« Quand je cherchais ma voie dans la profession de biologiste, je me suis rendu compte de l’importance cruciale des plantes et des algues pour l’environnement et pour notre existence même, raconte la professeure Marina Cvetkovska, qui est chercheuse au département de biologie et qui est à la tête du Laboratoire de biologie moléculaire et de génomique, l’une des 26 plateformes technologiques à l’Université d’Ottawa. Dans notre laboratoire, nous cherchons à comprendre le fonctionnement de ces organismes photosynthétiques et les effets qu’ont sur eux les changements climatiques. »
À l’aide de l’équipement de pointe de la plateforme, la professeure Cvetkovska et son équipe d’étudiantes et d’étudiants des cycles supérieurs testent les limites des algues et des plantes et observent leur réaction à différents facteurs de stress, notamment des températures élevées, des coups de froid et l’engorgement des sols reproduisant les conditions de fortes pluies et de la fonte des neiges.
« À long terme, nous espérons parvenir à concevoir des stratégies en vue d’améliorer la croissance et la productivité de ces importants producteurs primaires », explique la professeure.
Les algues polaires ont besoin du froid
Les algues sont les productrices primaires des écosystèmes polaires, car elles sont les seuls organismes capables de survivre à des températures négatives. Elles jouent en outre un rôle important dans la régulation du climat mondial, car elles emprisonnent environ la moitié du dioxyde de carbone de la planète dans les régions polaires.
« Le réchauffement climatique menace la survie des organismes adaptés au froid qui prospèrent dans ces habitats, alerte la chercheuse. Si les algues polaires en souffrent, l’ensemble de la chaîne alimentaire en subira les conséquences. Il est donc crucial de les étudier de près. »
Comment se fait-il que les algues polaires sont capables de vivre dans le froid extrême, et pourquoi souffrent-elles de la chaleur? Pour répondre à ces questions, Marina Cvetkovska et Galyna Vakulenko (M.Sc. 2022) observent une espèce d’algue polaire nommée chlamydomonas priscuii, qui vit sous la glace du lac Bonney, en Antarctique.
À l’aide de l’équipement du Laboratoire de biologie moléculaire et de génomique, l’étudiante a exposé des algues à plusieurs facteurs de stress environnementaux qui menacent les écosystèmes polaires (températures, salinité ou éclairage augmentés) et mesuré les changements dans leur expression génétique, le processus par lequel elles s’adaptent aux conditions avec le temps.
Elle a découvert qu’une famille de gènes de protéines de choc thermique (HSP) est beaucoup plus prévalente dans les algues polaires que dans les autres organismes. Alors que ces protéines s’activent habituellement au moment de protéger les organismes contre les conditions stressantes, elles sont toujours actives dans les algues polaires, ce qui permet de croire qu’elles sont nécessaires à la vie dans le froid extrême.
Galyna Vakulenko a également constaté que l’algue polaire ne répond pas bien aux changements de conditions. Par exemple, sous une température d’environ 15 degrés, ces espèces sensibles sont mortes en un jour. Les protéines HSP, qui aident généralement les organismes à s’adapter aux changements environnementaux, n’ont été d’aucun secours aux algues soumises à un stress thermique.
« L’espèce d’algue polaire que nous avons étudiée est bien adaptée à son habitat extrême de l’Antarctique, mais elle ne réagit pas aux modifications de son environnement, ce qui semble indiquer qu’elle est particulièrement vulnérable aux changements climatiques, résume l’étudiante. Cette étude nous aide à comprendre les effets du réchauffement planétaire sur les écosystèmes polaires et pourrait nous amener à élaborer des stratégies pour améliorer la tolérance au froid des plantes et des algues vertes vivant sous un climat tempéré. »
Maximiser la production horticole
Dans un autre ordre d’idées, en 2020, les propriétaires d’une culture de cannabis ont demandé à la professeure Cvetkovska et à l’une de ses étudiantes, Josephine Payment (M.Sc. 2023), quelle était la meilleure période pour ensemencer leurs champs.
« Ces personnes craignaient d’exposer leurs plants à d’importants dommages en semant trop tôt, disons en avril, lorsqu’il subsiste un risque élevé d’intempéries, comme cette terrible tempête de verglas qui vient de se produire, précise la chercheuse. À l’inverse, si on attend que la météo se stabilise, les plants ont moins de temps pour croître et produisent moins. En somme, il s’agissait de savoir si les plants pourraient survivre à l’éventuel mauvais temps ou s’il était préférable d’attendre les beaux jours. »
Josephine Payment en a fait le sujet de sa thèse de maîtrise, en utilisant les infrastructures de la plateforme technologique. Elle a exposé les plants à des coups de froid, à l’engorgement des sols et à une combinaison des deux facteurs de stress pour reproduire les conditions du début du printemps en Ontario.
Les deux chercheuses s’attendaient à ce que l’exposition simultanée aux deux facteurs de stress endommage gravement les plants. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit. Les plants ayant subi un coup de froid et une inondation ont mieux survécu que ceux qui avaient été exposés à une inondation seulement.
« Le froid pourrait donc avoir un effet protecteur en faisant entrer le plant en dormance, conclut la professeure Cvetkovska. Notre message aux producteurs est donc qu’il y a peu de risque à ensemencer tôt. D’après nos observations, les pousses interrompent leur croissance dans des conditions défavorables, mais la reprennent par la suite. »
Josephine Payment a utilisé des plants de tabac pour son expérience, et la professeure testera son hypothèse sur d’autres espèces cultivées au Canada, comme le soja, l’orge et le blé.
« Les facteurs de stress comme les coups de froid, la fonte des neiges et l’engorgement des sols nuisent aux plants en début de croissance et causent des pertes majeures dans le secteur agricole partout dans le monde, poursuit l’étudiante. Cependant, on en sait très peu sur la réaction des pousses en présence de plusieurs facteurs. La recherche dans cette branche de la biologie végétale contribuera sans doute à améliorer l’agriculture et à éclairer les méthodes de sélection des plantes. »