Lorsqu’il est créé en septembre 1981 au sein de l’Université d’Ottawa, le Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne (CREDP) fait figure de pionnier au Canada et en Amérique du Nord. Tout au long de cette année académique 2021-2022, il célèbrera quatre décennies d’engagement dans la recherche, la sensibilisation, la formation et le plaidoyer en matière des droits de la personne (DP).
Piloté depuis 2014 par le professeur John Packer, avec l’appui de la directrice adjointe Viviana Fernandez, le CREDP affiche une feuille de route et des ambitions qui reflètent son engagement à renforcer des valeurs humanistes et démocratiques au sein de la société canadienne ainsi qu’à l’échelle mondiale. « Le Centre cultive une approche collaborative et s’oriente sur des problématiques qui correspondent aux intérêts de ses membres, en s’assurant de passer de la parole aux actes », explique John Packer. « Le CREDP est plus que jamais un joueur reconnu et respecté de la communauté des DP ».
La genèse
Fruit de la vision d’Yvon Beaulne, alors ambassadeur du Canada auprès de l’ONU et de Gordon Fairweather, le premier président de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), ce projet novateur de centre de recherche et de formation bi-juridique et bilingue sur les droits humains s’incarne initialement sous la forme d’un « think tank ». Sa mission : s’atteler à produire des opinions sur certains chapitres de la nouvelle Charte canadienne des droits et des libertés (la Charte), qui sera adoptée en 1982.
Sous la houlette des premiers directeurs du CREDP, l’honorable Sénateur Gérald-A. Beaudoin et le juge Walter Tarnopolsky, une quinzaine d’universitaires et d’éminents experts constitutionnels et des droits de la personne produiront dès 1982 « La Charte canadienne des droits et des libertés : Un commentaire ». Une publication qui s’imposera comme une référence auprès de la Cour suprême du Canada pour interpréter la Charte, et sera rééditée par le CREDP en 1985 puis en 1993. Elle arrime incontestablement le CREDP à l’historique de la Charte.
Une mission de sensibilisation aux droits de la personne
Le CREDP contribuera à renforcer les synergies du mouvement des DP au Canada, en devenant une plateforme de convergence des groupes de la société civile. « Tous ces groupes féministes, autochtones, ethnoculturels voulaient tester la section 15-2728 de la Charte portant sur l’égalité des droits, avant son entrée en vigueur en 1985 », explique Magda Seydegart, la première directrice exécutive du Centre.
Véritable cheville ouvrière du CREDP durant une décennie, elle contribuera avec le professeur Tarnopolsky (1981-1983) à décrocher les financements de démarrage du CREDP auprès de la Fondation canadienne Donner et participera aux côtés des directeurs Ed Ratushny (1983-1985), Gérald-A. Beaudoin (1985-1988), William F. Pentney (1988-1989) et William W. Black (1989-1993) à mettre en œuvre la mission de sensibilisation du Centre aux enjeux liés aux DP.
Un parcours indissociable de la Charte des droits et des libertés
Dès 1983, le Centre contribuera à assurer la formation de près d’une centaine d’employés de la Commission des Droits de la personne du Canada (CCDP) et participera à la rédaction des codes des DP pour les Territoires du Nord-Ouest, de la Saskatchewan et du Yukon.
Le CREDP publiera des annuaires regroupant entre autres des bibliographies périodiques complètes sur la Charte, dont l’une sera spécifiquement produite à la demande du juge en chef de la Cour suprême du Canada, Brian Dixon. Outil de référence pour les praticiens et les universitaires, ces revues annuelles, archivées au sein du premier Centre de documentation du CREDP, avant l’ère de l’internet, par la documentaliste Ivana Caccia, ont été ressuscitées par le professeur John Packer, depuis quelques années.
La Chaire Gordon Henderson
C’est durant son mandat que le professeur Ed Ratushny pose les jalons de la Chaire Gordon Henderson sur les droits de la personne, qui sera inaugurée en 1995.
Conçue comme un sanctuaire pour accueillir des universitaires parfois menacés dans l’expression de leur liberté académique, cette chaire continue de jouer un rôle majeur dans la communauté de recherche du Centre. Elle est aussi en quelque sorte, l’ancêtre de l’antenne Scholars At Risk (SAR) uOttawa développée par le CREDP en partenariat avec le réseau international pour la défense de la liberté académique SAR, afin de documenter les atteintes à ces libertés et d’offrir un refuge académique à ceux qui en sont victimes.
Le CREDP tisse sa toile
Chaque directeur et directrice du CREDP y apportera son propre imprimatur et ses champs d’expertise respectifs, élargissant ainsi la composante multidisciplinaire du centre et sa portée académique juridique ou sociale, tant au Canada que dans la sphère internationale.
Le CREDP se développera en tissant un réseau de relations étroites avec les facultés de l’université, des partenaires institutionnels tel que la CCDP, le ministère de la Justice, Affaires Mondiales, la Croix-Rouge canadienne, ainsi qu’avec un nombre grandissant d’ONG, de partenaires académiques internationaux et communautaires, parmi lesquels Amnistie internationale, Human Rights Watch, les membres de l’Association des instituts canadiens des droits de la personne et Human Rights Internet.
Un rayonnement international
Tout comme les séries de conférences attirant des personnalités de calibre mondial, tel que Simone Veil – la présidente du parlement européenne et Andrei Sakharov - le prix Nobel de la Paix de 1975, les célébrations des 35e et 50e anniversaires de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) organisées par le Centre furent emblématiques de l’aura internationale qu’il avait acquise au fil des ans.
Organisé en 1998 au Centre national des arts sur la thématique de « L’artiste et les droits de la personne », le symposium du cinquantenaire de la DUDH fût orchestré par le professeur Errol Mendes (1993-2001) avec le parrainage de Patrimoine Canada. « Le prix Nobel de chimie John Polanyi, celui de littérature Wole Soyinka, Adrienne Clarkson qui était alors pressentie pour devenir Gouverneure générale, Raj Mohan Gandhi le petit-fils du Mahatma Gandhi, l’écrivaine féministe Taslima Nasreen et tant d’autres, avaient répondu présents à l’appel et sont venus débattre du rôle de l’engagement artistique dans le domaine des DP », indique le professeur Mendes. « Ce fût un évènement mémorable! ».
Le mandat du directeur Errol Mendes sera marqué par l’avancement de la diplomatie des DP avec la Chine, la Thaïlande, le Sri Lanka et le Brésil et la publication de trois ouvrages de référence concernant le dialogue Canada-Chine sur les DP.
Le virage des années 2000
L’entrée dans le XXIe siècle marque l’arrivée de la première directrice du centre. La professeure Constance Backhouse (2001-2003) s’attachera à développer les volets liés aux droits des autochtones à travers une enquête sur les Innus du Labrador pour la CCDP, et à ceux des femmes, en organisant la campagne de financement de la Chaire Shirley F. Greenberg sur les femmes et la profession juridique.
La relève sera ensuite assurée par les professeures Sheila McIntyre (2003-2005) et Karen Eltis (2005-2006), puis par Me Marie-Claude Roberge (2006-2007). Cette dernière sera à l’origine de la création du Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits de l’enfant et d’un cours d’été en Droit international humanitaire en collaboration avec la Croix-Rouge canadienne. Rendu à sa 14e édition, ce cours très recherché continue de former des cohortes de participants aux règlements qui visent à protéger les personnes civiles des effets des conflits de la guerre pour des raisons humanitaires.
Les professeures Joanne St Lewis (2007-2009) et Lucie Lamarche (2009-2014) reprendront à leur tour le flambeau. Épaulée par sa directrice exécutive Sonya Nigam, la professeure Lamarche effectuera un virage numérique précurseur en développant un laboratoire de communications et de modules de cours en ligne, grâce à un financement de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI). « Les fonds du FCI nous ont permis d’élargir l’espace physique dédié aux étudiant.e.s. et de pouvoir créer de nouvelles dynamiques d’échanges et de dialogue comme avec des groupes liés au mouvement du printemps arabe », indique Lucie Lamarche. C’est aussi à cette époque que le CREDP inaugure la Chaire Fulbright sur les droits de la personne et la justice sociale et qu’il lance le Festival du film des droits de la personne.
Création de la Clinique sur les droits de la personne
Objectif atteint pour le directeur John Packer, arrivé à la barre du CREDP avec le mandat de lancer la première Clinique sur les droits de la personne au Canada! « Il était essentiel pour moi de donner une orientation pratique à la formation aux DP pour permettre aux nouvelles générations d’étudiants de ne pas se contenter d'étudier et de connaître le monde, mais d’être capables de l'influencer et de s'engager dans ce domaine », explique John Packer. La Clinique dirigée par le professeur Salvador Herencia Carrasco offre ainsi aux étudiants des projets réels avec des partenaires tel que les Rapporteurs spéciaux des Nations unies, qui leur donne la possibilité d’avoir un réel impact.
En route pour le cinquantenaire
Fort de ses 40 années d’engagement pour la défense des DP et de la volonté de son leadership de continuer à éclairer l’élaboration des politiques publiques de sa vision humaniste, l’équipe du CREDP se prépare maintenant à faire face aux enjeux de la décennie à venir, avec l’appui de tous ses réseaux de partenaires et des professionnels des DP en devenir qu’il forme chaque année, au sein de l’Université d’Ottawa.
— Karine Fossou