En mai 2020, bon nombre de ces préoccupations semblaient sans objet étant donné l'impact de la pandémie de COVID-19. L'industrie internationale du pétrole et du gaz s'effondrait à l'échelle mondiale en raison de la baisse de la demande, de la prochaine récession et de la guerre des prix d'éviction entre l'Arabie saoudite et la Russie. Le prix du pétrole tombant en dessous de 20 $ US / baril, le secteur canadien des sables bitumineux, dont la production est plus chère, fait face à une tempête parfaite. La douleur économique dans le secteur de l'énergie résultant de la pandémie pourrait rendre la taxe sur le carbone encore plus litigieuse qu'elle ne l'était en 2019.
On ne peut pas s'attendre à ce que ces divisions disparaissent de si tôt. L'une des principales raisons est que l'opinion publique sur de nombreuses questions énergétiques est polarisée au niveau régional. La polarisation régionale des attitudes est plus importante au Canada qu'aux États-Unis, dans l'Union européenne ou en Amérique du Sud.
Les recherches de l'équipe Énergie positive de l'Université d'Ottawa (y compris mes collègues Erick Lachapelle, Monica Gattinger et le reste du groupe de recherche) démontrent que la polarisation de l'énergie est importante dans certaines régions, fragmentée dans d'autres et dans des endroits non graves. Bref, le Canada n'est peut-être pas aussi polarisé que les médias le prétendent. C’est la bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle est que les profils énergétiques régionaux devraient persister. Les attitudes à travers les régions canadiennes sont basées sur des géographies et des infrastructures très différenciées dont le changement coûte très cher.
L'Alberta détient 83% de la production canadienne de sables bitumineux; La Saskatchewan possède la grande majorité de la production d’uranium du pays. Les deux provinces produisent la moitié de leur électricité au charbon et un peu moins au gaz naturel. En revanche, la production d’énergie de l’Ontario est dominée par un mélange d’électricité, d’énergie nucléaire et d’énergies renouvelables. La Colombie-Britannique et le Québec tirent la grande majorité de leur électricité de l'hydroélectricité. Les provinces de l'Atlantique sont un mélange quelque peu diversifié d'hydroélectricité, d'énergie éolienne, de charbon, d'énergie nucléaire, de gaz et de biomasse.
Ces systèmes de production sont fortement liés à l'identité régionale et aux emplois des personnes, et ils reflètent des investissements à long terme dans les infrastructures économiques qui risquent de devenir des actifs bloqués si ces régions pivotent et adoptent de nouveaux moyens de production d'électricité. Les intérêts et attitudes sous-jacents dans chacune de ces régions sont liés aux professions et aux infrastructures qui dominent au niveau régional. Il est difficile de trouver un terrain d'entente lorsqu'un sol contient de l'uranium et un autre des éoliennes, tandis que d'autres encore ont des mines de charbon et des centrales thermiques au charbon, ou de grandes centrales hydroélectriques ou d'extraction de sables bitumineux.
L'ironie de tout cela est que le Canada est une superpuissance énergétique avec l'un des niveaux de production d'énergie par habitant les plus élevés au monde. Notre mix énergétique est très diversifié (charbon, éolien, gaz, nucléaire, biomasse, pétrole, hydraulique, etc.) et le secteur de l'énergie a généré des revenus élevés pour ceux qui y ont investi ou qui y sont employés. On pourrait imaginer que, dans une telle situation, les Canadiens auraient des attitudes à peu près similaires à l'égard de la politique énergétique, mais ce n'est pas le cas.
Alors, que voit-on quand on regarde l'opinion publique canadienne sur les questions énergétiques? À l'automne 2019, notre équipe a mené une enquête par panel auprès de 2679 Canadiens pour évaluer l'opinion publique concernant l'énergie, avec cinq sous-échantillons régionaux de plus de 500 chacun (Colombie-Britannique, Prairies, Ontario, Québec, Canada atlantique). L'enquête a été menée dans un contexte de polarisation croissante de la politique énergétique et environnementale dans les mois précédant les élections générales d'octobre.
Le terme polarisé décrit généralement une opinion publique fortement divisée, avec des ensembles de croyances très contrastés. La polarisation décrit le mouvement dans le temps vers des vues plus polarisées, mais aussi l'état de polarisation. Notre analyse fait la distinction entre une opinion fragmentée, où l'opinion publique est divisée mais où les opinions ne sont pas fermement ancrées, et une opinion polarisée, où l'opinion publique est à la fois divisée et concentrée aux extrêmes. Sur un éventail de questions énergétiques, nous trouvons des domaines d'opinion fragmentée et polarisée, mais aussi des domaines d'accord. Nous sommes également en mesure de démontrer les attentes au Canada pour les changements futurs dans le secteur de l'énergie (alias la « transition énergétique »), un domaine où il semble y avoir accord.
Pourquoi devrions-nous nous soucier de la polarisation? Ne représente-t-il pas simplement des différences marquées entre les points de vue politiques? Il est certain que les partis politiques devraient fournir des ordres du jour distincts aux électeurs afin que des décisions claires sur les agendas politiques puissent éclairer le processus politique. Sans surprise, nos recherches montrent que l'identification des partis est l'un des principaux moteurs d'opinion sur les questions énergétiques.
Cependant, une variété de préoccupations émanent d'électorats hautement polarisés. Les démocraties sont généralement plus efficaces lorsque les différences ne sont pas concentrées dans des extrêmes endurcis, avec peu de soutien pour le terrain d'entente. À ce stade, il devient beaucoup plus difficile pour les gouvernements de trouver un compromis politique et de conclure des accords. En outre, la polarisation est associée à l'intolérance politique et au manque de respect pour les opinions divergentes, une situation qui, sur de plus longues périodes, est incompatible avec la politique démocratique.
Enfin, des positions polarisées peuvent conduire à une instabilité des politiques, dans laquelle les entreprises, les marchés et le public sont soumis à des approches politiques radicalement différentes et à des coups de fouet lorsque les gouvernements changent. Nous l'avons vu dans la politique sur les changements climatiques au niveau fédéral alors que le Canada est passé du gouvernement Harper (retrait de Kyoto et objectifs bas) au gouvernement Trudeau (engagements en matière de taxe sur le carbone et objectifs juridiquement contraignants de zéro net d'ici 2050). Nous avons observé une dynamique similaire dans la direction opposée alors que l’Ontario est passé de la Loi sur l’énergie verte des libéraux (et des programmes de tarifs de rachat élevés pour encourager les énergies renouvelables) à l’annulation par le nouveau gouvernement conservateur de 230 millions de dollars en contrats d’énergie verte.
Dans le secteur de l'énergie et de l'environnement, nous constatons des niveaux de polarisation et de fragmentation généralement élevés. Pourtant, on ne sait pas en quoi la polarisation de l'énergie est différente du désaccord dans d'autres domaines politiques, et si différents types de facteurs conduisent à des niveaux de désaccord ou d'accord. Nous pouvons voir clairement la polarisation dans une question sur la taxe sur le carbone parmi l'échantillon national total de la figure 1.
La polarisation est présente lorsque, comme dans la figure 1, la distribution forme une forme en U inversé, avec la plupart des opinions aux extrêmes et peu au milieu.
Nous pouvons également voir la polarisation entre les régions dans la figure 2, le graphique régional pour la même question (combinant « fortement d'accord » avec « d'accord » et « fortement en désaccord » avec « en désaccord » pour fournir un visuel plus clair). Nos résultats démontrent que le profil régional est un moteur critique d'opinion sur l'énergie et l'environnement. En l'occurrence, notre question sur la taxe sur le carbone montre que la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec, où une majorité appuie une taxe nationale sur le carbone, sont sensiblement différents des Prairies, où une majorité s'y oppose.
Nos recherches révèlent également d'autres facteurs critiques qui entraînent des désaccords sur les questions énergétiques. La vue d'ensemble est compliquée, avec plusieurs facteurs en jeu dans différents types de questions, et nos travaux à venir comprendront des analyses de régression qui traitent de nombreux facteurs simultanément. Mais si un profil régional ne donne pas une vue d'ensemble, il est clair à quel point le facteur régional est puissant pour stimuler l'opinion.
L'impact du profil énergétique régional ne se limite pas aux taxes sur le carbone. Nous le voyons également en ce qui concerne l'énergie nucléaire, un sujet qui n'est pas complètement polarisé parmi la population globale, mais qui est considérablement différencié entre les régions. Dans la figure 3, vous pouvez voir que les attitudes envers l'énergie nucléaire au sein de la population totale sont fragmentées - réparties de manière assez égale dans tous les domaines d'opinion. Cependant, les répartitions régionales montrent de profondes divisions entre les régions qui ont des centrales nucléaires (Ontario) ou l'activité économique consacrée à l'extraction de l'uranium (Prairies) et les régions sans liens solides (Colombie-Britannique et Québec). Au Québec, 48% s'opposent fortement ou légèrement au nucléaire comme solution au réchauffement climatique.
Nous constatons également une différenciation régionale sur les dimensions où les Canadiens sont globalement plus d'accord. Comme l'illustre la figure 4, 52% des Canadiens dans l'ensemble pensent avec optimisme que le pays peut développer les sables bitumineux tout en respectant ses engagements en matière de climat (peut-être une version du Canada ayant son gâteau et le mangeant aussi?). Bien qu'il ne s'agisse certainement pas d'un consensus, les chiffres globaux de l'opinion montrent que les Canadiens penchent fortement du côté favorable, avec seulement un cinquième en désaccord ou fortement en désaccord. Quand on regarde les régions, on voit que les Prairies sont majoritairement en faveur de l'énoncé, alors que les Québécois sont polarisés - un partage égal sur la question. Heureusement, il existe certains domaines d'accord. Les Canadiens croient fermement que nous avons besoin de plus d'énergie renouvelable, même en cas d'augmentation des coûts. Ce soutien se manifeste dans toutes les régions du Canada, avec seulement une légère baisse comparative dans les Prairies.
Compte tenu du rôle puissant que joue l'opinion régionale au Canada, que pouvons-nous espérer? En bref, nous avons besoin d'un leadership national plus fort, prêt à développer et à créer de grandes affaires dans les différents systèmes de production d'énergie. C'est difficile à faire dans un système fédéral doté de puissants pouvoirs provinciaux sur la politique des ressources, mais ce n'est pas impossible. De plus, les Canadiens ont clairement indiqué dans notre travail d'enquête qu'ils considéraient le gouvernement fédéral comme le principal niveau à partir duquel élaborer une vision cohérente des changements dans le futur système énergétique et de la transition qui s'opérera au cours des 30 prochaines années. La vraie question est de savoir si le Canada peut diriger en tant que superpuissance énergétique qu'il est intrinsèquement ou s'il sera entraîné dans un nouveau paradigme énergétique au milieu de querelles de juridictions régionales.