Note : ce texte a été publié à l’occasion de la conférence 2023 du Centre sur les politiques scientifiques canadiennes
Une richesse pour le Canada
Avec cet objectif en tête, la présence d’un milieu scientifique francophone dans notre écosystème de la recherche au Canada doit être absolument considérée comme un atout majeur et, en conséquence, préservée pour sa juste valeur. La science en français porte en elle un héritage scientifique séculaire, un réseau de collaborations internationales solides et durables, des objets et des méthodologies de recherche diversifiés, des institutions universitaires et des organismes de recherche dynamiques. Au cœur de cette diversité, la francophonie institutionnelle, par le biais de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), regroupe à ce jour 88 États et gouvernements dans le monde; l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) jouit d’une importante communauté dans environ 120 pays, comptant plus de 1 000 établissements d’enseignements et de recherche, dont 33 au Canada, dans huit provinces. Les quelque 321 millions de francophones dans le monde, dont plus de 10 millions au Canada, constituent un bassin de population extrêmement important, dynamique et diversifié qui peut et doit être instruit et constamment informé dans sa langue maternelle ou sa langue d’usage pour comprendre adéquatement les enjeux scientifiques qui se présentent à lui. Ces enjeux représentent plus que jamais des défis vitaux : changement climatique, santé, alimentation et agriculture, développement urbain, migration, éducation, énergie, et bien d’autres.
Une diversité scientifique malmenée
La science en français, lorsque réduite à une particularité de langage, place l’ensemble de l’écosystème scientifique francophone dans une étroite situation de subordination ou de dépendance. Prenons par exemple le domaine de la santé : la langue est reconnue comme l’un des déterminants sociaux de la santé. Ce faisant, elle devrait être aujourd’hui prise en compte systématiquement dans la recherche afin de réduire les inégalités en santé touchant particulièrement certaines communautés francophones, dont les personnes âgées et les personnes vivant dans des régions rurales éloignées. De fait, si la science est publiée majoritairement en anglais, les transformations sociales, culturelles et technologiques qui en découlent affectent des populations et des communautés qui sont très largement non anglophones.
Bien que le français au Canada soit effectivement une langue officielle numériquement minoritaire, la science en français ne peut être réduite à une approche comptable et ainsi minorisée – sauf si l’on considère que tous les écosystèmes scientifiques non anglophones dans le monde sont inférieurs et qu’il faut les traiter comme tels par des politiques de seconde zone. Le risque serait de réduire dangereusement la diversité des milieux intellectuels et d’assécher durablement notre capacité à débattre, créer et inclure la différence dans nos politiques publiques. Notre tradition nationale, fort heureusement, ne va pas pour l’instant dans cette direction.
Poursuivre une éducation et maintenir un environnement de recherche compétitif et de qualité sont des objectifs publics qui répondent à une exigence de développement de société plus inclusive, tant à l’échelle canadienne que sur la scène internationale. Pourtant, la science en français n’affiche pas une santé à la hauteur de son importance. Plusieurs rapports récents pointent les nombreuses difficultés auxquelles font face les chercheuses et chercheurs, les centres et instituts de recherche francophones et les universités francophones et bilingues au pays. (Acfas 2021, Comité permanent de la science et de la recherche, Rapport final des États généraux de l’ACUFC et de la FCFA) Ces rapports et études ont été largement repris dans les médias, surtout francophones. À ce jour, des mesures concrètes fortes qui pourraient corriger ce déséquilibre structurel en défaveur de la science en français se font toujours attendre pour répondre aux nombreuses et pertinentes recommandations préconisées dans ces différents rapports.
S’engager en faveur de la science en français, c’est d’abord vouloir connaître et reconnaître l’ensemble des acteurs et des institutions clés qui contribuent au cycle de production de la science : les utilisateurs de connaissances, à savoir les communautés francophones et leurs organisations porte-parole, les établissements de formation et de recherche, les chercheuses et chercheurs, les centres et instituts de recherche, les organismes de soutien à la recherche, les agences subventionnaires (fédérales et provinciales), le monde de la publication et de la diffusion du savoir sous toute ses formes (revues, scientifiques, médias, organismes diffusant du contenu culturel). Tous ces acteurs participent au dynamisme et à la pérennité de la science en français au pays. Or, tous connaissent et affrontent actuellement des défis importants qui, pour certains, menacent jusqu’à leur existence (les universités franco-ontariennes, par exemple).
Une stratégie nationale pour la science en français
Le cycle de production d’une science en français se retrouve ainsi grippé à tous les étages, et s’affaiblira dangereusement sans l’adoption de mesures concrètes et concertées. Le temps des constats et des recommandations est maintenant passé. Les diagnostics sont connus et les pistes de solutions ont été largement discutées, évaluées et approuvées par la communauté scientifique francophone. Aujourd’hui, sans la mise en œuvre d’une véritable stratégie nationale pour la science en français qui mobilise l’ensemble des acteurs, le Canada se retrouvera bientôt avec une culture scientifique amoindrie, avec un héritage scientifique abandonné et une voix qui portera moins loin. Une telle stratégie consisterait d’abord et avant tout à mieux coordonner les initiatives et les acteurs qui aujourd’hui font vivre la science en français. Le monde de la recherche a collectivement les capacités de dessiner les contours d’une feuille de route ambitieuse avec le soutien des agences subventionnaires et des ministères responsables de la recherche et de l’enseignement supérieur au niveau fédéral et provincial. Sans une véritable stratégie pour soutenir la science en français, le Canada se privera de solides partenaires dans la compétition féroce pour la société du savoir, pour la course à l’innovation et au développement économique. L’importance que prend aujourd’hui la diplomatie scientifique nous rappelle que la science est une composante majeure des affaires internationales et de la sécurité de nos sociétés.