Ce que l'histoire peut nous apprendre sur la COVID-19 et les pandémies à venir

Par Université d'Ottawa

Cabinet du vice-recteur à la recherche et à l'innovation, CVRRI

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Des travailleuses de la Croix-Rouge fabriquent des masques de protection contre la grippe pour les soldats en 1918. Boston, Massachusetts. Crédit : National Archives, 165-WW-269B-26
D’un point de vue historique, plusieurs experts de l’Université d’Ottawa s’accordent à dire que l’émergence d’une pandémie mondiale comme celle de la COVID-19 n’aurait rien de surprenant. Revisiter les pandémies antérieures permettrait d’ailleurs d’apporter un véritable éclairage sur la crise actuelle et ses possibles conséquences.

« Sans suivre un calendrier particulier, les pandémies tendent à se produire environ tous les 40 ans », explique la professeure Tracey O’Sullivan, de l’École interdisciplinaire des sciences de la santé. « Lorsqu’elle est survenue en 2009, la grippe H1N1 était en retard sur l’échéance, mais dix ans plus tard, nous voilà face à une autre pandémie. »

Robert Smith? (le point d’interrogation fait partie de son nom), professeur de mathématiques spécialisé dans la modélisation des maladies infectieuses, prédit quant à lui que « nous aurons à faire face à plusieurs vagues de COVID-19, ce qui impliquera de nombreuses périodes de confinement. »

La professeure Susan Lamb, titulaire de la chaire Jason A. Hannah en histoire de la médecine, affirme que la réponse des humains a toujours été dictée par la peur et l’irrationnel face à une épidémie mortelle qui semble inexplicable et incontrôlable. « Cela conduit souvent à une modification brusque des normes sociales, par exemple l’isolement volontaire ou l’accumulation des ressources, ainsi qu’au rejet de la responsabilité du fléau sur un groupe social ou ethnique en particulier. »

Ce constat inquiétant, mais fondé sur des données probantes, indique que les peuples du monde entier doivent continuer à améliorer leur réponse aux prochaines épidémies.

La grippe « espagnole » de 1918

La grippe « espagnole » était la première véritable pandémie des temps modernes, et on a eu la preuve terrifiante qu’il n’y avait plus de séparation entre les différentes populations du monde au début du XXe siècle , affirme la professeure Lamb.

Entre 1880 et 1918, il y a eu une explosion de l’immigration et du commerce international transatlantique. La connexion mondiale, accélérée par les événements liés à la Première Guerre mondiale et au déploiement d’un grand nombre de troupes à travers le monde, avait commencé. « Comme pour annoncer les conséquences de ces changements et déplacements massifs sur la santé humaine, l’année 1918 a apporté la pandémie la plus contagieuse de l’histoire de l’humanité », explique-t-elle. Une vague de grippe a déferlé sur le monde et infecté plus de 500 millions de personnes. « Nous estimons qu’elle a tué entre 20 et 50 millions de personnes en moins de deux ans. »

Cette maladie a tué plus de personnes que la guerre, qui n’était d’ailleurs pas terminée, ajoute la professeure Lamb. La maladie avait déjà fait le tour du monde à deux reprises quand l’Espagne a reconnu qu’on y avait enregistré des milliers de cas et de décès. « L’Espagne, qui ne participait pas à la guerre, pouvait se permettre de révéler l’état de la crise sur son territoire, ce qui n’était pas le cas des nations belligérantes. » Son rôle était donc d’alerter le reste du monde de l’ampleur du problème. « C’est ainsi que la maladie a été nommée à tort “grippe espagnole” ».

Trois portent des masques chirurgicaux
En 1918, le port en public de masques chirurgicaux est devenu monnaie courante, car la population craignait un tueur qu'elle ne pouvait voir. Crédit : Bibliothèque et Archive Canada, RPA-025025

Un certain nombre de mesures ont été prises pour tenter de contenir la pandémie. « Les rassemblements publics ont été interdits, les écoles, églises, théâtres et commerces ont été fermés pour une période indéterminée et les gens portaient des masques, mais ces mesures n’ont pas arrêté la maladie », explique la spécialiste en histoire de la médecine. « Chaque jour, il y avait de nouveaux cas et plus de décès. » Les bactériologistes ont travaillé frénétiquement pour isoler l’agent pathogène et trouver un antidote, en vain.

La grippe de 1918, l’épidémie la plus meurtrière depuis la peste du XIVe siècle, a mystérieusement disparu en deux ans. « La crise a contribué à mettre fin à la Première Guerre mondiale et à faire ressortir la nécessité d’une coopération mondiale. Après la guerre, la Société des Nations a été formée, ainsi qu’une subdivision appelée Organisation de la Santé de la Société des Nations, qui allait devenir l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) après la Seconde Guerre mondiale. »

Leçons tirées de l’épidémie du SRAS

Moins d’un siècle après la pandémie de la grippe, une autre épidémie mondiale a fait surface : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Selon le professeur Smith?, cette épidémie était, à bien des égards, une maladie facile à éradiquer. « Nous avons contré le SRAS rapidement et efficacement », a-t-il déclaré. « La recherche des contacts a été mise en œuvre dès le début, et le système hospitalier s’est adapté pour isoler les cas de SRAS, afin de réduire les infections croisées. »

Dans un article publié à la fin de 2019 dans l’American Journal of Biomedical Science & Research, le professeur Smith? a indiqué que « les modèles mathématiques s’inspirent déjà du cas du SRAS pour établir des stratégies d’intervention efficaces. » Ces modèles mathématiques démontrent qu’il est « nécessaire d’avoir recours à plus d’une stratégie, que la fermeture des écoles, la recherche des contacts et la quarantaine sont des mesures efficaces, et que le délai entre l’apparition des symptômes et l’hospitalisation est critique et peut être réduit quand les agents de santé et le public sont vigilants. »

La COVID-19 et ses répercussions

Bien que les taux d’infection et de mortalité de la pandémie de COVID-19 soient encore loin de ceux de la pandémie de grippe de 1918, ils sont déjà beaucoup plus élevés que ceux du SRAS. Que nous réserve donc l’avenir ?

Une femme tenant un cellulaire porte un masque chirurgical.
La COVID-19 est la première pandémie mondiale de l’ère numérique où les politiques de santé publique s’appuient sur la connexion virtuelle pour maintenir la distanciation physique.

Chad Gaffield, professeur éminent d’histoire, note que les répercussions de la COVID-19 sur les sociétés du monde « illustrent le potentiel pédagogique des expériences passées, que ce soit en termes de préparation rigoureuse (par exemple, le stockage avisé de masques et d’équipements pour les hôpitaux), de mesures immédiates (notamment, le dépistage intensif et la recherche de contacts), ou d’autres stratégies efficaces comme la gestion coordonnée. »

Il s’agit de la première pandémie mondiale de l’ère numérique où les politiques de santé publique s’appuient sur la connexion virtuelle pour maintenir la distanciation physique. Le professeur Gaffield craint que « les répercussions historiques des pandémies sur les sociétés, qui tendent à augmenter la fracture sociale, ne s’aggravent si on ne porte pas une attention spéciale aux inégalités numériques dans la lutte contre la COVID-19 ».

À l’automne 2020, la professeure Lamb donnera un cours intitulé History of Global Health and Disease (Histoire mondiale de la santé et des maladies). Elle note que « non seulement les connaissances historiques sur les épidémies antérieures nous dictent-elles de porter notre attention sur le potentiel nocif de tout nouveau virus, mais elles nous encouragent également à réfléchir sur nos réactions émotionnelles et comportementales (nobles et méprisables), à l’instar de nos ancêtres. »

Lorsque la COVID-19 ne fera plus les manchettes, « il sera important que les gens, en particulier les employeurs et les décideurs, se rappellent que des systèmes sociaux perturbés à ce point ne se rétablissent pas dans l’immédiat », conclut la professeure Tracey O’Sullivan. « Les travailleurs de première ligne, par exemple, risquent d’être surmenés et auront besoin de temps pour récupérer. »