C’est une perte colossale : en moyenne, moins du tiers de l’énergie produite par le moteur des automobiles sert à faire tourner les roues. Le reste est dissipé sous forme de chaleur, notamment par les gaz d’échappement. Et c’est la même chose dans la plupart des usages industriels ou domestiques. On estime que de 50 à 70 % de l’énergie primaire utilisée à l’échelle de la planète se perd dans l’environnement sous forme de chaleur.
Pourrait-on tirer profit de cette ressource sous-exploitée et limiter le gâchis? C’est ce qu’espère Raphael St-Gelais, professeur au Département de génie mécanique, dont le laboratoire a reçu une subvention du Fonds Nouvelles frontières en recherche en juin dernier.
Le principe du projet est simple : il s’agit de convertir le rayonnement thermique – la chaleur – directement en électricité, grâce à un dispositif « thermophotovoltaïque ». Plutôt que de capter la lumière du soleil, les cellules photovoltaïques récupèrent dans ce cas le rayonnement infrarouge émis par un objet chaud pour produire un courant électrique.
Mais pour y parvenir de façon efficace, les scientifiques doivent placer la source chaude très proche du capteur photovoltaïque. Plus précisément à moins de 100 nanomètres! Ce qui, pour donner une référence d’actualité, équivaut au diamètre d’un coronavirus…
« À cette distance, il y a des phénomènes qui amplifient le transfert d’énergie », explique Raphael St-Gelais. Cette amplification peut même atteindre un facteur 1000 par rapport à ce qui se passerait à plus grande échelle. Il faut dire que, dans l’infiniment petit, certaines lois classiques de la physique ne s’appliquent plus et que d’étonnantes propriétés émergent.
« Ce mécanisme de transfert de chaleur dit “en champ proche” n’a été observé que très récemment. C’est un domaine de recherche en pleine explosion! Maintenant qu’on sait que le phénomène existe, notre but est de montrer qu’on peut obtenir une bonne efficacité de conversion », poursuit le chercheur. Pour mener à bien cette démonstration, il s’est entouré de Karin Hinzer, vice-doyenne à la recherche de la Faculté de génie et spécialiste des piles solaires, qui tentera de mettre au point des cellules photovoltaïques optimisées pour ces longueurs d’onde, et d’Alejandro W. Rodriguez, spécialiste des systèmes de simulation des rayonnements à l’Université Princeton, au New Jersey, qui apportera un soutien théorique.
Raphael St-Gelais, lui, s’attèlera à la conception du prototype. « Cela a l’air simple, mais maintenir deux objets à quelques nanomètres de distance sans le moindre contact, c’est tout un défi », indique-t-il.
L’équipe souhaite mettre au point des dispositifs portables, de la taille d’un téléphone cellulaire, qui pourraient être placés au contact de sources de chaleur variées. « Les applications sont encore lointaines, mais le dispositif pourrait fonctionner sur toute surface portée à plus de 600°C, ce qui est courant dans plusieurs industries lourdes, par exemple dans les secteurs de l’aluminium ou du transport », détaille M. St-Gelais.
À l’heure des changements climatiques, quoi de plus pertinent que le recyclage de la chaleur perdue ? Le pari est ambitieux, mais le jeu en vaut la chandelle, car il ouvrirait la voie à l’exploitation d’une niche énergétique inédite.