétés de certaines matières grâce à une superposition quantique avec la lumière.
L’équipe a conçu un résonateur optique bidimensionnel, aussi appelé « métasurface », qui capture la lumière. À l’aide d’une technique de revêtement par pulvérisation, une fine couche de sucre a été déposée sur la métasurface pour induire une interaction forte entre la lumière et les molécules de glucose du sucre.
Grâce à ce concept, on se rapproche du moment où on pourra pleinement tirer profit des propriétés uniques des systèmes quantiques en état hybride, c’est-à-dire ceux qui sont composé à la fois de lumière et de matière.
Ksenia Dolgaleva et Robert Boyd, qui sont membres du corps professoral de la Faculté des sciences, ont participé aux travaux aux côtés du professeur Ménard, auteur principal, qui nous présente les résultats publiés dans la revue Nature Communications.
Question : Qu’est-ce que vous cherchiez à faire et qu’avez-vous découvert?
Jean-Michel Ménard : « Nous présentons une technique efficace et innovatrice pour synthétiser des matériaux organiques quantiques en combinant la lumière et la matière. Quand de la lumière infrarouge, de la bande de fréquences térahertz (THz), est capturée dans une matière organique, elle peut, soit-disant, fusionner avec les molécules. Ce nouvel état, qui est un produit de la physique quantique, a des caractéristiques uniques auxquelles on s’intéresse de plus en plus, car elles ont le potentiel de modifier les propriétés physiques et chimiques de la matière. Ces états fascinants ne surviennent que dans des conditions bien précises. Nos recherches ont permis d’identifier ces conditions critiques et créer un “piège à photons”, c’est-à-dire un appareil qui emprisonne efficacement la lumière dans un petit espace pendant une longue période. Ce piège permet l’établissement d’une interaction forte entre la lumière et un ensemble moléculaire. »
« Par le passé, on utilisait pour ce faire des cavités optiques créées par deux miroirs plats se faisant face. Nous avons conçu et mis à l’essai une nouvelle méthode qui emploie plutôt un résonateur plan bidimensionnel, ou métasurface. Cette métasurface rend possible le confinement optique dans une surface géométrique plane, ce qui ouvre de nouvelles voies pour explorer le régime quantique des interactions fortes entre la lumière et la matière.
« Enfin, nous avons combiné les métasurfaces avec des cavités qui avaient des géométries plus conventionnelles pour former des architectures de cavités hybrides, et nous avons observé un accroissement du niveau d’interaction entre la lumière et la matière. Pour obtenir ces résultats, nous avons utilisé le glucose, un composé organique possédant des propriétés utiles dans les domaines de la biologie et de la médecine. »
Q. Pourquoi utiliser le sucre et la lumière du spectre térahertz?
JM : « Les fréquences optiques térahertz sont particulièrement intéressantes parce qu’elles induisent des vibrations dans de nombreuses molécules, dont les molécules de glucose du sucre. L’énergie de la vibration des molécules est étroitement associée à leurs propriétés, et notamment à leur réactivité chimique avec d’autres molécules. Par conséquent, en concevant des plateformes permettant une forte interaction entre les ondes térahertz et la vibration des molécules (les constituants fondamentaux des substances organiques), nous pouvons changer les propriétés des matières organiques et ainsi peut-être un jour contrôler les mécanismes à la base de la vie. »
Q. Qu’avez-vous découvert grâce à vos recherches?
JM : « Nous avons trouvé des façons efficaces de combiner la lumière térahertz et la matière. Le concept le plus prometteur consiste à incorporer une surface métallique structurée, la métasurface, dans une cavité photonique. Il en résulte un double piégeage de la lumière, qui demeure efficacement emprisonnée dans l’appareil.
« Notre plateforme, à la fois robuste et très simple d’utilisation, permet l’insertion de nombreux matériaux organiques dans l’appareil pour créer des systèmes quantiques aux nouvelles propriétés. Cela est dû au fait qu’aucun calibrage précis de l’appareil n’est nécessaire durant l’expérience pour capturer la lumière, un aspect crucial du processus que rend possible la géométrie du motif métallique de la métasurface. Fait intéressant, comme la fabrication à large échelle de métasurfaces qui interagissent avec la lumière du spectre térahertz est facilement réalisable, nous pensons que ces appareils pourraient être utilisés très bientôt pour profiter de réactions chimiques améliorées par la technologie quantique. »
Q. Quel genre de répercussions pourrait avoir cette découverte?
JM : Cette découverte nous rapproche du moment où nous disposerons des moyens technologiques pour tirer profit de certaines propriétés uniques des systèmes quantiques hybrides, qui sont à la fois lumière et matière.
« En procédant à une étude théorique et expérimentale systématique des différents types de résonateurs photoniques, nous avons découvert de nouvelles façons d’obtenir la superposition quantique d’une matière moléculaire, le glucose, et de la lumière située dans une région particulière du spectre infrarouge lointain, qu’on appelle la bande térahertz. Les recherches antérieures ont montré que ce processus d’hybridation, lorsqu’il fait appel à la lumière térahertz, modifie les propriétés physiques et chimiques d’une matière donnée. Par exemple, la présence d’un résonateur photonique térahertz peut influencer certaines des réactions chimiques de cette matière.
« Dans l’avenir, nous pensons que notre approche pourrait aider à réguler certains processus moléculaires et ainsi mener à des applications médicales pour notamment accélérer les diagnostics et permettre de nouveaux types de traitements.
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