L'honorable Karim A. A. Khan KC, Procureur en chef de la Cour pénale internationale (CPI), a prononcé la conférence Elie Wiesel 2023 sur les droits de la personne, organisée conjointement par le Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne de l'Université d'Ottawa et le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne (CRWDP), et parrainée par la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, le Forum pour le dialogue Alex-Trebek, La Société des plaideurs et Gowling WLG. L'événement a eu lieu au Musée des beaux-arts du Canada la soirée du 4 mai. Il a été précédé d'une réception privée, et suivi d'une réception publique par la suite.
La conférence a débuté par une affirmation autochtone de Sophie Thériault, professeure et vice-doyenne de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa (Section de droit civil), afin de rendre hommage à la nation algonquine, sur les terres ancestrales de laquelle la conférence a eu lieu. Ensuite, l'honorable juge Rosalie Abella, anciennement de la Cour suprême du Canada (2004-2021), a présenté dans un message vidéo l'ancien ministre de la Justice et procureur général du Canada, le professeur Irwin Cotler. Madame Abella a félicité le professeur Cotler, ainsi qu'Elie Wiesel et Raoul Wallenberg, pour leur travail visant à marier la justice et le droit.
Alors que des États puissants refusent de ratifier le Statut de Rome, s'opposent à la juridiction de la Cour pénale internationale et contestent même l'utilité de la Cour pour parvenir à une forme quelconque de justice mondiale, et que la CPI a récemment lancé des mandats d'arrêt contre le président russe Vladimir Vladimirovitch Putin et la Commissaire russe aux droits de l'enfant, Maria Alekseyevna Lvova-Belova, il est intéressant que le Procureur Khan ait choisi d'axer sa conférence sur l'universalité de la quête de justice et la malléabilité de la justice plutôt que de promouvoir le travail de la CPI.
Le ton général de la conférence était empreint d'humilité ; il a fait l'éloge de ses co-présentateurs, en particulier du grand Elie Wiesel en l'honneur duquel cette conférence était donnée, et il n'a pas parlé des contributions de la CPI, préférant reconnaître le manque de crédibilité auquel la Cour et le droit international sont confrontés. Dans le prologue de ses remarques, le Procureur a précisé qu'il n'était pas dans les "affaires de l'exportation", faisant ainsi un clin d'œil à la perception générale que le rôle du Procureur est de faire de la publicité et de défendre la suprématie de la CPI en matière de responsabilisation et de justice pour les crimes commis. Le procureur Khan a souligné l'importance de collaborer avec les communautés locales dans leurs langues respectives et leurs sources de moralité, plutôt que d'utiliser des platitudes distantes et creuses sur les droits et la justice. Il n'est donc pas surprenant que le discours n'ait pas été une publicité pour les contributions positives de la CPI, mais un aveu capitulative que toute justice doit être menée au niveau local.
L'accent particulier mis sur la compréhension et la réalisation de la justice au-delà de la CPI peut également être interpreté comme une tentative du Procureur de configurer son discours pour qu'il corresponde au thème de la conférence Elie Wiesel sur les droits de l'homme : la quête de la justice. Cependant, la conférence a également illustré la vision relativement nouvelle du Procureur quant à son rôle et à celui de la CPI dans la réalisation de la justice globale. Le message général de la conférence était un message d'espoir, équilibrant à la fois les échecs du passé et les opportunités de l'avenir, et encourageant l'auditeur à continuer à insister sur la création de normes de base et à lutter contre l'apathie.
Tout au long de sa conférence, le procureur Khan a cité un large éventail de textes religieux, en particulier le Coran, pour justifier l'existence et la persistance des droits de l'homme. Ce choix est compréhensible en raison du thème de la conférence Elie Wiesel sur les droits de l'homme. Elie Wiesel était, entre autres, un survivant de l'holocauste. Lui-même musulman pratiquant, le choix du procureur Khan de citer le Coran pourrait être interprété comme un choix de déstigmatisation de l'islam - une démarche efficace étant donné que l'islam, religion de paix, a été si souvent mal interprété et fait l'objet de nombreuses critiques, ce qui a entraîné des violations des droits de la part de nombreux musulmans.
Toutefois, ce choix de citer des textes religieux pour justifier l'existence des droits de l'homme internationaux était insatisfaisant : la justification des droits de l'homme uniquement parce qu'ils sont importants et que tous les êtres humains y ont droit, quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions religieuses. En outre, les citations en question ne concernaient que les religions abrahamiques. Il est important de reconnaître qu'une justification religieuse des droits de l'homme n'aurait peut-être pas trouvé un écho aussi fort auprès des participants qui n'adhèrent pas à une religion abrahamique ou à une religion quelconque. Ainsi, même si la justification religieuse a de la valeur, on aurait apprécié un éventail plus large de justifications qui soient inclusives tout en étant substantielles.
La conférence s'est terminée par une brève période de questions et réponses, dont une question particulièrement intéressante : « Comment aller de l'avant ? » En effet, compte tenu de toutes les failles du système judiciaire international et des échecs passés, comment pouvons-nous aller de l'avant, en tant que communauté internationale, pour renforcer nos institutions et rendre la justice de manière significative ? Toujours optimiste et pragmatique, le Procureur a parlé à la fois de l'importance de relier la loi aux individus par la création de bases communes et de la nécessité d'augmenter le financement de la CPI. Bien que le financement de la CPI soit "dérisoire" par rapport à celui d'autres organisations, le Procureur a reconnu à juste titre qu'il fallait montrer que cet argent soit dépensé de manière efficace.
Le Procureur Khan a conclu en remarquant que le droit pénal international n'est pour l'instant qu'une jeune pousse et qu'il n'est pas encore l'arbre puissant que nous voulons qu'il devienne. Cependant, si nous nous décourageons et cessons de le nourrir, il n'aura aucune chance de grandir. Nous devons continuer à responsabiliser les jeunes institutions lorsqu'elles trébuchent et nous efforcer de faire mieux à chaque instant. Dans l'ensemble, la conférence était un bon mélange d'optimisme et de réalisme, avec un thème général d'espoir pour l'avenir de la CPI et l'avenir du droit international.