Une nouvelle étude révèle le lien fascinant entre le climat et les capacités autorégénératives de la Terre

Média
Salle de presse
Modèle d’un radiolaire
Modèle d’un radiolaire, Musée d’histoire naturelle Smithsonian. Photo : Victoria Pickering – License CC sur Flicker.
Un indice : chaque micro-organisme joue un rôle primordial dans notre survie.

Il y a 250 millions d’années environ, bien avant le règne des dinosaures, une succession d’éruptions volcaniques dans les trapps de Sibérie ont provoqué un réchauffement du climat et une acidification des océans. Plus de 95 % de la vie marine et de 70 % de la vie terrestre ont été décimées dans l’extinction de masse qui s’en est suivie, appelée extinction Permien-Trias.

Puis, dame Nature a opéré sa magie : elle s’est autorégénérée. Mais pourquoi lui aura-t-il fallu tant de temps pour y arriver?

C’est la question à laquelle s’est consacrée pendant six ans une équipe de recherche internationale menée par la professeure Xiao-Ming Liu (Département des sciences de la Terre, de la mer et de l’environnement, Université de la Caroline du Nord), son étudiante au doctorat Cheng Cao (aujourd’hui chercheuse-boursière à l’Université de Nanjing) et son ancien chercheur postdoctoral Clément P. Bataille (aujourd’hui professeur agrégé en sciences de la Terre et de l’environnement à l’Université d’Ottawa). L’étude de cette équipe paraît aujourd’hui dans la revue scientifique Nature Geosciences.

Un minuscule organisme, un grand rôle à jouer

Les recherches de l’équipe témoignent du lien fascinant entre la vie, le climat et la capacité de la Terre à s’autorégénérer. Elles expliquent aussi comment la disparition d’un simple micro-organisme (les radiolaires, un ensemble de minuscules organismes marins) aura contribué à faire de notre planète un milieu quasi inhabitable pendant des millions d’années.

Le principal message que l’équipe dégage de ces recherches, c’est que chaque organisme sur Terre a un rôle essentiel à jouer dans la régulation des cycles biogéochimiques, en dépit parfois des apparences. Par conséquent, nous devrions toutes et tous contribuer à préserver notre environnement.

Pour en savoir plus sur cette étude et son impact, nous nous sommes entretenus avec le professeur Bataille.

Professeur Bataille, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre découverte?
Clément Bataille : Nous présentons une solution qui expliquerait pourquoi la vie a mis tant de temps à reprendre après l’extinction de masse la plus dévastatrice de notre histoire, l’extinction Permien-Trias. Occasionné par de méga-éruptions volcaniques dans les trapps de Sibérie, cet épisode s’est traduit par un réchauffement planétaire et une acidification des océans qui, ultimement, ont mené à l’élimination de plus de 95 % des espèces marines et de 70 % des organismes terrestres. Les scientifiques cherchent depuis des dizaines d’années à expliquer l’absence de régénérescence après cet événement et la persistance des conditions inhospitalières sur Terre. Les mécanismes de régulation observés après d’autres extinctions de masse, comme l’altération chimique, ne semblaient pas avoir réussi à rétablir des conditions propices à la vie après l’extinction permienne. Il aura fallu attendre jusqu’au début du Trias, plus de cinq millions d’années après la vague d’activité volcanique dans les trapps de Sibérie, pour que notre habitat renaisse de ses cendres. Ce que nous avons démontré, c’est que cette longue reprise peut s’expliquer par une accélération de l’altération inverse dans les océans, un phénomène exacerbé par la disparition de minuscules organismes appelés radiolaires. Mal étudié jusqu’ici, ce mécanisme aurait préservé le climat de serre et l’acidité des océans pendant des millions d’années. La vie ne pouvait donc pas reprendre. Ce n’est qu’après la réapparition des radiolaires, plusieurs millions d’années plus tard, que l’atmosphère est réellement redevenue habitable.

Clément P. Bataille

« Il aura fallu attendre cinq millions d’années pour que notre habitat renaisse de ses cendres. Cette longue reprise peut s’expliquer par une accélération de l’altération inverse dans les océans. »

Clément P. Bataille

— Professeur agrégé en sciences de la Terre et de l’environnement à la Faculté de science

Où avez-vous effectué vos recherches et sur combien de temps l’étude s’est-elle déroulée?
C.B. : La recherche s’est déroulée de 2016 à 2022. Ma collègue Cheng Cao et moi avons réalisé la plupart des analyses de 2016 à 2019 au laboratoire de la professeure Xiao-Ming Liu, au Département des sciences de la Terre, de la mer et de l’environnement à l’Université de la Caroline du Nord. Cheng Cao a aussi travaillé à la modélisation de 2018 à 2020. Notre équipe a ensuite produit diverses versions de l’article en 2020 et 2021. Nos résultats nous ont tellement pris de court que nous avons mis plusieurs années à défendre adéquatement notre hypothèse.

En somme, qu’avez-vous découvert? Qu’êtes-vous parvenu à expliquer que nous ne savions ou ne comprenions pas déjà?
C.B. : Survenue il y a 251,9 millions d’années, l’extinction Permien-Trias est le plus dévastateur des événements du genre à s’être produits sur Terre. La grande majorité des espèces marines et terrestres ont très rapidement disparu. Cette période a été provoquée par le volcanisme massif des trapps de Sibérie et l’immense quantité de gaz à effet de serre qui s’en est dégagée. Le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a augmenté, tout comme la température, et les océans se sont acidifiés. Mais contrairement aux autres extinctions de masse où la vie s’est vite régénérée et rediversifiée, il a fallu plus de cinq millions d’années après l’extinction permienne avant que notre climat ne redevienne vivable. Entre-temps, les températures élevées et le fort taux d’acidité dans les océans, d’ailleurs régulièrement en proie à des événements anoxiques, se sont maintenus. Les scientifiques ne parvenaient pas à cerner pourquoi ces conditions persistaient, surtout que les activités volcaniques en cause ont pris fin après quelques centaines de milliers d’années. En règle générale, quand les émissions cessent, notre planète dispose d’un mécanisme d’altération chimique qui lui permet de réinstaurer un climat plus habitable. Le terme « altération chimique » désigne toutes les réactions qui transforment les roches à la surface de la Terre. En se transformant, ces roches émettent du calcium qui, lorsqu’il est acheminé vers l’océan, peut se lier au dioxyde de carbone pour former des carbonates. C’est ce processus qui permet à la Terre de contrôler son climat : quand notre planète se réchauffe, l’altération s’accélère et plus de carbonate se rend à l’océan. Le dioxyde de carbone dans l’atmosphère finit par se dissiper, et le climat, par se refroidir. Mais malgré des indices dénotant une plus forte altération chimique au début du Trias, ce mécanisme n’a pas suffi à ramener des conditions propices à la vie : le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère s’est maintenu, le climat est demeuré insoutenable et l’acidité des océans ne s’est pas corrigée. Dans notre étude, nous sommes parvenus à réconcilier ces observations contradictoires pour expliquer cet épisode où la vie sur Terre a frôlé l’extinction totale.

Comment avez-vous conduit vos recherches?
C.B. : Dans cette étude, nous avons utilisé des extraits de carbonates marins datant du Permien et du Trias précoce pour reconstruire les isotopes du lithium contenus dans les océans à cette époque. Les isotopes, ce sont les différentes formes d’un même élément qu’on trouve dans la nature. La proportion d’isotopes détectée dans un substrat nous renseigne sur les phénomènes qui touchent notre planète. Les roches carbonatées précipitant directement dans l’océan, elles peuvent nous donner un aperçu de la composition isotopique de celui-ci au moment de leur formation. Nous avions initialement prévu d’utiliser des isotopes du lithium pour comprendre les processus d’altération chimique survenus sur la surface terrestre pendant le Permien-Trias. On sait que la composition isotopique du lithium dans l’océan réagit aux altérations chimiques sur la terre en raison d’un phénomène connexe appelé « discrimination isotopique ». Or, lors de notre analyse des carbonates datant de cette époque, nous avons constaté que la composition isotopique du lithium dans les océans s’était radicalement amoindrie tout juste avant l’épisode d’extinction, pour ensuite demeurer à un niveau extrêmement faible tout au long du Trias précoce. Nous nous sommes d’abord assurés que nos données étaient fiables, que nous observions bien l’authentique composition isotopique du Permien et du Trias. L’altération chimique à la surface terrestre ne parvenait pas à elle seule à expliquer ce phénomène dans les océans. Une autre variable était forcément entrée en jeu. Nous nous sommes donc intéressés à un autre mécanisme beaucoup moins connu, l’altération inverse, qui peut fortement influencer la composition isotopique du lithium dans les océans. L’altération inverse fait référence à la formation d’argile dans les fonds océaniques, attribuable à la précipitation de silice et d’autres cations dissous dans l’eau de mer. Or, pour expliquer un tel degré d’altération inverse, il fallait nécessairement que de la silice soluble se trouve en surabondance dans la mer. Cette substance ne se trouve qu’en très faibles concentrations dans les océans qu’on connaît aujourd’hui, car les diatomées, de tout petits organismes, l’utilisent presque en entier pour fabriquer leur coque. L’altération inverse est ainsi fortement limitée dans les fonds océaniques. Mais ce que nous avons remarqué, c’est qu’à la fin du Permien, ces micro-organismes ont disparu. La concentration de silice dissoute dans l’océan a alors augmenté rapidement, et il n’y avait plus rien pour prévenir la formation d’immenses quantités d’argile dans les grands fonds marins (ce qui a ainsi fait grimper le taux d’altération inverse). Notons que l’altération inverse ne fait pas que consommer de la silice : elle émet aussi du dioxyde de carbone. Par conséquent, le taux de dioxyde de carbone s’est accru dans l’atmosphère; le climat est demeuré trop chaud et l’acidification des océans s’est poursuivie bien après que les volcans des trapps de Sibérie se sont rendormis. Et comme les diatomées n’ont fait leur réapparition que quelque cinq millions d’années plus tard, la Terre est demeurée quasi inhabitable pendant cette période. Ce qui est intéressant, c’est que ce phénomène aurait pu se produire même en présence d’une forte altération chimique sur la surface terrestre, d’où le paradoxe entre le taux élevé d’altération chimique et le climat de serre qui caractérise le début du Trias. Et donc, comme de vastes quantités de dioxyde de carbone ont continué d’être émises pendant cette période, la Terre n’est pas parvenue à réguler son atmosphère.

Cheng Cao travaillant dans le laboratoire PMS de l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill.
Cheng Cao travaillant dans le laboratoire PMS de l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill.

Avez-vous quelque chose à ajouter?
C.B. : Notre étude témoigne du lien fascinant entre la vie, le climat et l’habitabilité de la Terre. L’extinction d’un seul et unique groupe de micro-organismes dans l’océan, les radiolaires, a contribué à faire de notre planète un milieu hostile pendant des millions d’années. Notre société aurait tout intérêt à en dégager une précieuse leçon. Les êtres humains contribuent en ce moment même à provoquer la sixième extinction de masse. On assiste à la disparition de mammifères terrestres bien connus, mais il y en a aussi des centaines d’autres qui s’évanouissent sans qu’on les remarque. Il faut se rappeler que chaque organisme peut jouer un rôle insoupçonné mais essentiel dans la régulation des cycles biogéochimiques. Voilà qui devrait nous inciter à agir pour conserver cette magnifique planète que nous habitons.

Demandes des médias :
Isabelle Mailloux
Gestionnaire des relations avec les médias, Université d’Ottawa 
[email protected]