Santé mentale et pandémie: un guide pour faire face aux impacts d’une crise silencieuse

Par Université d'Ottawa

Cabinet du vice-recteur à la recherche et à l'innovation, CVRRI

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Santé mentale
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Vue rapprochée d'une femme portant un couvre-visage pour se protéger de la COVID-19
La parution du Guide d’intervention psychologique en cas d’épidémies de maladies infectieuses n’aurait pas pu mieux tomber pour accompagner la sortie progressive du confinement mis en place à travers le pays pour endiguer la pandémie de coronavirus.

Si la COVID-19 est d’abord une maladie infectieuse qui attaque le corps, son impact à des degrés variables sur la santé mentale des populations n’en demeure pas moins considérable. « L’anxiété et le stress liés à la peur d’être contaminé ou aux difficultés de vivre en confinement ont eu de gros impacts dans toutes les couches de la population », explique le professeur Jude Mary Cénat, auteur principal de ce guide et directeur du laboratoire Vulnérabilité, trauma, résilience et culture (V-TRaC) de l’École de psychologie de l’Université d’Ottawa. Ce guide « clé en main », disponible en ligne, se présente sous forme de modules didactiques et vise à outiller les professionnels de la santé mentale dans la prise en charge psycho-sociale des communautés touchées par les maladies infectieuses, dont la COVID-19.


Déconfinement et soutien psychologique

Qu’il s’agisse de personnes âgées privées du contact avec leurs aidants naturels, de jeunes touchés par l’isolement social, ou de travailleurs qui craignent de perdre leur emploi ou qui doivent, lorsqu’ils sont en première ligne continuer à travailler dans des conditions difficiles, beaucoup de personnes sont en proie à de la détresse psychologique et aux traumas qui peuvent affecter leur santé mentale. Un véritable enjeu de santé publique selon le psychologue, au vu de la crise que nous traversons, qui devra être relevé au plus vite.

« Pour se protéger de la COVID-19, la population a dû apprendre et adopter un ensemble de comportements d’ordinaire associés à des troubles de la santé mentale, indique le chercheur. Se laver les mains des dizaines de fois par jour relève d’habitude d’un trouble obsessionnel du comportement, d’autres sont liés à la dépression, tout comme certaines mesures de distanciation sociale sont assimilables à de la phobie sociale. »  À cela s’ajoute, selon lui, le fait que l’isolement social en soi puisse provoquer des idées suicidaires chez les personnes déjà vulnérables avant le confinement.

Femme déprimée assise au sol et lavage de mains

Un guide pour accompagner la résilience

« Alors qu'on s'achemine vers la réouverture des écoles de certaines provinces, il y a par exemple un besoin urgent de renforcer la formation des intervenants scolaires aux premiers soins psychologiques », déclare le professeur Cénat, afin de pouvoir identifier les profils qui nécessiteront une prise en charge spécialisée. Le retour en classe des enseignants et du personnel de soutien pourrait s’avérer être bien moins anxiogène s’ils se sentent mieux préparés pour encadrer les élèves dont la santé mentale a pu être fragilisée par les conditions de confinement. « Certains enfants ont dû faire face à des épisodes de violence parentale ou ont été témoins de violence conjugale », explique celui pour qui la phase de déconfinement représente à la fois un défi, mais aussi une réelle opportunité d’aider certains à retrouver un équilibre psychologique, avec des outils adéquats.

Modéliser l’approche des premiers contacts pour évaluer les besoins psycho-sociaux immédiats des personnes, apprendre l’écoute agissante, faciliter le parcours du deuil pour aider les familles qui ont perdu un parent, ou former à la psycho-éducation font partie intégrante de la panoplie des stratégies et outils que développe ce guide d’intervention pour renforcer la résilience face à la pandémie. Aider les équipes soignantes qui doivent gérer l’accroissement des tensions internes et l’épuisement de la charge de travail par des techniques d’adaptation ou de soins auto-administrés, fait d’ailleurs l’objet d’un module à part entière, un volet qui fait tout particulièrement écho à la réalité des intervenants hospitaliers à travers le Canada.

Le psychologue rappelle qu’il existe un lien incontestable entre le suivi thérapeutique et l’augmentation de la résilience individuelle et collective dans un tel contexte pandémique. Il s’agit donc d’aider les gens à engager un processus de résilience « assistée ».

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Prof. Jude Mary Cénat et une partie de l' équipe du laboratoire V-TRaC - École de psychologie

Leçons apprises de l'épidémie de la maladie à virus Ébola

Ce Guide d’intervention psychologique en situation d’épidémie de maladies infectieuses, que l’on doit à la collaboration du chercheur avec ses pairs des universités McGill (C. Rousseau), de Bourgogne-Franche-Comté (D.Derivois ), de Lubumbashi (J.-P. Birangui) et de Kinshasa (J.Bukaka), est le fruit de recherches faites dans le cadre de l’épidémie de maladie à virus Ébola qui a sévi en République démocratique du Congo entre 2018 et 2020 et fait plus de 3000 victimes.

Ce projet de recherche co-financé par le Centre de recherches pour le développement international, le Conseil de recherches en sciences humaines et les Instituts de recherche en santé du Canada a permis de développer un outil basé sur l’expérience documentée des psychologues et professionnels de la santé, des survivants, des familles de victimes et des leaders communautaires et religieux. Il a aussi permis une revue systématique des programmes de santé mentale mis en place suite à la maladie du virus à Ébola.

Selon le professeur Cénat, les dommages humains, sanitaires et économiques liés à la période épidémique avaient eu un tel impact sur la santé mentale des populations que l’UNICEF a recommandé le développement d’un guide d’intervention psychologique pour répondre aux besoins des communautés touchées par des épidémies de maladies infectieuses.

« Il y avait un besoin criant d’outils cliniques et nous nous y sommes donc attelés », indique le chercheur, qui rappelle que les études montraient que les survivants à la crise de l’Ébola étaient cinq à huit fois plus touchés par la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique, et qu’ils étaient à risque de développer des troubles obsessionnels compulsifs et de la détresse psychologique sévère. Un constat qui appelle des actions programmées en matière de santé publique au Canada et à l’échelle mondiale.

Montage de deux photos montrant le jeu de Scrabble avec le mot résilient et une illustration de personnes en confinement à la maison

Un multi-outil transculturel de l’intervention psycho-sociale

Remanié dans une optique transculturelle, le guide constitué de neufs modules peut s’adapter aux communautés culturelles et à des classes d’âge variées. Il suscite déjà l’intérêt de nombreux pays européens et de pays à faible ou moyen revenu à travers le monde qui voient le potentiel démultiplicateur de cet outil d’intervention. Il est disponible en anglais et en français, et mis gratuitement à disposition des professionnels de la santé pour former le plus grand nombre d’intervenants médicaux, sociaux, pédagogiques et communautaires à la gestion des impacts épidémiques sur la santé mentale des malades, des familles et des soignants.

Même s’il paraît anecdotique qu’un médecin ou un infirmier affiche la photo de son visage sur sa blouse lorsqu’il porte un masque et une combinaison de protection totale, cela peut faire toute la différence pour alléger l’anxiété d’un patient en isolation, en humanisant sa prise en charge. Un exemple parmi tant d’autres des pratiques développées dans ce guide.

« Ce guide doit aider les professionnels de la santé mentale à favoriser la résilience des communautés touchées par la pandémie », explique le professeur Cénat, en précisant qu’à Pékin, New York, Montréal, Kinshasa ou Port-au-Prince, les groupes de populations résistent collectivement et que la résilience doit aussi se concevoir collectivement.