L’établissement d’une véritable stratégie pour la recherche en français et la francophonie scientifique devra être au centre des préoccupations du nouveau rectorat de l'Université d'Ottawa.

Déclaration du Collège des chaires de recherche sur le monde francophone et du Centre de recherche sur les francophonies canadiennes dans le cadre du processus de sélection du Recteur ou de la Rectrice de l’Université d’Ottawa

Prendre la vraie mesure de la recherche sur la francophonie et la science en français à l’Université d’Ottawa

Depuis sa fondation, l’Université d’Ottawa est une université profondément ancrée dans la francophonie ontarienne, canadienne et internationale. La loi constituante de 1965 de l’Université lui confère le mandat « de préserver et de développer la culture française en Ontario ». Ce rôle, crucial pour la vitalité de la francophonie en milieu minoritaire, place l’Université au cœur de la promotion de la langue française dans une province où les défis du fait français sont nombreux, mais où les possibilités d’épanouissement sont également considérables. La langue française, première langue de communication et de recherche de l’Université d’Ottawa, constitue un pilier central de son identité bilingue.

L’Université a toujours cultivé son attachement à la langue française et à la francophonie, aussi bien dans ses activités d’enseignement que de recherche. Parmi les initiatives récentes visant à consolider cette identité unique figure la création en 2019 du Collège des chaires de recherche sur le monde francophone (CCRMF). La création du CCRMF s’est ajoutée à d’autres initiatives qui, de longue date, témoignent de l’engagement de l’Université d’Ottawa envers la francophonie ontarienne et canadienne. La fondation, en 1958, du Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF) compte parmi les plus substantielles.

Le CCRMF et le CRCCF souhaitent attirer l’attention sur la fragilité de la recherche sur la francophonie et plus généralement sur la science en français à l’Université d’Ottawa. Il faut avoir le courage de reconnaître que la recherche francophone ici et ailleurs au Canada ne se porte pas bien. Le rapport de l’Acfas (juin 2021) en a apporté un témoignage lucide et sombre. Qu’il s’agisse de la condition des chercheuses et chercheurs, notamment des nouveaux chercheurs, de l’accès aux subventions, des opportunités de collaborations, de l’évolution des carrières, de la santé des revues scientifiques francophones, de la pérennité des centres et instituts de recherche, la recherche en français ne se développe pas au même rythme que la recherche en anglais. Dans ce contexte, la tentation de privilégier une anglodominance scientifique et de céder à l'anglonormativité menace à moyen terme la pérennité de la production scientifique en français à l’université. Les défis de la recherche en français sont décuplés en milieu minoritaire, comme en Ontario, d’autant plus qu’au fil des années, de nombreux spécialistes en études franco-canadiennes ont quitté l’Université d’Ottawa pour diverses raisons, sans que l’université ait toujours priorisé leur remplacement.

Nous sommes pleinement convaincus que l’Université d’Ottawa saura rester une grande institution de recherche, avec sa tradition de bilinguisme dans les prochaines décennies. Mais pour cela, elle devra consentir à fournir un effort particulièrement conséquent pour soutenir sa francophonie scientifique. L’établissement d’une véritable stratégie pour la recherche en français et la francophonie scientifique devra être au centre des préoccupations du nouveau rectorat. Préserver et favoriser des champs disciplinaires et des pratiques scientifiques en français est bien plus qu’un enjeu linguistique. Il ne s’agit pas seulement de respecter le bilinguisme ou la parité de nos langues officielles. Il s’agit de préserver la diversité et la richesse scientifique de nos communautés de recherche. À ce chapitre, le rôle de leadership qui incombe à l’Université d’Ottawa est d’autant plus grand, à l’heure actuelle, que l’écosystème universitaire de la francophonie canadienne s’est vu considérablement fragilisé par les nombreuses crises financières qu’ont connues, ces dernières années, des institutions comme l’Université Laurentienne, l’Université de Sudbury, l’Université de l’Ontario français et le Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta, pour n’évoquer que les plus médiatisées.

Par conséquent, le CCRMF et le CRCCF souhaitent que la future rectrice ou le futur recteur de l’Université d’Ottawa puisse pleinement s’engager sur les points suivants :

  • Témoigner d’une grande sensibilité et d’une profonde considération à l’égard de la mission francophone et bilingue que la Loi constitutive de l’université lui confie ;
  • Démontrer une large connaissance de l’écosystème de la recherche en francophonie ontarienne, canadienne et internationale, aussi bien les défis de la science en français que les acteurs internes et externes qui la font vivre;
  • Avoir la volonté d’élaborer une véritable feuille de route ou une stratégie pour la communauté universitaire francophone, incluant :
    • la valorisation de son identité francophone;
    • le renforcement des enseignements en français à tous les cycles et dans toutes les disciplines (des arts à la médecine en passant par l’ingénierie);
    • le soutien accru à la recherche en français et sur la francophonie, en particulier sur la francophonie canadienne; et
    • la promotion et le rayonnement de la science en français à travers des initiatives de publication et de diffusion.

Préserver cette richesse culturelle, scientifique et linguistique exige des actions concrètes et audacieuses. Cela demande une vision claire, un engagement profond et des ressources à la hauteur de nos ambitions pour préserver un espace intellectuel où toutes les voix, y compris celles des chercheurs et chercheuses francophones, peuvent contribuer à façonner les réponses aux grands défis contemporains. Ignorer ces enjeux, c’est risquer d’appauvrir non seulement notre université, mais aussi l’écosystème scientifique qui fait notre force pour aborder les défis de demain.

Il est impératif que l’Université d’Ottawa, avec sa future rectrice ou son futur recteur, prenne la pleine mesure de sa responsabilité envers la francophonie et la science en français. Ce leadership doit se traduire par une stratégie ambitieuse et des engagements fermes pour garantir que la recherche francophone ne soit pas seulement préservée, mais qu’elle devienne un pôle d’excellence, d’innovation et de rayonnement.

La déclaration peut aussi être consultée au format PDF (255 Ko).

Jonathan Paquette

Directeur du collège des chaires de recherche
sur le monde francophone
Université d'Ottawa

Michel Bock

Directeur du Centre de recherche
sur les francophonies canadiennes
Université d'Ottawa