Les iniquités en question sont lourdes de conséquences : instabilité des revenus, du logement et de l’approvisionnement alimentaire, stress, problèmes de santé physique et mentale, diminution de l’espérance de vie, et plus encore. Et ces conséquences se font sentir non seulement sur la santé individuelle, mais aussi sur la santé des familles, des communautés et des générations futures.
Nous avons parlé à trois membres de la communauté de recherche de l’Université d’Ottawa dont les travaux portent justement sur les iniquités en matière d’emploi, d’éducation et de santé mentale touchant les personnes noires : le professeur Kon K. Madut, la candidate au doctorat Karine Coen-Sanchez et l’étudiante de cycle supérieur Wina Paul Darius. Voici leurs réflexions sur les moyens de corriger ces iniquités et de construire un avenir plus inclusif – et donc plus sain – pour tout le monde.
Les réalités des communautés noires
Le professeur Kon K. Madut (École d’études politiques) s’intéresse aux iniquités économiques et en matière d’emploi propres à la communauté immigrante canadienne. Il parle d’expérience : lui-même a immigré au pays et a dû y chercher un emploi à titre de professionnel de l’étranger.
Avant même qu’il ne mette les pieds au Canada, on a évalué son aptitude à y travailler. Tout se déroulait à merveille avec les services d’immigration : ni racisme ni discrimination. Il était convaincu qu’un avenir radieux l’attendait au Canada. Malheureusement, il est vite tombé des nues, comme bon nombre de personnes nouvellement arrivées au pays.
Le ton chaleureux des services d’immigration a laissé place au froid scepticisme des employeurs et des collègues. Les compétences jugées acceptables avant son arrivée ne suffisaient soudainement plus, ou bien on lui disait que le poste exigeait de l’expérience en territoire canadien.
Face à pareille situation, de nombreuses personnes immigrées cherchent à élargir leur formation ou leur expérience dans des domaines connexes. Pas par manque d’expérience ou de compétences, souligne le professeur Madut, mais parce qu’elles ont affaire à des établissements dont la structure et la mentalité sont enracinées dans des constructions discriminatoires dépassées qui remontent à l’époque colonialiste.
« Les recherches démontrent que des individus en parfaite santé à leur arrivée au Canada, mais qui peinent à s’y établir, voient souvent une nette détérioration de leur état de santé dans les cinq à dix années suivant leur installation, souligne-t-il. On constate également que le chômage, les changements de rôles et l’accumulation de petits boulots ont des répercussions sur les liens familiaux et sociaux. »
Ces expériences ont des effets dévastateurs sur la santé physique, mentale et sociale. Comme le révèlent les travaux de Wina Paul Darius et de l’équipe du Laboratoire de recherche vulnérabilité, trauma, résilience et culture, les personnes confrontées à une forte discrimination au quotidien sont plus susceptibles de déclarer une faible estime de soi, des signes de dépression ou des symptômes psychosomatiques, par exemple.
« Les recherches démontrent que des individus en santé à leur arrivée au Canada, mais qui peinent à s’y établir, voient souvent une détérioration de leur santé dans les années suivant leur installation... »
Professeur Kon K. Madut
— École d'études politiques
Mieux connaître le contexte pour améliorer la santé
Le trio est unanime : le concept de santé individuelle et collective dépasse la simple absence de maladie. La santé résulte plutôt d’un équilibre entre différents facteurs physiques, psychologiques et sociaux.
Karine Coen-Sanchez avance que voir la santé comme une affaire non pas individuelle, mais collective, il nous faut apprendre à reconnaître et filtrer les constructions sociales et culturelles émaillant notre monde afin d’éveiller notre conscience et de développer notre sentiment d’appartenance.
« C’est en apprenant à observer activement ces constructions que nous parvenons à voir la situation sous un angle différent et à mieux comprendre qui nous sommes réellement, au lieu d’accepter une construction qui nous a été inculquée. »
À l’échelle individuelle, nous devons nous demander si nos opinions sont réellement les nôtres ou si elles sont le produit de ces constructions insidieuses, explique-t-elle. À l’échelle institutionnelle, il faut mettre au jour les barrières procédurales, sociales et historiques touchant les groupes en quête d’équité, estime Kon K. Madut.
Par exemple, le professeur Madut donne à l’Université d’Ottawa un cours sur le développement international en Afrique. Normalement, ce genre de cours expose les conséquences du sous-développement sur le continent, mais le professeur Madut en explique aussi les causes, à savoir les barrières érigées par l’histoire colonialiste de l’Afrique qui freinent le développement local.
Cette perspective met également en lumière les influences coloniales externes qui ont bouleversé le paysage culturel africain. Elle déconstruit l’idée d’une Afrique composée de pays pauvres et sous-développés, alors que ceux-ci regorgent de ressources dont dépendent les sociétés occidentales. Cette remise en contexte a de quoi changer complètement la façon de voir les choses chez la population étudiante et la communauté de recherche.
Pour Karine Coen-Sanchez, cette étudiante à l’École d’études sociologiques et anthropologiques qui s’intéresse à l’éducation et à l’apprentissage ancré dans le milieu, l’idéal serait d’adapter l’enseignement en fonction des réalités locales, de la situer dans la communauté et la nature environnante. Les personnes qui se reconnaissent dans le contenu enseigné l’assimilent mieux et développent un sain sentiment d’appartenance.
« La plupart des programmes d’enseignement au Canada ne reflètent pas la diversité de notre société ou sa véritable histoire, estime-t-elle. Ils sont conçus à partir d’une version archaïque et inexacte des faits. Ainsi, les membres des communautés noires ne se reconnaissent pas dans les livres scolaires. Il en ressort un manque de confiance en soi ainsi qu’un sentiment d’invisibilité et d’isolement. »
Le professeur Madut dit qu’il a commencé à remarquer un changement dans les dernières années. Les principes d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) gagnent du terrain. Il voit davantage de visages noirs dans les établissements et parmi la population étudiante.
« Ce genre de changement est dur à réaliser, et il y a encore beaucoup de résistance à surmonter, affirme-t-il. Il faudra des années d’efforts avant que les choses changent réellement, mais chaque petit geste pour effacer les constructions sociales et les obstacles systématiques compte et se répercutera de génération en génération. »
« C’est en apprenant à observer activement ces constructions que nous parvenons à voir la situation sous un angle différent et à mieux comprendre qui nous sommes réellement. »
Karine Coen-Sanchez
— École d'études sociologiques et anthropologiques
Le rôle des universités dans ce chantier de déconstruction
« Les universités ont la possibilité d’amener les nouvelles générations à réfléchir aux paramètres raciaux prévalents afin qu’elles puissent prendre le recul nécessaire pour combattre les pratiques discriminatoires de la société, déclare Karine Coen-Sanchez. À leur sortie de l’université, les étudiantes et étudiants devraient être capables de voir les choses sous un autre angle, de comprendre la réalité des barrières structurelles et d’affronter la société telle qu’elle est. »
Le professeur Madut ajoute que la population étudiante, les programmes d’enseignement, le corps professoral et la communauté de recherche doivent refléter la diversité de la société, l’ultime bénéficiaire de leurs travaux.
Parlant de diversité, de représentativité et d’exactitude des faits, Wina Paul Darius suggère d’inviter des conférencières et conférenciers ayant une expérience concrète du sujet. Comme elle le dit : « en devenant plus inclusif, le Canada ne peut que s’améliorer. »