Poursuivre les engagements du Canada en matière de COP nécessite de changer la façon dont les décisions énergétiques sont prises

Par Prof. Monica Gattinger and Michael Cleland

Présidente, Énergie positive et Directrice, ISSP, uOttawa, Professionnel en résidence, Énergie positive, uOttawa

Prof. Monica Gattinger and Michael Cleland
Énergie Positive
Vue en plongée du campus et du canal Rideau.
Au lendemain de la 26e Conférence des Parties des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26), les pays doivent maintenant se concentrer sur la transformation de leurs engagements ambitieux en actions efficaces. Inutile de dire que le Canada a systématiquement été long sur l'ambition mais court sur l'action dans les négociations internationales sur le climat. Est-ce que cette fois sera différente ?

Publié originalement par Options politiques le 2 décembre 2021

Au lendemain de la 26e Conférence des Parties des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26), les pays doivent maintenant se concentrer sur la transformation de leurs engagements ambitieux en actions efficaces. Inutile de dire que le Canada a systématiquement été long sur l'ambition mais court sur l'action dans les négociations internationales sur le climat. Est-ce que cette fois sera différente ?

Sans réformer nos systèmes de prise de décision sur les projets énergétiques, nous ne le pensons pas.

Le Canada fait partie des pays qui défendent la carboneutralité d'ici 2050 et, en avril, il a relevé son objectif de réduction de 2030 à 40-45 %, contre 30 % au dessous des niveaux de 2005. Faire progresser ces engagements ambitieux nécessite une multitude d'actions, notamment le déploiement à grande échelle de nouvelles technologies énergétiques et la construction de vastes quantités d'infrastructures énergétiques à faibles émissions.

Pourtant, le Canada a eu du mal à planifier, autoriser et construire des infrastructures énergétiques au cours des dernières décennies. Alors que les pipelines ont été les points chauds de ces problèmes, tous les types d'infrastructures énergétiques – des projets hydroélectriques aux parcs éoliens en passant par les lignes de transport d'électricité transportant de l'énergie propre – ont été confrontés à des défis. Il existe une énorme incertitude quant à savoir qui décide quoi, quand et comment en matière de projets énergétiques.

Sans plus de clarté, ce sera une énorme pierre d'achoppement pour le Canada sur la voie de la carboneutralité. Il y a beaucoup à faire dans les décennies à venir pour réformer nos systèmes de prise de décision de manière à favoriser un système énergétique et une économie à faibles émissions.

Une nouvelle étude de recherche d'Énergie positive à l'Université d'Ottawa constate que la réussite de la cartographie d'un avenir avec la carboneutralité dépendra dans une large mesure de la capacité des systèmes publics de prise de décision énergétique du Canada, y compris les régulateurs, à faire leur travail.

Basée sur des études de cas historiques détaillées de cinq organismes de réglementation de l'énergie au Canada ayant des responsabilités décisionnelles pour le développement des ressources et l'infrastructure, cette étude explore les relations entre les organismes de réglementation et d'autres acteurs dans les systèmes de prise de décision énergétique, y compris les décideurs, les tribunaux, les Autochtones et les les gouvernements municipaux, les autres autorités de régulation et tous les membres de la société civile.

Nous examinons ces relations sous deux angles : l'efficacité et l'indépendance. Qu'est-ce qui constitue un système de prise de décision énergétique efficace, qu'est-ce qui définit un régulateur indépendant et comment est-ce que l'indépendance influence l'efficacité des systèmes de décision ?

Le concept d'indépendance réglementaire est soumis à d'énormes pressions. Les régulateurs sont aux prises avec l'émergence d'objectifs sociétaux plus larges dépassant le cadre traditionnel de la réglementation énergétique. Depuis les années 1990, ils ont dû adopter une approche plus holistique et systémique, engageant des valeurs ainsi que des intérêts et prenant des décisions plus complexes avec la contribution de sources toujours plus publiques, privées et de la société civile.

Pendant ce temps, le rythme des changements technologiques s'est accéléré et oblige à repenser rapidement les modèles commerciaux pour l'approvisionnement et la livraison d'énergie. La COP a souligné que le changement climatique est l'un des impératifs qui sous-tendent ces demandes croissantes, mais nos recherches montrent que d'autres impératifs le sont également, tels que les impacts environnementaux locaux, la réconciliation avec les peuples autochtones et la sécurité énergétique. Les systèmes décisionnels énergétiques ont de nombreux maîtres.

Dans ce contexte, une politique cohérente pour guider les processus réglementaires sera essentielle pour faire progresser les engagements de la carboneutralité du Canada. Notre rapport fournit un cadre pour comprendre ce qui rend un système décisionnel public en matière d'énergie efficace et ce qui rend les régulateurs au sein du système plus ou moins susceptibles de contribuer à son efficacité.

Fondamentalement, l'étude constate que l'efficacité de la réglementation repose sur trois éléments essentiels : la fonctionnalité (est-ce que le système peut faire le travail ?) ; adaptabilité (est-ce qu'elle peut évoluer avec des circonstances changeantes ?) ; et la légitimité (est-ce qu'elle peut maintenir une large confiance du public ?). Il est important de noter que le degré d'indépendance décisionnelle d'un organisme de réglementation façonne non seulement l'efficacité du régulateur mais aussi du système dans son ensemble.

Il y a des compromis inévitables dans la discussion sur l'efficacité et l'indépendance. Différentes juridictions font face à des impératifs différents. Il n'y a pas de « bonne » réponse : seul le jugement réfléchi de ceux qui conçoivent et exploitent les systèmes.

Nous offrons un certain nombre de recommandations pour ceux qui conçoivent des systèmes d'aide à la décision de projets énergétiques.

Tout d'abord, il existe de nombreux modèles et pistes de réforme, mais ils doivent tous être éclairés par une évaluation minutieuse du contexte, des compromis et des tensions inhérents, ainsi que des conséquences prévues et imprévues.

Deuxièmement, pour réussir à atteindre la carboneutralité d'ici 2050, nous devons mettre en place les bonnes dispositions institutionnelles. Un avenir énergétique et climatique viable exige que les systèmes décisionnels publics agissent de manière compétente, rapide, judicieuse et d'une manière qui renforce et équilibre la confiance de toutes les parties. Mais la prise de décision publique rapide n'est pas la voie des choses au 21e siècle. Les dirigeants politiques sont confrontés au dilemme d'équilibrer le besoin de rapidité avec les impératifs d'une planification minutieuse et d'une analyse solide, d'inclusion, de stabilité et de prévisibilité, de consultation et d'accommodements significatifs.

Troisièmement, pour accélérer les décisions relatives aux projets sans compromettre indûment ces objectifs concurrents, le Canada a besoin d'une politique et d'une planification beaucoup plus sophistiquées aux niveaux fédéral, provincial et local et d'une plus grande cohérence entre les juridictions. Chaque décision critique retardée jusqu'à la fin du processus aggrave l'incertitude pour les investisseurs et les communautés. Surmonter cette tendance nécessite davantage de politiques et de planification pour esquisser des avenirs, des risques et des incertitudes technologiques potentiellement viables. La planification énergétique doit être régionale – y compris au-delà des frontières provinciales et territoriales – et doit mettre en avant un engagement précoce avec les communautés, ainsi que des signaux clairs et cohérents aux investisseurs.

Quatrièmement, lorsqu'il s'agit de concevoir un système, la responsabilité démocratique est sans doute mieux servie lorsque les décisions politiques sont prises bien en amont du cycle de prise de décision et par des moyens formels. Les gouvernements devraient formuler leurs intentions générales au moyen de lois, de politiques et de règlements. En revanche, les décisions du cabinet ou les directives ministérielles à un stade avancé équivalent souvent à une réglementation furtive. Cette tactique de plus en plus courante est incompatible avec un renforcement de la confiance du public et des investisseurs. La transparence – aussi difficile que cela puisse être pour les acteurs politiques – est essentielle.

Cinquièmement, en termes de prise de décision au jour le jour, l'engagement doit avoir lieu à plusieurs niveaux. Les communautés, plus particulièrement les communautés autochtones, devront être des façonneurs actifs de l'avenir énergétique et des partenaires sur toutes sortes de projets. Des termes comme « co-création », « coproduction » et « co-développement » visent à saisir ce changement. Définir les significations pratiques de ces termes et renforcer les capacités nécessaires à une véritable co-création devrait être une priorité urgente pour les gouvernements.

Enfin, tous les décideurs du système doivent donner la priorité à l'apprentissage rapide et systématique de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas sur la voie du zéro net. L'apprentissage doit se faire à la fois au sein des organisations et entre elles.

Pour l'avenir, la pérennité des décisions comptera de plus en plus. Comme l'a montré la dernière décennie, les renversements de politique, les batailles partisanes et les conflits fédéraux-provinciaux peuvent être incroyablement coûteux et peuvent annuler les progrès sur les impératifs énergétiques et climatiques. Les nouveaux gouvernements devraient être très prudents avant de renverser les décisions importantes de leurs prédécesseurs sans se soucier des coûts et des risques pour la réputation, la confiance du public et la stabilité et la prévisibilité du système.

Autant que la technologie ou la politique, la confiance de toutes les parties dans la prise de décision déterminera si le Canada réussira à atteindre ses objectifs énergétiques et climatiques. Les investisseurs doivent être convaincus que les projets ont de bonnes chances de réussir. Les communautés locales doivent avoir confiance que leurs voix seront entendues et leurs préoccupations prises en compte. Sans clarté quant à qui décide quoi, quand et comment pour les projets énergétiques, il est peu probable que le Canada fasse beaucoup de progrès vers la carboneutralité d'ici 2050. Nous espérons que ceux qui conçoivent les décisions- les systèmes de fabrication sont à l'écoute.