Les horreurs de l’Holocauste, notamment les crimes contre l’humanité et les campagnes d’extermination de masse qui ont tué six millions de personnes juives, sans parler de millions d’autres personnes, pendant la Deuxième Guerre mondiale ont été analysées en détail dans un grand nombre d’études scientifiques, de livres, de films et d’autres travaux au fil des décennies.
L’un des aspects de l’extrême cruauté, et de l’extrême souffrance, de cette époque maudite n’a toutefois jamais été examiné de près, à savoir que 98 % des femmes emprisonnées dans les camps de la mort ont cessé d’avoir leurs règles – une condition médicale appelée aménorrhée – peu après leur arrivée.
Dans un article publié dans la revue Social Science & Medicine, l’auteure principale, la professeure Peggy J. Kleinplatz de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, y avance que la cessation soudaine des menstruations chez les femmes juives détenues dans les camps de concentration était trop uniforme pour être attribuable uniquement aux traumatismes et à la malnutrition, contrairement aux conclusions qui prévalent depuis la fin des années 1940 (et n’ont jamais été remises en question jusqu’à maintenant).
Ses recherches, fondées sur des preuves historiques et des témoignages de personnes ayant survécu à l’Holocauste, proposent une autre théorie selon laquelle les rations de nourriture quotidiennes des prisonnières contenaient des stéroïdes synthétiques destinés à interrompre leur cycle menstruel, et à les empêcher par le fait même d’avoir des enfants.
« Lors d’autres terribles atrocités de masse au cours de l’histoire, cette apparition soudaine d’aménorrhée ne s’est pas produite ou s’est produite lentement en combinaison avec la famine et le traumatisme sur une période de 12 à 18 mois », explique la Dre Kleinplatz, professeure titulaire à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa.
« Ma question était donc la suivante : Que faisait-on précisément aux femmes dans les camps de la mort pour entraîner une aménorrhée immédiate qui ne pouvait s’expliquer que par des hypothèses de traumatisme, ou de malnutrition, ou les deux ? C’est à ce moment que j’ai commencé à effectuer mes recherches pour établir s’il y avait eu ou non une tentative délibérée de provoquer la cessation des menstruations chez ces juives. »
« Ma question était donc la suivante : Que faisait-on précisément aux femmes dans les camps de la mort pour entraîner une aménorrhée immédiate qui ne pouvait s’expliquer que par des hypothèses de... »
La professeure Peggy J. Kleinplatz
— Professeure titulaire à la Faculté de médecine et professeure en éducation
Les preuves de la théorie proposée par la Dre Kleinplatz et son co-auteur Paul Weindling, historien et professeur à l’Université Oxford-Brookes, sont soutenues par des entretiens avec des survivantes de l’Holocauste de partout à travers le monde. De 2018 à 2021, la Dre Kleinplatz a mené des entrevues avec des survivantes dans quatre langues : le yiddish, l’hébreu, l’anglais et le français. Dans le cadre de cette démarche, 93 témoignages ont été recueillis auprès de survivantes, dont l’âge moyen était de 92,5 ans, ou de leurs enfants qui pouvaient fournir des antécédents de reproduction complets au nom des survivantes.
Les survivantes de l’Holocauste ont rapporté à la Dre Kleinplatz qu’elles soupçonnaient que quelque chose ajouté à leurs rations alimentaires avait entraîné la cessation soudaine de leurs menstruations dans les camps.
Une femme, qui a travaillé dans la cuisine du camp d’Auschwitz pendant plusieurs mois alors qu’elle était adolescente, a même décrit des sachets de produits chimiques livrés chaque jour sous surveillance de gardes armés puis dissous dans des soupes nauséabondes servies aux femmes captives pour « éviter que celles-ci aient leurs règles ». Ce récit de rations contaminées est corroboré par les conclusions d’un rapport publié en 1969 après avoir interrogé les cuisiniers du camp d’Auschwitz, le plus célèbre des camps de la mort nazis.
Il y a eu un impact à long terme pour les survivantes. Presque toutes les femmes interrogées (98 % d’entre elles) ont été incapables de concevoir ou de porter à terme le nombre d’enfants qu’elles souhaitaient. Les résultats indiquent que sur 197 grossesses confirmées, au moins 48 (24,4 %) ont abouti à des fausses couches, 13 (6,6 %) en mortinaissances et 136 (69,0 %) en naissances vivantes.
« Les taux d’infertilité primaire, d’infertilité secondaire, de fausse couche et de mortinaissance étaient anormalement élevés et ne correspondaient pas aux taux dans la population générale, ni même dans la population générale des Juifs pendant ces années de baby-boom », explique la Dre Kleinplatz.
La Dre Kleinplatz rapporte que les stéroïdes sexuels, qui auraient produit une aménorrhée immédiate, existaient en abondance en Allemagne pendant la période de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas un fait bien connu. À l’opposé, la Food and Drug Administration des États-Unis n’a approuvé une pilule contraceptive hormonale qu’en 1960.
L’étude rapporte que les stéroïdes sexuels exogènes, qui provoquent une cessation immédiate des menstruations, ont été synthétisés et fabriqués pour la première fois à Berlin en 1933 et étaient disponibles comme médicaments en vente libre pour le traitement de l’infertilité en Allemagne. Adolf Butenandt, un pharmacologue et chimiste allemand, a reçu un prix Nobel en chimie dans les années 1930 pour sa collaboration à la création de stéroïdes sexuels synthétiques.
Les chercheurs rapportent qu’ils ont obtenu des preuves que de grandes quantités de stéroïdes sexuels avaient été produites par les usines allemandes au cours de la période entre 1943 et 1945, prétendument pour traiter l’infertilité. « Cependant, ces grandes quantités de stéroïdes sexuels auraient dépassé considérablement les besoins des femmes allemandes à la recherche d’un traitement de l’infertilité. Il semble étonnant que la fabrication de grandes quantités d’hormones exogènes ait été considérée comme une priorité pendant les pénuries en temps de guerre alors qu’il est clair que leur but présumé aurait facilement pu être rempli avec des quantités beaucoup plus petites », rapporte l’étude.
Les preuves au procès pour crimes de guerre de Nuremberg il y a plus d’un demi-siècle ont démontré que les nazis cherchaient des méthodes de stérilisation de masse des Juifs. Et il fut démontré que les dirigeants nazis avaient ordonné aux responsables du plan de « stérilisation des Juifs » de cesser de tenir des registres écrits.
Après près de 75 ans et plus de 10 000 témoignages de survivants de l’Holocauste dans divers projets d’histoire orale, il aura fallu la Dre Kleinplatz et son co-auteur pour tirer des conclusions et fournir un nouvel examen de cette facette cachée de l’histoire.
Alors que s’efface d’année en année la mémoire vivante de l’Holocauste, la Dre Kleinplatz exhorte d’autres chercheurs à pousser les recherches un peu plus loin.
« Nous faisons face à un plus grand nombre de questions que de réponses », a-t-elle écrit dans les conclusions de l’étude. « Il incombe aux chercheurs en médecine, aux autres scientifiques et aux historiens de poursuivre la recherche pour obtenir les réponses que méritent chacune des femmes interrogées dans cette étude. »
On peut lire l’article en question dans le numéro de septembre de Social Science & Medicine.
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