Dans cet entretien, il rappelle les racines historiques du fait noir au Canada, soulignant sa présence depuis 1604, et aborde les défis actuels relatifs à l’EDI. M. Ibrahim parle également de l’expérience de la communauté étudiante noire et des initiatives à venir, notamment une table ronde sur l’incidence du Mois de l’histoire des Noirs dans le milieu de l’éducation.
Pourquoi est-ce important de célébrer le Mois de l’histoire des Noirs?
Pour comprendre ce que nous célébrons, il faut d’abord situer dans le temps le fait noir au Canada : celui-ci remonte à 1604, c’est-à-dire avant même que notre pays s’appelle le Canada. Beaucoup pensent à tort que la présence de personnes noires au Canada est un phénomène récent – il s’agit-là d’un mythe tenace.
En réalité, cette présence en est une de longue date, ce qui complexifie l’idée qu’on se fait de l’identité canadienne. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il nous faut concevoir l’histoire des Noirs comme faisant partie intégrante de l’histoire canadienne, ancrer l’identité noire dans l’identité canadienne. Le Mois de l’histoire des Noirs est l’occasion de nous renseigner, de prendre conscience de leur présence continue en sol canadien. C’est un mois important, car il nous invite à marquer un temps d’arrêt pour reconnaître les bons coups et l’excellence des membres de la communauté noire, de même que l’histoire du fait noir au Canada. Cela étant dit, il faut éviter de voir la célébration du fait noir ou le Mois de l’histoire des Noirs comme un événement ponctuel qu’on souligne quelques jours et qu’on oublie après.
Que signifie le Mois de l’histoire des Noirs pour les étudiantes et étudiants internationaux noirs?
Il revêt une grande importance, même si ce n’est pas tout le monde qui connaît bien le fait noir au Canada. La compréhension de l’identité noire varie d’un individu à l’autre, selon les expériences personnelles, le pays d’origine et son histoire. Par exemple, en Afrique, il n’est pas question de personnes noires : il y a des Africains et des Africaines. Même chose en Jamaïque : il y a des Jamaïcains et des Jamaïcaines. Autrement dit, le fait d’être noirs n’est pas un élément déterminant de leur identité. C’est à leur arrivée ici que ces personnes immigrantes se trouvent à endosser l’identité noire. Elles se familiarisent avec la longue histoire et la réalité de la communauté noire au Canada, sans nécessairement saisir la diversité et l’ampleur des défis quotidiens. Peu à peu, elles réalisent ce que ça signifie pour elles d’être noires au Canada. C’est le début d’un processus que j’appelle « devenir noir ».
Vous travaillez avec les différentes facultés de l’Université. Quels changements envisagez-vous en matière d’EDI?
Récemment, lors d’une réunion axée sur les défis et les pratiques exemplaires d’EDI, nous avons constaté que de grands efforts étaient déployés à l’Université en ce sens, mais que ceux-ci se faisaient en vase clos. Nous avons donc convenu que les vice-doyennes et vice-doyens formeraient mon comité consultatif et deviendraient mes yeux et mes oreilles dans leur faculté respective. Nous abandonnons les ateliers sur l’EDI; les études montrent que ce genre d’ateliers ne donne pas de résultat concluant, qu’ils deviennent une case qu’on coche. Nous voulons que chaque faculté conçoive son propre programme en matière d’EDI en fonction de ce qui a déjà été fait, de ce qui se fait et de ce qu’il reste à faire.
Les vice-décanats analysent actuellement ce qui est mis en œuvre et enseigné dans leur faculté du point de vue de l’EDI, et ils bâtiront des programmes en conséquence plutôt que d’organiser des ateliers théoriques.
Je travaille en étroite collaboration avec eux pour les épauler dans l’élaboration de ces programmes et proposer des pistes de solution aux enjeux qui les préoccupent. Je tiens toutefois à préciser que mon approche n’est pas hiérarchique, mais plutôt consultative. Le but est d’explorer d’autres façons de penser, d’analyser les mesures qui ont déjà été mises en place, d’avoir des « conversations courageuses ».
Pour amorcer le processus de réflexion et trouver les réponses à ses problèmes, il faut d’abord se poser les bonnes questions.
Que pensez-vous de l’expérience de la communauté étudiante noire à l’Université d’Ottawa?
Selon moi, la question qu’il faut se poser, c’est comment assurer la meilleure expérience possible à l’ensemble des membres de la population étudiante, de leur arrivée sur notre campus jusqu’à l’obtention de leur diplôme, et pas seulement à ceux et celles faisant partie de la communauté noire. Ça inclut les expériences sur le plan de la culture, de la scolarité, de la vie sociale et de la santé en général, car l’EDI s’introduit dans tous les aspects de l’expérience étudiante. À mes yeux, mon travail est social, dans tous les sens du terme. Je veux que tout le monde se sente à sa place ici. J’ai déterminé que j’avais besoin de quatre personnes clés pour atteindre cet objectif. Elles constitueraient mon comité consultatif et s’occuperait chacune d’un des quatre axes prioritaires : les données (Manon Desgroseilliers), la santé et le mieux-être (à déterminer), le corps professoral (moi-même) et le personnel non enseignant (Jean-Yves Hinse). Ensemble, nous offrirons un meilleur soutien aux membres de nos communautés racisées.
Y a-t-il autre chose que vous aimeriez ajouter sur le Mois de l’histoire des Noirs?
L’EDI et le Mois de l’histoire des Noirs ne devraient pas être perçus comme une tâche ou une case à cocher, ni comme une cause qui concerne uniquement les minorités. C’est un projet de société, un projet qu’on devrait chérir.