Que ce soit à l’université ou sur le marché du travail, la capacité de lire, comprendre et expliquer des articles scientifiques est une compétence cruciale. Or, vu sa complexité, ce type de documents donne du fil à retordre à beaucoup de gens. Le langage dense, le jargon technique et les concepts abstraits peuvent en décourager plus d’un.
Ce problème n’est pas confiné aux laboratoires et salles de classe. Les journalistes ont besoin de comprendre la recherche pour en rapporter fidèlement les résultats et donner au public des informations fiables. De même, les rédacteurs professionnels doivent traduire les découvertes scientifiques pour les médias et le grand public. Les décideurs, eux, s’appuient sur ces connaissances pour faire des choix éclairés.
Conscient de la difficulté, Emilio Alarcón, Ph.D., professeur à l’Université d’Ottawa et chercheur à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, s’est associé à Jinane El-Hage, étudiante à la maîtrise en biochimie, pour trouver une solution.
Le résultat? Comment lire un article scientifique en sciences biomédicales, un des premiers guides offerts en libre accès à fournir les outils nécessaires pour bien décortiquer les articles scientifiques.
« En science, la communication est tout aussi importante que la pensée critique et l’analyse des données, indique Emilio Alarcón. Pour bien communiquer, il faut comprendre l’information, mais aussi veiller à ce que les lecteurs la comprennent aussi. C’est essentiel pour renforcer la culture scientifique et lutter contre la désinformation. »
Le guide offre à la fois une base théorique et des stratégies pratiques pour structurer le processus de lecture et aiguiser l’esprit critique et la compréhension.
Une méthode pour bien lire
« La lecture est un art, certes, mais c’est aussi une compétence qui s’acquiert, rappelle Emilio Alarcón. La plupart d’entre nous pensent savoir lire, mais le faire dans un but précis est beaucoup plus difficile. »
Cette difficulté est particulièrement présente à l’université. Beaucoup d’étudiants et d’étudiantes se sentent dépassés par les articles scientifiques qu’ils ont à lire, faute d’outils pour les décoder efficacement.

L’approche traditionnelle en enseignement universitaire est de leur donner des articles à lire et à résumer, mais sans nécessairement leur enseigner les compétences nécessaires à l’analyse critique et à l’extraction d’informations clés.
« En réalité, ce n’est pas comme ça que les êtres humains apprennent, explique Emilio Alarcón. Le véritable apprentissage est le fruit d’une interaction avec le matériel, de la remise en question des hypothèses et de l’établissement de liens entre les idées. Sans une feuille de route détaillée, il peut être difficile d’atteindre son objectif ».
Comment lire un article scientifique en sciences biomédicales vient combler cette lacune en offrant des guides structurés – des feuilles de route – qui permettent d’extraire les informations essentielles pour maximiser la compréhension et l’analyse du contenu.
Des outils pour tous
L’une des principales caractéristiques de l’ouvrage est l’inclusion d’outils interactifs et adaptables qui s’adressent à des lecteurs de différents niveaux et origines.
Mentionnons entre autres une fiche pour noter et définir les termes inconnus, une liste de vérification pour évaluer la lisibilité et la qualité de l’article, une grille d’évaluation et une fiche-résumé pour dégager la structure et les idées du texte.
La flexibilité de chaque outil permet aux apprenants de les adapter à leur propre style d’apprentissage et ainsi de bénéficier d’une approche personnalisée pour améliorer leurs capacités d’analyse et de compréhension.
« Nous avons conçu ces outils pour qu’ils puissent être utilisés par n’importe qui, des élèves du secondaire aux doctorants, sans oublier les professionnels, poursuit Emilio Alarcón. L’objectif est d’aider des personnes de différents niveaux d’instruction ou d’expertise à aborder la littérature scientifique d’une façon qui leur convient. »
L’intelligence artificielle face à l’humain
Une partie du guide est consacrée à la comparaison de résumés rédigés par des étudiants à des résumés générés par ChatGPT. L’exercice illustre la capacité limitée de l’intelligence artificielle (IA) à saisir les nuances et le contexte, et met en relief le rôle essentiel de l’esprit humain dans l’interprétation de la science.
« L’IA est un outil merveilleux, mais elle ne doit jamais remplacer la perspective humaine, affirme Emilio Alarcón. Elle peut certes aider, mais c’est la capacité humaine à analyser le contenu en profondeur en posant des questions, en interprétant et en mettant l’information en contexte qui enrichit véritablement la compréhension. »
Le guide, précise le chercheur, vise d’abord et avant tout à aider les étudiants et étudiantes à développer ces compétences et à leur permettre de devenir des communicateurs efficaces.
Éliminer les obstacles à la compréhension
Emilio Alarcón reconnaît que de nombreux étudiants et étudiantes sont confrontés à des difficultés particulières lorsqu’il s’agit de comprendre la recherche universitaire.
« J’ai eu les mêmes difficultés pendant mes études et comme enseignant », dit-il.
Ces difficultés peuvent inclure les barrières linguistiques, la neurodivergence et les différences culturelles, qui peuvent toutes avoir un impact sur la compréhension et la capacité à interagir de manière significative avec le texte.
Or, précise le chercheur, on met généralement l’accent sur les mesures d’adaptation au lieu d’enseigner les compétences fondamentales nécessaires pour lire et comprendre les documents.
« Sans formation spécifique, le processus peut devenir insurmontable, poursuit-il. C’est comme donner une carte à quelqu’un sans lui expliquer comment l’interpréter. Peu importe la clarté des instructions, la personne ne sera pas capable de trouver son chemin tant qu’elle ne saura pas lire les panneaux. »
Les outils du guide fournissent des conseils clairs et structurés qui aident les étudiants et étudiantes ayant des besoins divers à travailler avec plus d’assurance sur les textes scientifiques.
En outre, ces ressources pourraient aider à rendre la recherche accessible à un public encore plus large, notamment aux patients cardiaques et à d’autres personnes qui pourraient bénéficier d’une meilleure compréhension de la recherche médicale et scientifique.
Une ressource bilingue en libre accès pour tous
Disponible en anglais et en français, le guide a la particularité d’être offert en libre accès et d’être accessible à tous, indépendamment de leur situation financière ou de leur niveau d’instruction.
« Venant d’un pays à faible revenu, je suis très conscient du coût des manuels scolaires, dit Emilio Alarcón, qui est originaire de Santiago, au Chili. « Ce n’est pas tout le monde qui a les moyens de s’en procurer, et il faut en avoir conscience. »
« Avec le soutien de l’Université d’Ottawa, de la bibliothèque Berkman et de l’Institut de cardiologie d’Ottawa, nous avons fait en sorte que tout le monde puisse accéder gratuitement à cette ressource importante. »
Le guide a aussi été adapté aux lecteurs d’écran, ce qui le rend accessible aux personnes en situation de handicap, y compris les personnes malvoyantes.
Emilio Alarcón et son équipe prévoient même le publier en espagnol et en mandarin, afin de lui donner une portée mondiale.
« Nous voulons que ce guide ait un impact international, précise-t-il. En le proposant en libre accès, nous nous assurons que tout le monde, où qu’il soit, peut l’utiliser pour améliorer ses compétences en lecture d’articles scientifiques et en communication.
C’est essentiel pour les étudiants et étudiantes, mais aussi pour les journalistes, les décideurs ou toute personne intéressée par la communication scientifique.
Un lancement officiel est prévu pour la fin du printemps.
« Nous voulons créer un événement interactif de type café, où nous pourrons discuter du rôle des scientifiques et des communicateurs scientifiques », dit Emilio Alarcón.
Le chercheur tient à exprimer sa gratitude à Irene Guzman-Soto, Ph.D., qui a édité le guide, à Dania El Khatib, graphiste et illustratrice, et à Bryan Liu et Ryan Tu pour leur collaboration.