Rêves et lasers en commun

Par Alan Morantz

Rédacteur, Pigiste

Recherche et innovation
Paul Corkum
Le physicien Paul Corkum dans son bureau du Conseil national de recherches
Le fait de pouvoir diriger le mouvement des électrons changerait la donne dans des domaines comme l’informatique, le génie et la médecine. »

– Paul Corkum

En ouvrant son Complexe de recherche avancée (CRA), l’Université d’Ottawa exprime clairement ses ambitions mondiales dans les domaines de la photonique et des sciences de la Terre. Pour Paul Corkum, c’est un terrain de jeu magique pour la recherche scientifique.

L’un des scientifiques canadiens les plus primés – il rentre tout juste d’Israël où il a reçu le prestigieux prix Harvey –, Paul Corkum est très en vue dans la communauté scientifique mondiale. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en photonique de l’attoseconde, professeur de physique à l’Université d’Ottawa et directeur du Laboratoire mixte pour la science de l’attoseconde (JASLab), un partenariat entre l’Université et le Conseil national de recherches Canada (CNRC).

À partir du JASLab, dans un sous-sol du complexe du CNRC sur la promenade Sussex, le professeur Corkum dirige une équipe de stagiaires postdoctoraux et de doctorants (au moins 10 à la fois). Cette équipe approfondit encore davantage l’étude du monde sous-moléculaire à l’aide de techniques au laser que le professeur a développées au début des années 1990.

En simplifiant à outrance, on pourrait dire que la science de l’attoseconde est l’observation du très petit et du très rapide : des électrons grouillants dans des molécules à un milliardième de milliardième de seconde. La pièce maîtresse de l’arsenal de recherche, ce sont des lasers haute précision qui produisent à la fois des impulsions lumineuses courtes pour mesurer les processus rapides des électrons et des impulsions intenses capables de contrôler les électrons.

« Puisque les électrons assurent la cohésion de la matière et contrôlent les réactions chimiques, précise Paul Corkum, le fait de pouvoir diriger le mouvement des électrons changerait la donne dans des domaines comme l’informatique, le génie et la médecine. »

Bien que le travail se poursuive au JASLab, le professeur Corkum fera prendre une voie parallèle à ses travaux sur l’attoseconde au CRA.

« Nous avons réalisé de grands progrès dans la division de la période de la lumière – le temps qu’il faut pour que la lumière produise une oscillation – en segments plus courts, explique le professeur Corkum. Nous estimons pouvoir faire la même chose avec la longueur d’onde de la lumière, soit la distance nécessaire pour que la lumière produise une oscillation. Au CRA, nous allons donc tenter de réaliser une version spatiale de la version temporelle du JASLab. » Autrement dit, ils pourront observer et localiser le contenu moléculaire d’une cellule biologique « point par point ».

« Au CRA, nous utiliserons des sections de cellules, dit-il. Il est possible de trancher des cellules, comme on tranche la charcuterie, à l’aide d’un diamant qui produit des tranches d’à peine 50 nanomètres d’épaisseur. Nous prélèverons des morceaux de ces tranches et les déplacerons pour voir le contenu de chaque tranche. Il nous faudra un laser pour transformer chaque petit morceau en gaz, puis un deuxième faisceau pour ioniser le gaz. Nous pourrons ensuite retirer ces particules gazeuses, les accélérer et mesurer la durée de leurs déplacements. »

Le professeur Corkum est enthousiaste par rapport à ce que le Complexe offrira, non seulement ses infrastructures, mais aussi sa vocation collaborative. La structure du bâtiment répond aux exigences strictes imposées par la science de l’attoseconde. Chaque impulsion laser fait l’objet d’un contrôle extrêmement précis, à une partie pour mille milliards près. Pour protéger les lasers et autres instruments des vibrations provenant de l’intérieur et de l’extérieur du bâtiment, le matériel reposera sur des dalles de béton ancrées dans le roc et isolées de la structure du bâtiment. La température, l’humidité et la pression seront aussi rigoureusement régulées.

La façon dont les laboratoires du CRA sont regroupés vise également à favoriser l’interaction entre les chercheurs. En face de la pièce où travaillera le professeur Corkum se trouveront les laboratoires de son collègue chercheur en photonique Robert Boyd, titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur l’optique non linéaire quantique, et de son équipe.

Au CRA, la collaboration prendra en effet une toute nouvelle dimension. « Nous parlons de percer un trou dans le plafond, un tout petit trou puisque les faisceaux lumineux n’ont pas besoin de beaucoup d’espace, explique Paul Corkum avec enthousiasme. Comme le laboratoire de mon collègue physicien Albert Stolow sera à l’étage juste au-dessus, nous pourrons partager les faisceaux laser! »

« Je dis toujours que la science est une profession incroyablement sociale, mais ce n’est pas l’idée que les gens s’en font a priori », ajoute-t-il. Pour lui, discuter de ses idées avec des collègues, présenter une communication à un congrès, accueillir des chercheurs de France ou de Russie, ou conseiller des étudiants sur la rédaction d’un article pour une revue savante sont de grandes sources de satisfaction.

Le Complexe contribuera aussi à faire progresser une autre cause chère au professeur : consolider la réputation d’Ottawa à titre de capitale mondiale de la photonique. M. Corkum souligne qu’en 2002, bien avant qu’il se joigne à l’Université d’Ottawa, il a fait part de ses visées pour la photonique dans la capitale à Howard Alper, alors vice-recteur à la recherche. Il lui a fait valoir que la photonique était l’un des piliers industriels d’Ottawa – puisqu’elle accueille de nombreux laboratoires gouvernementaux importants et quelque 120 entreprises des domaines de la photonique et de l’optique – et qu’elle avait besoin du soutien d’un établissement d’enseignement solide.

Maintenant que le CRA a ouvert ses portes, on peut dire que la vision de Paul Corkum pour la photonique à Ottawa se concrétise véritablement. La prochaine étape, estime le professeur, consistera à repousser les murs de ce foyer de collaboration au-delà du campus universitaire.