La Chronique 2023 de droit international économique – Commerce a été récemment publiée dans l'Annuaire canadien de droit international/Canadian Yearbook of International Law. Cette chronique a été co-rédigée par la professeure Geneviève Dufour, titulaire de la Chaire de recherche en droit du commerce durable, responsable et inclusif de l’Université d’Ottawa, Valériane Thool, coordonnatrice et chercheure à la Chaire, et Pierre-Luc Morin, doctorant et chercheur étudiant à la Chaire.
La Chronique aborde les récentes évolutions en matière de commerce international et notamment le commerce canadien sur les plans bilatéral et plurilatéral, les contentieux commerciaux découlant des accords de libre-échange impliquant le Canada, les développements dans le système commercial multilatéral, ainsi que les contentieux commerciaux impliquant le Canada.
Introduction de la Chronique :
Poursuite de l’invasion de l’Ukraine, guerre dans la bande de Gaza, crise alimentaire, transition énergétique sans précédent, rééquilibrage géostratégique, montée du populisme, ingérence de toute sorte, explosion du recours à l’intelligence artificielle, inflation à maîtriser, voilà autant de traits caractérisant l’année 2023 et ayant eu le potentiel de redéfinir les relations commerciales mondiales. Dans ce contexte, mu par une nouvelle diplomatie pragmatique, le Canada tente d’innover tout en renouant avec son rôle d’antan : préserver ses partenaires usuels tout en développant de nouvelles relations d’opportunité (au risque parfois de piler sur ses valeurs), réinvestir les enceintes internationales avec le dessein de les moderniser, diversifier ses relations en déployant des forces diplomatiques dans de nouveaux territoires et réaffirmer sa souveraineté face à toute sorte de menaces que ce soit en Arctique ou dans le cadre électoral canadien. Ce contexte a nécessairement eu des impacts sur les choix que fait le Canada en matière commerciale.
Parallèlement, plusieurs États axent leur politique industrielle sur une volonté d’autonomie ou du moins sur une dépendance moins forte. Cette tendance est apparue il y a quelques années, mais l’année 2023 semble avoir permis à certains États de les afficher sans retenue. La Chine, avec sa politique « made in China 2025 », qui visait depuis quelques années à subventionner certains secteurs clés, devient aujourd’hui encore plus agressive. Elle affiche ouvertement sa volonté de s’affranchir définitivement de toute dépendance. Les États-Unis ne se cachent plus non plus pour clamer haut et fort leur désir de promouvoir le « made, hire and buy » America. Les politiques surprises relatives à l’acier et à l’aluminium de l’administration Trump, mais aussi l’Inflation Reduction Act, le Chips Act, et le durcissement de la politique Buy America de l’administration Biden semblent normaliser ce type d’entraves au commerce international dans la mesure où la volonté de rapatrier les chaînes d’approvisionnement en territoire américain est ici mûrement réfléchie, s’intègre dans un cadre global et exprime explicitement le retour de l’autonomie de production. De son côté, l’Union européenne s’est engagée dans le Green Deal et ne cache pas son intention depuis 2020 de renforcer son autonomie, bien que cette autonomie soit « stratégiquement ouverte ». On remarque ainsi une tendance forte du retour du politique dans la destinée industrielle. C’est donc tout un tabou qui vient de tomber … et probablement plusieurs règles du droit du commerce international qui s’en trouvent ébranlées.
Face à l’urgence des changements climatiques, cette nouvelle tendance risque fort de devenir le nouveau paradigme ambiant, du moins pour nombre de pays ayant les moyens d’orienter le développement industriel. Selon une modélisation de Rhodium, l’Inflation Reduction Act aura pour effet de diminuer considérablement les émissions de gaz à effet de serre aux États-Unis, rapprochant le pays de ses cibles pour 2030. Même le Groupe de travail inter-agences des Nations Unies considère la « transformation industrielle pour combler l’écart de développement croissant entre les pays et atteindre les objectifs climatiques et de développement durable » et « appelle à une nouvelle génération de politiques industrielles durables, étayées par une planification nationale intégrée, pour intensifier les investissements et jeter les bases des transformations nécessaires ».
Le train est donc en marche et le paradigme des 80 dernières décennies fondé sur une ouverture au commerce s’ébranle. La course à la réduction des émissions de gaz à effet de serre fournit la justification idéale pour les gouvernements qui en réalité souhaitent surtout répondre à leur population qui exige un retour à l’autonomie et un meilleur contrôle sur la chaîne d’approvisionnement. Les États n’ont d’autres choix que d’y répondre et quoi de mieux que la crise climatique pour justifier une gouvernance plus serrée de leur destinée industrielle.
Pour découvrir l’analyse complète et approfondie, rendez-vous sur l’Annuaire canadien de droit international.
Les auteurs de la Chronique :
Geneviève Dufour
Geneviève Dufour est professeure à la Faculté de droit, Section de droit civil et poursuit des recherches sur les questions relevant de libre-échange ainsi que des interactions entre le commerce, le droit de l’environnement et les droits humains. Elle a été membre de la délégation du Bénin à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et est aujourd’hui membre de la délégation du Cameroun à l’OMC. Elle est notamment membre de la branche canadienne de la Commission trilatérale et membre du Centre de recherche sur l’égalité des genres de l’OMC. Elle dirige la chronique de droit du commerce international depuis 2022. Elle a récemment publié un ouvrage collectif « Réforme de l’OMC : Vers un nouveau multilatéralisme économique » (av. Richard Ouellet).
Valériane Thool, LL.D.
Valériane Thool coordonne les activités de la Chaire de recherche en droit du commerce durable, responsable et inclusif. Elle a obtenu un doctorat en droit en 2024 qui explore notamment l’efficacité de l’Accord sur les subventions à la pêche de l’OMC. En parallèle, elle conduit des recherches sur les ajustements carbone aux frontières. Elle rédige la chronique de droit du commerce international avec Geneviève Dufour depuis 2022.
Pierre-Luc Morin
Pierre-Luc Morin est doctorant en droit international à l’Université d’Ottawa. Il s’intéresse à l’études des accords commerciaux régionaux et au droit à environnement sain. Il est membre de la Chaire de recherche en droit du commerce durable, responsable et inclusif, et travaille sur le projet HumanIT, axé sur l’intégration des droits humains dans le commerce.