« Mon hypothèse, c’est que les relations entre les Autochtones et les minières sont étroitement liées à leur capacité d’exercer leur droit à l’autodétermination. »
– Karine Vanthuyne
À San Miguel Ixtahuacán, au Guatemala, la mine d’or et d’argent Marlin est une source intarissable de conflits. Une bonne partie de la population locale, majoritairement autochtone (Maya-Mam), s’oppose sans relâche au projet depuis son ouverture en 2005, dénonçant ses impacts environnementaux et sociaux.
À des milliers de kilomètres de là, sur la rive est de la baie James dans le Nord québécois, l’inauguration en juillet 2015 de la mine Eléonore s’est faite en grande pompe, avec l’appui presque unanime de la Nation crie de Wemindji.
De ces complexes miniers, tous deux exploités par la canadienne Goldcorp, l’un est devenu symbole de la lutte autochtone contre l’exploitation minière; l’autre, à l’inverse, est cité comme modèle d’entente et de collaboration avec les Premières Nations.
Pourquoi ces deux tableaux, si différents? Quels sont les facteurs qui déterminent le degré d’implication des Autochtones dans des projets d’extraction minière sur leurs territoires?
C’est à ces questions que Karine Vanthuyne, professeure d’anthropologie à l’Université d’Ottawa, tente de répondre, elle qui navigue depuis plusieurs années entre le Guatemala et le Nord du Québec. Avec une mère française, un père belge et un passeport canadien, la chercheuse fait fi des frontières et se plaît à tisser des liens entre ses diverses expériences de terrain.
« Il y a des parallèles intéressants. À la demande du chef de la communauté de Wemindji, en 2011, j’ai initié une série d’échanges entre les Cris et les leaders du mouvement d’opposition aux mines de San Miguel, qui a abouti à la venue d’une délégation guatémaltèque à Wemindji en octobre dernier », explique-t-elle.
Elle s’apprête à multiplier les voyages entre les deux communautés pour comparer leurs expériences. « Au Guatemala, il existe une longue histoire de violence structurelle et symbolique envers un peuple colonisé. Je veux comprendre ce qui s’est passé dans cette localité en particulier, et comment cela module la réaction à la mine », ajoute l’ethnologue, qui a reçu une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines pour cette étude comparative. « Mon hypothèse, c’est que les relations entre les Autochtones et les minières sont étroitement liées à leur capacité d’exercer leur droit à l’autodétermination », indique-t-elle.
Autodétermination, décolonisation, identité des Autochtones : ces thèmes jalonnent depuis toujours la recherche de Karine Vanthuyne, qui s’est intéressée initialement aux processus de sorties de conflit au Guatemala, pays meurtri par des années de conflit armé interne. Après avoir subi des persécutions et des expropriations massives (qualifiées par la suite de génocide), les Autochtones guatémaltèques, dont beaucoup s’étaient exilés au Mexique, ont commencé en 1996 à rentrer au pays, sous l’œil d’observateurs des droits de la personne.
« Au début de mes études universitaires, je sentais que je devais faire du terrain. Je suis donc partie au Guatemala pour être observatrice internationale et accompagner les retours collectifs des réfugiés mayas », raconte-t-elle. Cette expérience l’a confortée dans son désir de devenir anthropologue. « J’ai été séduite et émue par les gens que j’ai rencontrés. J’admirais leur engagement, leur dévouement à la lutte, leur courage et leur humour », se souvient-elle.
Depuis, elle n’a cessé de s’intéresser aux politiques de réparation et de réconciliation. Ce qui l’a naturellement menée, en 2009, à se pencher sur le cas des Autochtones canadiens, alors que s’ouvrait la Commission de vérité et réconciliation. « J’ai fait un projet de recherche sur la mémoire des pensionnats chez les Cris de Wemindji. C’était difficile, on touchait une corde sensible et les gens parlaient peu. La question des mines a surgi quand j’ai interviewé le chef de l’époque, qui était au courant de mes travaux au Guatemala », précise-t-elle. Mettant un point d’honneur à s’intéresser à ce qui préoccupe réellement les gens sur le terrain, la chercheuse se lance donc dans un nouveau projet.
« J’avais beaucoup appris en faisant ma recherche sur les pensionnats, notamment sur la trajectoire de colonisation des Cris. Je m’intéresse maintenant au lien entre leur rapport aux mines et leurs mémoires de la colonisation, et à ce que l’autodétermination veut dire pour eux », poursuit-elle.
Sa méthode? Elle repose sur une recherche ethnographique de type collaboratif, à laquelle participent pleinement les communautés autochtones. « C’est important d’impliquer les acteurs concernés très tôt dans le processus pour qu’ils s’approprient les données, souligne-t-elle. Je prévois organiser des groupes de discussion avec les communautés, avec la société Goldcorp si elle accepte, ainsi qu’avec des responsables politiques au Guatemala et au Canada pour m’assurer de rester proche de leur réalité ». Fidèle à son rôle d’observatrice, elle ne se donne pas pour objectif de faciliter les relations entre les compagnies minières et les Autochtones. Mais ses recherches permettront sûrement, à terme, de renforcer les capacités d’autodétermination des Autochtones dans les contextes d’exploitation minière.