Dans le cadre de la série Les universitaires en éducation, nous avons discuté avec Béatrice de Montigny de l’importance d’outiller les pédagogues pour enseigner le consentement ainsi que de ses espoirs quant à l’application de sa recherche en classe.
Cette recherche est financée partiellement par une bourse doctorale du Conseil de recherches en sciences humaines.
Parlez-nous de vous et de ce qui vous a mené au doctorat en éducation.
Depuis que je suis toute petite, je m’intéresse au développement de l’enfant et à l’éducation. Je jouais à l’enseignante avec un tableau, de la craie et des peluches !
Plus tard, j’ai été monitrice de ski pour les enfants de quatre et cinq ans, animatrice de camp, puis instructrice aquatique. J’ai fait de la suppléance dans des écoles primaires au Québec durant mon baccalauréat. C’était évident pour moi (et pour tous les gens qui me connaissent !) que j’allais enseigner.
Pendant que j’étudiais le développement international à l’Université d’Ottawa, j’ai fait des stages d’enseignement bénévoles; je suis d’ailleurs partie enseigner l’anglais à Zanzibar et aux îles Galápagos. C’était une façon de voyager tout en explorant différents systèmes d’éducation, et c’est à ce moment que j’ai pris goût à la formation à l’enseignement. Les stages que j’ai faits durant mon baccalauréat en enseignement m’ont fait réaliser à quel point j’adore être en classe, donc j’ai décidé d’enseigner au primaire pendant environ 10 ans avant de retourner sur les bancs d’école au doctorat.
Décrivez votre thèse de doctorat pour notre lectorat.
Mon projet de recherche doctorale porte sur l’enseignement du consentement dans les écoles primaires francophones en Ontario. Plus précisément, je fais une recherche développement, ce qui signifie que ma thèse comporte des aspects théoriques – par exemple, élaborer une définition du consentement à utiliser en classe basée sur la documentation scientifique en droit, en philosophie et en sociologie –, mais également une grande partie pratique.
Mon objectif est de concevoir une formation pour le personnel scolaire afin de mieux l’outiller à discuter de consentement avec les élèves, et ce, de manière continue, graduelle et appropriée tout au long de leur scolarité. Pour ce faire, j’ai créé un questionnaire qui me sert à comprendre ce dont a besoin le personnel enseignant d’aujourd’hui et de demain et de quelle manière il entrevoit l’enseignement de la sexualité et du consentement. J’ai aussi demandé l’aide de spécialistes de divers domaines (enseignement, sexologie, psychoéducation, prévention de la violence sexuelle, etc.) afin de m’assurer que la formation soit équilibrée et pertinente.
Qu’est-ce qui vous a poussé vers l’étude de l’éducation sexuelle et le consentement ?
L’idée de cette étude découle d’un mélange d’expériences personnelles et professionnelles, et aussi du climat social actuel. J’ai commencé à y réfléchir en 2020, quand les médias québécois parlaient d’une vague de dénonciations d’agressions et de violence sexuelle dans le domaine artistique. Le discours à l’époque démontrait un manque de compréhension du consentement, puisque l’idée était – et est encore – qu’une agression est commise par un inconnu et impliquer de la violence physique. Or, les statistiques et la recherche montrent qu’elle est principalement commise par quelqu’un que l’on connaît.
Simultanément, on a commencé à parler de « coercition », et la notion de consentement s’est donc élargie pour englober tout un continuum de gestes – insistance, chantage émotif, attouchements inappropriés, etc.
En tant qu’enseignante au primaire, je me suis demandé si on ne devait pas faire de la prévention dès le primaire en abordant le consentement au sens large, comme le fait de demander la permission et de respecter la réponse de l’autre (p. ex. quand il est question de partager un jouet, de faire un câlin ou de cesser un comportement à la demande de ses camarades). Qu’est-ce qui se passerait si, dès l’âge de quatre ans, les élèves comprenaient qu’ils et elles peuvent dire non et que leurs désirs doivent être respectés ?
À qui voudriez-vous que vos travaux profitent ?
J’espère que mon travail aura des effets positifs autant sur le personnel enseignant que sur les élèves. J’essaie d’outiller, par la conception d’une formation, le personnel scolaire responsable d’enseigner le consentement – une notion qui fait partie du programme dès la première année en Ontario. Ce n’est pas tout le personnel qui est formé adéquatement pour enseigner un tel sujet, ce qui signifie que bien des gens sont mal à l’aise de le faire et ne savent pas comment s’y prendre. Cependant, pour que les élèves comprennent le consentement, il est primordial que le corps enseignant lui-même ait une compréhension solide de cette notion complexe, parfois taboue.
J’espère que les élèves développeront davantage leur compréhension du consentement pour être ainsi en mesure d’avoir des relations interpersonnelles plus saines, autant en amitié qu’en amour. Pris individuellement, les messages que nous leur transmettons lors de nos interventions peuvent sembler sans importance, surtout en bas âge, mais on devrait plutôt les voir comme un échafaudage. Au fil du temps, les enfants assimilent ce qu’on leur a dit, et c’est ce qui influence leur comportement. Le message doit donc être cohérent et constant. Selon moi, il sera bien plus facile de comprendre le consentement sexuel si les élèves comprennent déjà le consentement au sens large.
Y a-t-il eu des surprises au cours de vos recherches ?
Je dirais que ce qui me surprend (agréablement) est la réception positive des membres du corps enseignant et de la population étudiante en formation à qui je parle de ma recherche. Je ne savais pas si j’étais la seule qui s’intéressait à cette question. Le personnel enseignant a aussi beaucoup de choses sur son assiette, donc je ne voulais pas en mettre encore plus. C'est la raison pour laquelle j’ai décidé de monter une formation montrant comment utiliser des « moments d’enseignement » quotidiens plutôt qu’un programme à part. Je dirais qu’à date, le message qui revient le plus souvent est qu’iels savent que c’est important d’en parler et veulent le faire, mais ne savent pas quelle est la meilleure façon.
Votre réflexion a-t-elle été influencée par un livre ou une idée ?
J’ai été frappée par l’article de la sociologue Liz Kelly de 1987, intitulé « The Continuum Of Sexual Violence ». J’ai trouvé fascinant le fait qu’un article datant de plus de 30 ans soit toujours aussi pertinent, assez pour qu’il fasse l’objet d’une traduction en 2019. Liz Kelly soutient que le type d’acte de violence sexuelle n’est pas directement lié à la gravité des répercussions. De ce point de vue, il est clair que le continuum n’est pas linéaire, mais plutôt circulaire. Sa recherche montre que la plupart des femmes interviewées ont vécu de la violence sexuelle, et ce sans nécessairement le réaliser sur le moment.
Pourquoi avoir choisi l’Université d’Ottawa ?
J’ai choisi l’Université d’Ottawa pour deux raisons. D’un côté, j’ai fait toutes mes études universitaires à cet endroit et j’ai adoré mes expériences. Étant enseignante en Ontario et voulant faire une recherche sur le contexte éducatif ontarien, je trouvais logique de continuer dans une université au coeur de cette réalité. C’était également très important pour moi de pouvoir étudier et travailler en français. De l’autre côté, j’ai eu la chance incroyable de trouver ma superviseure de thèse, la professeure Marie-Hélène Brunet. Dès notre première rencontre, j’étais emballée par toutes les idées de projets sur lesquels je pourrais travailler avec elle. Elle a tout de suite cru en mon projet et en moi, et n’a jamais cessé de m’appuyer, de me conseiller et de pousser ma réflexion. Mon parcours doctoral ne serait assurément pas aussi positif sans elle !
À propos de Béatrice de Montigny
Béatrice de Montigny est doctorante et professeure à temps partiel à la faculté d'éducation. Ses publications récentes incluent Définir le concept de consentement en contexte éducatif : proposition à partir de la Toile de l’égalité ; Éducation à la sexualité et diversité des apprenants. Enjeux irréconciliables ? et Passage problématique en lecture de groupe : 3 solutions (2024).