La Chaire Jarislowsky, un pont entre le gouvernement et le milieu universitaire
Comme titulaire de la Chaire, je pense pouvoir miser sur mon expérience en gestion publique et ma connaissance des rouages du gouvernement (ce qui est tout à fait différent des mesures que le gouvernement prend et qui relèvent de la politique démocratique, comme la tarification du carbone, les services à l’enfance ou les affaires internationales). Pendant les 28 ans où j’ai exercé de hautes fonctions au fédéral, j’ai été un avide consommateur de publications, conférences et travaux des universités et des groupes de réflexion ou d’autres penseurs indépendants. Évidemment, cela faisait partie de mon travail,
Au fil de ces années, j’ai aussi acquis une vaste expérience des relations avec les leaders et les organisations autochtones. Et j’espère mettre à profit cette expérience dans le cadre de mes nouvelles fonctions. Qu’il soit question de services à l’enfance, d’intelligence artificielle, d’arts ou de changements climatiques, tout repose sur le dialogue, le respect, l’écoute et la recherche de solutions, des solutions qui seront ensuite élaborées et mises en œuvre en collaboration et dans un environnement très complexe où interviennent différents joueurs.
Ottawa, véritable pôle de la gestion publique
Selon moi, un grand avantage à diriger la Chaire Jarislowsky de l’Université d’Ottawa, c’est que la région de la capitale nationale est un immense pôle de réflexion sur la gestion publique. La région abrite d’excellentes universités, où une importante communauté de recherche s’intéresse au secteur public. La région a aussi des groupes de réflexion, comme l’Institut sur la gouvernance et le Forum des politiques publiques. Un grand nombre de fonctionnaires à la retraite ou en semi-retraite y vivent, ainsi que de nombreuses personnes qui ont une connaissance pratique des enjeux publics. De nombreuses ambassades y ont pignon sur rue, et nous avons accès à la haute direction des services publics ainsi qu’à un réseau national de personnes qui travaillent dans le domaine de la gestion publique.
En 2022, le secteur public canadien doit faire face à la fois à des problèmes récurrents dans un nouveau contexte, ainsi qu’à des défis entièrement nouveaux. Les prochaines années nous donneront l’occasion de réfléchir aux leçons apprises récemment et d’esquisser des perspectives d’avenir. Celles et ceux qui prendront la relève dans les hautes sphères de la politique et de la fonction publique traceront de nouvelles voies.
Et la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public aura beaucoup à leur apporter.
La liberté et le temps de se pencher sur des questions difficiles
J’espère avoir une plus grande liberté pour étudier ce qu’on appelle en politique les problèmes épineux. Par exemple, quelles questions pourrait bien poser une éventuelle commission royale indépendante sur le secteur public canadien? Si j’ai assez de latitude et de temps, c’est à ce genre de questions que j’aimerais m’attaquer, même si elles ne sont pas toujours faciles. La recherche interdisciplinaire ou multidisciplinaire en milieu universitaire pourrait mettre en évidence les croisements et l’effet cumulatif de différents problèmes.
Les enjeux politiques sont nombreux : changements climatiques, la santé mentale, la réconciliation avec les Autochtones. Je dirais que ceux qui touchent la gestion sont tout aussi importants. La pandémie a apporté son lot de difficultés, tout comme de nouvelles occasions : par exemple, les gens se sont adaptés au télétravail et aux plateformes de collaboration. Cependant, toutes les fonctions publiques ne se prêtent pas à ces nouveaux modes de travail. Pour les services douaniers, pénitentiaires ou d’inspection aéronautique, le personnel est obligé de travailler sur place.
Certains défis de la gestion publique ne datent pas d’hier : réaliser des progrès au sein d’une fédération diversifiée et décentralisée, amener le monde politique à s’attaquer d’abord aux problèmes à long terme ou trop longtemps mis de côté au lieu de ceux qui font l’actualité, promouvoir l’innovation et la prise de risques, et décloisonner un système, conçu à l’origine selon un modèle de responsabilité hiérarchique et « vertical ».
Les événements qui surviennent dans le monde et les enjeux nationaux définissent en partie les priorités du gouvernement : la réconciliation avec les Autochtones, la santé mentale et le mieux-être, l’inclusion, l’écoresponsabilité et la carboneutralité. Par ailleurs, le secteur public est mis à mal par des tendances comme le déclin du civisme et de la confiance envers les autorités, la montée de la désinformation, le trop-plein d’informations et l’influence des médias sociaux sur le discours politique et social.
Une vision claire des nouveaux enjeux
Le « gouvernement numérique », jusqu’ici axé sur les services à la population, s’étend désormais aux procédures internes. La pandémie a bousculé les vieux modèles de gestion en accélérant l’adoption de plateformes de collaboration en ligne pour un grand nombre de services et de processus et en offrant de nouvelles possibilités, comme le télétravail.
Tout comme le secteur privé, le secteur public¸ doit suivre un rythme accéléré et répondre à des impératifs de réactivité. Aujourd’hui, vous devez réagir très vite aux événements, comprendre ce qui se passe et prendre les mesures nécessaires. Ce n’est plus une option de s’accorder le temps de réfléchir et de faire des essais. Les décisions doivent être prises plus vite qu’il y a 20 ou 30 ans.
Le gouvernement veut accroître l’efficacité du secteur public et, pour ce faire, est ouvert à toutes les idées. Comme n’importe quel titulaire de chaire, je ne sais pas si ma voix sera entendue, mais je pense avoir une bonne compréhension des enjeux.
Un dialogue avec les nouvelles générations
Il s’est passé bien des choses depuis que j’ai quitté la fonction publique, il y a trois ans : une pandémie, deux élections fédérales et une guerre en Europe. Pendant ma retraite, j’ai accepté un poste de professeur auxiliaire à l’Université Carleton, où j’ai collaboré avec l’Institut sur la gouvernance et le Forum mondial des gouvernements, afin de partager ma longue expérience avec des groupes de fonctionnaires ou de jeunes. L’an dernier, après la publication de mon livre sur la gouvernance au Canada, j’ai donné de nombreuses entrevues, participé à l’enregistrement de balados et donné des exposés en classe. Or, je ne prends pas mes nouvelles fonctions avec des idées préconçues; au contraire, je veux dialoguer avec les jeunes dans la fonction publique et les universités. En fait, je suis convaincu que j’apprendrai moi-même beaucoup de choses au fil de ces échanges et que j’y ferai le plein d’énergie.