Lorsque Kelly Duquette a traversé la scène pour recevoir son diplôme en droit en juin, elle arborait quatre symboles sur sa toge, tout près de son cœur. Du côté droit, le drapeau du gouvernement provisoire de Louis Riel, surmonté de fleurs métisses et d’un iris dans les tons de bleu et de mauve. Du côté gauche, un ours polaire en mouvement.
Ces symboles ont été perlés à la main sur une écharpe de laine. Chacun représente un élément de l’histoire de Kelly. Le drapeau renvoie à son ancêtre Toussaint Lussier, qui a servi sous le gouvernement Riel à la rivière Rouge. Les couleurs des fleurs rendent hommage aux nombreuses générations de femmes qui ont soutenu Kelly tout au long de son existence.
Le jour de la collation des grades, six autres diplômés et quatre professeurs d’origine autochtone portaient le même genre d’écharpe que Kelly, fabriquée pour eux par des membres de la communauté facultaire. Le doyen Adam Dodek portait aussi une écharpe, un rappel de ses responsabilités de leader dans le processus de réconciliation au sein de la Faculté de droit et de la profession juridique. Même les vice-doyens avaient la leur. Chacune était ornée de l’ours polaire et de symboles uniques à la personne qui la portait.
« Lorsque nos finissants recevront leur diplôme, ils seront enveloppés par l’amour des leurs », explique Danielle Lussier, conseillère en apprentissage des peuples autochtones à la Section de common law. C’est elle qui a mené le projet des écharpes. « Chaque écharpe représente des heures et des heures de travail minutieux. Le perlage est un art qui exige beaucoup de patience et de réflexion sur le parcours des apprenants. C’est une façon de rendre hommage à chaque apprenant et d’évoquer le chemin qui l’a mené à la collation des grades. »
On avait même prévu des écharpes pour les étudiants qui ne se seraient peut-être jamais sentis à l’aise de révéler leurs racines autochtones auparavant. Les leurs portaient des symboles communs à la Faculté de droit et à la communauté autochtone : l’ours polaire, la roue médicinale ainsi que le drapeau métis et son symbole de l’infini. Ces écharpes étaient disponibles le jour de la collation des grades.
Membre de la Nation métisse et de la Fédération des Métis du Manitoba, Danielle Lussier a lancé le projet de perlage à la Faculté de droit au début de l’année sous forme d’ateliers où tout le monde pouvait se présenter pour apprendre les rudiments de cet art métis. Les Métis sont en effet reconnus pour leurs vêtements et accessoires perlés aux motifs de fleurs, de vignes et de baies. Le projet a rapidement pris son élan. Plus de 60 personnes ont participé aux séances de perlage hebdomadaires depuis janvier.
Les ateliers de perlage sont aussi une activité d’apprentissage en soi où les membres de la communauté facultaire développent leur sensibilité interculturelle et nouent des relations fondées sur une confiance mutuelle.
« J’adore ces ateliers, car ils rapprochent les professeurs et les étudiants, et augmentent la visibilité des coutumes et des étudiants autochtones », explique un apprenant.
Le perlage est aussi un projet féministe, une façon de rendre hommage au travail des femmes dans un établissement et une profession où leurs contributions et celles des premiers peuples n’ont pas toujours été les bienvenues.
Le perlage joue un rôle important au sein de plusieurs communautés et nations autochtones. Par exemple, les ceintures wampum des Haudenosaunee sont composées de perles blanches et mauves en coquille de palourde. Ce trait patrimonial a été incorporé au motif d’ours polaire des écharpes de la collation des grades. L’ours, surnommé « Abimi », un mot anishinaabe qui signifie « défendre » a les yeux et le cœur rayés mauve et blanc. Les rayures évoquent le Guswenta, une ceinture wampum à deux rangs qui entérine un traité conclu entre les Haudenosaunee et les Hollandais au début du dix-septième siècle.
L’air est chargé d’histoire les jeudis matin à la Faculté de droit, où se tiennent les ateliers de perlage. Allez faire un tour au troisième étage et vous verrez sans doute une salle de classe remplie de gens occupés à perler, à casser la croûte et à parler entre eux. Professeurs et employés, membres de la section de Droit civil ou de Common law, étudiants en droit de tous les cycles et programmes, amis, diplômés : tous sont les bienvenus, tout comme les membres de leurs familles. La musique d’un violoneux métis joue en arrière-plan.
«[Les ateliers de perlage] permettent aux gens de se rencontrer dans un contexte totalement différent », dit la professeure Heather McLeod-Kilmurray. « Je sens que je fais partie d’un groupe uni par l’inspiration, la créativité et un but commun. J’en ressors de bonne humeur et inspirée, et ma journée de travail est beaucoup plus productive. »