Le genre de technologie propre mis de l'avant par Chidi Oguamanam est très différent de l'image que ce terme évoque généralement. Pas de panneaux solaires hyper sophistiqués, pas d'instruments futuristes et pas de scientifiques dans un laboratoire.
Non, les innovations dont parle le professeur de droit de l'Université d'Ottawa sont plutôt le fruit du long processus d'innovation mené au fil des siècles par des paysans du Ghana, de l'Ouganda et du Nigéria, son pays d'origine.
« Les fermiers du Nigéria font pousser un haricot, le dolique à oeil noir, qui pendant longtemps était la proie d'infestations de charançons, raconte M. Oguamanam. Les fermiers ont remarqué que certaines graines résistaient aux insectes et aux charançons, ils les ont donc sélectionnées et plantées systématiquement, jusqu'à créer de façon traditionnelle un dolique à oeil noir naturellement résistant aux insectes. Puis, d'autres acteurs sont entrés en scène et se sont attribué le mérite. »
Selon le chercheur, il existe chez les paysans et les communautés indigènes de nombreuses pratiques qui sont des exemples exceptionnels de technologies propres, dans la mesure où elles n'exercent pas de pression indue sur la terre, l'environnement ou la biodiversité.
Par exemple, les fermiers plantent stratégiquement une grande variété de légumes ensemble, ce qui tient naturellement les parasites à distance et assure le renouvellement des sols. À l'inverse, en Ontario, les monocultures comme le maïs dépendent de pesticides qui menacent les populations d'abeilles et de fertilisants chimiques qui détruisent les sols.
M. Oguamanam ajoute : « Le mot “avancées” évoque souvent des images de laboratoires modernes. Mais il ne faut pas oublier ces champs où les mères ougandaises comparent l'état de leurs cultures et de leurs animaux, où les femmes ghanéennes sélectionnent des poules dont tous les oeufs donnent des poussins et où les femmes s'échangent des conseils pratiques pour améliorer l'élevage. Par leur observation attentive, les fermiers traditionnels font leur propre oeuvre d'optimisation génétique naturelle. »
Hélas, ce type d'avancées suscite rarement l'intérêt des organismes internationaux, se désole le professeur. Les conventions de propriété intellectuelle régies par les organisations mondiales de commerce ignorent les innovations des indigènes et de leur communauté, ou, au mieux, les traitent comme un aspect périphérique de la production de connaissances.
Résultat : les technologies inventées par les paysans, comme les graines ou les lignées animales améliorées, risquent de plus en plus d'être victimes de « biopiratage » et de tomber sous la coupe de l'industrie, qui les brevette et impose un tarif à leur utilisation, empêchant du coup les paysans de jouir de leur propre invention.
Cette situation, M. Oguamanam veut la changer. À cette fin, il collabore avec des réseaux internationaux, comme Open African Innovation Research, afin de militer pour de nouvelles règles mondiales qui reconnaîtraient et protégeraient explicitement le type de connaissances créé par les fermiers et les communautés indigènes.
« Nous avons mis l'environnement sous pression au point d'entraîner la crise actuelle des changements climatiques, ajoute-t-il. C'est la sonnette d'alarme. Nous devons pratiquer une agriculture à l'empreinte environnementale réduite, qui soit viable à long terme et qui favorise la biodiversité. Nous devons privilégier les pratiques respectueuses de notre environnement qui ont fait leurs preuves. »
« La technologie continue d'avancer dans ces communautés. C'est un effort commun, un mode de vie. C'est aussi méticuleux que ce qui se passe dans un laboratoire, et non moins innovateur. » Si nous voulons une agriculture véritablement durable, dit M. Oguamanam, cette technologie doit être reconnue, encouragée et partagée équitablement entre tous les acteurs.