L’Université d’Ottawa et la francophonie, au-delà de l’outrage

Gazette
Francophonie
Sanni Yaya
Sanni Yaya, vice-recteur, International et Francophonie, invite la communauté universitaire à contribuer collectivement à la réalisation des divers chantiers déjà mis en marche, afin de bâtir une francophonie renouvelée, lien d’épanouissement et d’ouverture au monde, et instrument d’émancipation.

Par Sanni Yaya, vice-recteur, International et Francophonie

Au cours des mois écoulés, l’Université d’Ottawa s’est retrouvée bien malgré elle sous les projecteurs à la suite d’une série d’incidents qui ont défrayé la chronique. Héritière d’une longue tradition d’identités multiples qui cohabitent, notre institution tire sa singularité dans la place éminente qu’elle accorde au respect de la langue française et son attachement à sa culture diversifiée, riche de contrastes et de destins croisés.

Nous sommes une communauté accueillante, diverse et riche de plus de 50 000 étudiants, professeurs et employés, dont des milliers de francophones et de francophiles, qui l’enrichissent de leurs rêves, de leurs différences, et de leurs histoires individuelles. Pour ces milliers d’individus, l’Université d’Ottawa reste un milieu de vie dynamique et chaleureux, un environnement que nous voulons propice à l’épanouissement personnel et professionnel.

En dépit du fait que ce pan de notre histoire soit méconnu, les francophones ont contribué à façonner l’Université d’Ottawa et à forger son identité telle que nous la connaissons. L’importance de la francophonie est capitale à nos yeux, car la langue française et la culture francophone sont au cœur même de notre mission éducative.

Notre établissement se distingue par son appartenance à deux univers de première importance : celui des grandes universités de recherche et celui des rares institutions bilingues qui ont un rôle particulier à jouer dans la mouvance de l’enseignement supérieur francophone, tant à l’échelle canadienne qu’internationale. Il continue de rayonner et d’attirer des milliers d’étudiants désireux de poursuivre leurs études dans leur langue.

Bien que certains persistent à vouloir nous enfermer dans un compartiment étroit et peu flatteur, le fait est qu’avec 15 000 étudiants francophones (représentant 31 % de notre population étudiante et 34 % si on inclut les francophiles en immersion) et une offre de plus de 369 programmes entièrement en français, l’Université d’Ottawa reste un acteur incontournable de l’enseignement et de la recherche en français au Canada.

Nous sommes tout simplement la plus grande université à l’extérieur du Québec offrant des études postsecondaires en français et la deuxième en importance à l’échelle du pays, en termes d’intensité de recherche dans la catégorie des établissements francophones et bilingues. Nous soutenons activement l’enseignement postsecondaire en français partout dans les communautés minoritaires au Canada, notamment dans les secteurs névralgiques et porteurs d’identité comme la justice, la santé et l’éducation.

L’Université d’Ottawa est aussi celle des milliers d’ingénieurs, de travailleurs sociaux, de médecins et de juristes qui y ont été formés et qui constituent les acteurs de la vitalité linguistique des communautés francophones en contexte minoritaire. Elle est également un lieu de socialisation primaire et le socle de toutes les autres institutions qui exercent un leadership dans la communauté, en contribuant à la complétude institutionnelle de plusieurs communautés francophones.

Notre Université a toujours porté une vision de la francophonie qui est une construction de tous les instants. Cette construction passe par l’essor et la diffusion des savoirs en français, au sein d’une communauté plus forte, plus puissante et de qualité. La francophonie peut, et doit, par les valeurs qu’elle véhicule, permettre de consolider des liens et de structurer de nouvelles solidarités consenties autour du partage de la langue française. La francophonie que nous incarnons est celle d’un lieu de rencontres et d’échanges d’idées, qui s’actualise et se renouvelle sans cesse grâce à sa diversité, au gré des migrations transatlantiques qui structurent en profondeur l’espace francophone. Par exemple, nous hébergeons, par leur nombre et leur diversité, la plus grande concentration au Canada, de chaires de recherche sur le monde francophone. Ceci fait de l’Université d’Ottawa le chef de file incontesté dans le domaine de la recherche sur les francophonies ontarienne, canadienne et internationale.

La création du poste de vice-recteur, International et Francophonie, que j’ai l’honneur d’occuper, s’inscrit dans notre volonté d’apporter une réponse pérenne, plus robuste et mieux adaptée à ses ambitions en matière de francophonie institutionnelle.

Dernièrement, le recteur m’a confié le mandat de convier tous les membres de la communauté universitaire à un important dialogue sur l’état de la francophonie au sein de notre Université. Cet exercice, que nous avons voulu transparent et réalisé de notre propre initiative, fut l’occasion d’entendre et de partager les inquiétudes certes, mais également les espoirs de notre communauté. Notre souhait était d’aller au-delà du Plan d’action pour la Francophonie présenté en 2019, afin de prendre la mesure de la situation auprès de la communauté pour y apporter des réponses adaptées.

Bien que certains progrès soient indéniables en matière de francophonie institutionnelle, le rapport issu de ces consultations nous présente un portrait éloigné de nos aspirations. Comme je l’ai déjà exprimé publiquement, le statu quo n’est pas une option et le message qui ressort de ces consultations ne doit pas être nié, amoindri ou banalisé. Une partie de notre communauté a exprimé un sentiment de fragilité du fait français sur le campus. Il faut y être sensible et voir grand, car l’avenir de la francophonie au sein de notre institution constitue une responsabilité que nous devons assumer collectivement, fièrement et résolument.

Ces consultations ont été fort riches. Elles ont aussi le mérite de la franchise et de la transparence. Loin d’être une fin en soi, elles nous situent à un important carrefour et nous invitent à faire collectivement davantage et mieux pour l’épanouissement de nos communautés francophones. Plus que jamais, nous comptons y puiser la motivation nécessaire pour poursuivre notre travail afin de donner une suite concrète aux nombreux enjeux soulevés et accomplir notre mission éducative dans le même esprit qui nous anime depuis la fondation de notre Université.

C’est pourquoi nous n’avons pas perdu de temps pour agir et de nouveaux chantiers sont déjà en marche : de nouvelles règles communes et plus mordantes en matière de bilinguisme viendront bientôt mieux éclairer nos pratiques ; nous travaillons à assurer et à encourager un meilleur équilibre des deux langues, et de nouvelles modalités de gouvernance ainsi qu’un cadre d’imputabilité plus clairs seront instaurés à brève échéance, incluant une lentille francophone. Ces mesures visent un objectif commun : favoriser plus d’autonomie et de vigueur à l’avancement de la francophonie.

J’invite toutes les personnes qui ont à cœur l’essor de la francophonie, tant sur notre campus qu’ailleurs, à rejoindre nos efforts de façon à travailler ensemble pour l’avenir de nos communautés, dans le respect de la réalité complexe de notre institution.