La justice en ligne de mire

Par Marine Corniou

Rédactrice, Pigiste

Recherche et innovation
Philosophie
Faculté des arts
David Robichaud
Photo: Marie-Andrée Houde
Qu’il planche sur la question des droits linguistiques ou la répartition des richesses, le philosophe David Robichaud envisage toujours l’équité.

« La démocratie est le pire des régimes, à l'exception de tous les autres. » Cette célèbre phrase de Winston Churchill fait bondir David Robichaud. « Les gens tiennent la démocratie pour acquis et ne l’aiment pas. Pourtant, si on ne la protège pas, que risque-t-on d’avoir à la place? Un régime autoritaire ou une ploutocratie », s’exclame ce professeur de philosophie de la Faculté des arts, qui vient de cosigner un livre intitulé Prendre part. Considérations sur la démocratie et ses fins, avec Patrick Turmel de l’Université Laval.

Son constat : la démocratie s’étiole, à mesure que les iniquités socioéconomiques grandissent, et que les électeurs se détournent des urnes. Croire que ce système est réservé aux élites est une erreur, estime-t-il. C’est au contraire un outil qui permet de prendre des décisions équitables. « On a tous un rôle à jouer pour préserver la démocratie. Il a été démontré que lorsqu’une personne va voter, elle a une influence sur ses proches, qui sont alors plus susceptibles d’aller voter eux aussi », illustre-t-il.

Au fil de sa carrière, le philosophe a tour à tour planché sur la question des langues minoritaires, sur le lien de confiance entre individus de groupes culturels, sociaux ou politiques différents, sur la répartition des richesses, sur la justification de l’imposition des mieux nantis. « Il y a toujours le même fil conducteur : la justice », résume -t- il.

Sa réflexion repose sur un postulat simple, qu’il a exposé dans l’ouvrage La juste part paru en 2012 : toutes les richesses sont produites « collectivement » par un enchevêtrement complexe de coopération sociale. Le mérite et la chance ont bien un rôle à jouer dans les succès individuels, mais ils ne sont pas la principale variable de l’équation.

« Prenons l’exemple d’un vaccin contre le coronavirus. Si quelqu’un le met au point tout seul et en tire des millions de dollars, tant mieux. Mais à partir du moment où il s’appuie sur le travail d’autres chercheurs, sur les laboratoires ou les découvertes d’universités financées en partie par les fonds publics, il y a un problème. On perd de vue que les personnes qui s’enrichissent le font grâce au travail accompli par d’autres », explique‑t‑il.

Le professeur se défend de tenir un discours moraliste ou anticapitaliste. « L’idée n’est pas de dire que toutes les inégalités sont immorales, mais de mettre en évidence l’interdépendance entre les citoyens, nécessaire pour avoir une économie de marché. Or, le capitalisme tel qu’on le connaît avantage de manière démesurée les gens qui trônent au sommet de la pyramide. »

David Robichaud plaide donc pour une reconnaissance plus équilibrée – par l’impôt notamment – de la contribution de chacun aux bénéfices collectifs. « Si les plus riches doivent payer davantage, c’est surtout parce qu’ils profitent plus de la coopération sociale, à travers par exemple le système éducatif ou judiciaire », ajoute‑t‑il. 

Celui qui met un point d’honneur à vulgariser ses idées, à travers ses livres ou ses chroniques à la radio, ancre ses réflexions dans les questions concrètes, tutoyant souvent la politique et l’économie. « J’ai toujours un œil sur l’application », dit-il. Car après tout, son travail est un bien collectif qui doit permettre de rendre la société meilleure.